Nous avions brièvement échangé via Twitter quelques jours auparavant au sujet d'un tract qu'il promouvait via ce support - forcément brièvement, Twitter ne se prêtant pas aux longues démonstrations, mais plutôt aux échanges d'idées ou de liens, parfois stériles, car à sens unique.
Je ne sais pas trop par quel bout prendre ce problème, tant il est délicat, complexe, explosif, et tant je ne me sens pas qualifié pour traiter de cette question. Cela dit, je ne suis pas moins qualifié que la plupart des autres personnes qui se sont emparé du sujet au nom de leurs seules convictions. Par-contre, j'avoue avoir un peu peur de faire dans la discussion de comptoir. Tant pis, j'aurais au moins essayé d'exposer mon avis, à travers cette chronique qui sera une remise au propre du long commentaire que j'ai laissé sous son article.
Sans doute fais-je partie de ces personnes émues par quelques cas médiatisés, Koz en cite quelques uns dans son article, l'argument implicite étant que quelques situations dramatiques ne devraient jamais justifier une loi généralisant telle ou telle pratique qui serait, par essence, "à côté de la plaque". Sur ce plan là, je suis absolument d'accord avec lui. D'ailleurs, ce type de réflexion s'applique à bon nombre de sujets, pas seulement à l'euthanasie, mais à tous les thèmes sur lesquels la politique est amenée à se pencher : une loi dictée par l'émotion, après un événement tragique mais individuel, sera presque toujours une mauvaise loi.
Cependant si je comprends ses inquiétudes et le sens de son argumentation, je n'arrive pas à partager sa conviction sur ce sujet : être contre l'euthanasie d'une manière irrévocable, partout, tout le temps. Dans mon esprit, euthanasie ne se confond pas avec fin de vie, et pas non plus avec "se débarrasser d'un vieux, d'un malade... d'un improductif" ; je vois parfaitement où sont les dérives, et j'imagine très bien les risques d'une démarche poussée à son paroxysme.
Si je dois mourir d'une longue maladie, comme on dit hypocritement, ou si je dois, l'âge venu, voir ma décrépitude progressive me transformer en charge pour mes proches, ce n'est pas pour ces raisons que je songerais demander un suicide médicalisé. Les points pour lesquels je ne peux pas être d'accord avec l'article de Koz, et ceux qui défendent la conviction du "droit à la vie" d'une manière générale, sont résumés dans sa phrase de conclusion, évoquant une personne qui préférerait la mort à l'indignité qu'elle lirait dans notre regard. Je trouve qu'il pêche par excès d'idéalisme.
Je ne pense pas que si Chantal Sébire qu'il évoque dans son texte, ait souhaité mourir, ce soit pour fuir le regard des autres, mais j'y reviendrai plus loin ; je ne pense pas que si Vincent Humbert (qu'il ne cite pas, mais qui est pour moi un cas bien plus emblématique) a écrit au Président de la République d'alors pour demander le droit à mourir dans la dignité, ce soit pour fuir une indignité qui lui aurait été imposée par ce même regard.
Vous souvenez-vous de Vincent Humbert ? Il n'était ni vieux, ni malade, ni voué à une mort précoce et douloureuse. Non. Il a juste été victime d'un accident aux conséquences dramatiques, un accident de voiture comme cela peut nous arriver à tous. Il est devenu tétraplégique, aveugle et muet, usant seulement d'un doigt encore mobile pour communiquer. Tétraplégique à 20 ans, c'est l'assurance d'une longue vie immobile, prisonnier d'un corps auquel on ne peut absolument plus rien demander.
Sans tenir compte de quelque idéologie que ce soit, sans se raccrocher à des croyances religieuses ou à des convictions politiques, pensez-vous sincèrement que cette vie là soit intéressante ? J'irais même plus loin, pensez-vous que cette vie soit digne d'être vécue ? Avez-vous tenté d'imaginer, pendant quelques minutes, l'enfer que cela peut-être, de se voir transformé en objet pensant, totalement incapable d'interagir avec le monde extérieur ? Loin de moi l'idée de décréter l'euthanasie de tous les tétraplégiques, je pressens l'argument et m'empresse de le contrer. Mon opinion est que si, me retrouvant dans cet état, je voulais me suicider parce que je considère que la vie ne m'offrira plus rien à espérer, sauf plusieurs décennies d'agonie, je ne le pourrais pas.
Je voudrais citer ici Moktarama, autre intervenant au débat qui semble naître sous le billet de Koz, et qui complète fort bien mon propos :
Ne pouvez-vous ou voulez-vous pas comprendre qu’il est parfois question d’autre chose que la dignité « externe » ? Que certains ne veulent pas connaître une indignité de « leur point de vue » , indignité qui n’a de juge que leur égo et non ce que l’extérieur leur renvoie ? Que leur volonté d’en finir ne dépend pas par conséquent des autres mais de lui-même ? Que la douleur puisse être plus forte que tous les analgésiques de la terre ? Qu’un départ « en paix » soit jugé plus estimable qu’un départ atrocement douloureux ?
[...] je persiste à estimer qu’on a le droit de choisir le moment où on meurt. On peut tout faire pour repousser ou éviter ce moment, mais il est simplement impossible d’échapper à la volonté propre de certains (et c’est bien pour ça que de nombreux médecins se trouvent face à une telle situation, sans aucun cadre juridique, dans leur carrière).
Dans le cas de Vincent Humbert, l'impossibilité de se suicider est une contrainte liée à son état, et certains seront peut-être tentés de me répondre que c'est un cas exceptionnel. En passant outre le fait que la notion de "cas exceptionnel" me dérange profondément (sa demande était-elle moins légitime pour autant ? Que fallait-il faire ? Lui dire tant pis, c'est pas de chance ?), un autre élément du texte de Koz me dérange : il affirme que le cas de Chantal Sébire était traitable, et que c'est elle qui a refusé toute médication, sans fournir aucun élément d'explication, il se contente de l'affirmer comme si c'était une évidence. Au delà de cette faiblesse dans son argumentation, est-il vraiment raisonnable de penser que le problème se situe à ce niveau ? Et si elle avait voulu se soigner et que le traitement ait été inefficace, aurait-elle eu davantage le droit à être aidée à mourir ?
Admettons donc qu'elle n'ait pas voulu se soigner quand il était encore temps, cela voudrait-il dire qu'elle devait en payer le prix et souffrir jusqu'au bout ? Ce que j'ai retenu de cette affaire est en quelque sorte le contre-exemple de l'histoire de Vincent Humbert : Chantal Sébire avait les moyens physiques de mettre fin à ses jours par elle-même, mais elle voulait mourir dans la dignité, et non se suicider en se cachant, souffrir encore une fois pour mourir, exposer sa famille à trouver son cadavre dans un état pas très digne. Bref, l'euthanasie au nom de la dignité humaine, quand les opposants à l'euthanasie affirment exactement l'inverse...
Je ne juge pas, je me contente de constater. Et j'ai bien conscience qu'il y a une bien trop grande dimension affective qui rentre en ligne de compte dans ce débat, chacun intervenant en fonction de ses convictions les plus profondes, de ses croyances, de son vécu, parfois de ses drames personnels, de ses angoisses ; de sa position face à la mort, en fin de compte.
En terminant ce texte, je me rends compte que j'ai peur de passer aux yeux de certaines personnes pour un barbare souhaitant une mort médicale généralisée pour tous, alors que tel n'est pas mon propos. Koz et "L'Alliance pour les droits de la vie" remplacent systématiquement euthanasie par soins palliatifs, or je pense que ce sont deux choses différentes, qui ne sont pas toujours conciliables. Dans 99% des cas, on accompagnera la personne jusqu'au bout, en lui conservant sa dignité. Mais que faire pour les autres ? Pour les "cas exceptionnels" qui ne rentrent pas dans les cases ?
Quels soins palliatifs pour un Vincent Humbert ? Quelle fin de vie digne pour ceux qui veulent en finir dans la dignité et sans souffrances ?
Je comprends d'autant mieux le rejet de certains que je m'estime bien incapable de répondre à ces questions.