31 octobre 1999 : Le Bleu plane sur Twickenham.

Publié le 10 novembre 2009 par Vinz

Le 31 octobre 1999 un match de rugby entre dans l’Histoire du sport pour deux nations. Pour celle qui a gagné, c’est un incroyable renversement de situation qui fait désormais partie de la légende du sport. Pour celle qui a perdu, c’est un traumatisme pas encore évacué loin de là.

Je parle bien entendu du fameux Nouvelle-Zélande France de Twickenham en demi-finale de la Coupe du Monde de rugby.

Ce dimanche 31 octobre 1999, l’équipe de France de rugby se retrouve à Twickenham contre les terribles All-Blacks. Pour le rappeler, l’équipe dirigée par Jean-Claude Skrela et Pierre Villepreux n’a pas franchi les étapes dans la facilité. Les critiques ont fusé avant la Coupe du Monde, le désastre de Wellington quelques mois plus tôt (défaite 54-7) ne présageait pas de grand-chose de positif. Néanmoins, une demi-finale était l’objectif minimum au vu du calendrier.

Y croire sans trop y croire… et encore !

L’équipe de France a gagné ses trois matches de poule contre la Namibie (47-13) mais plus laborieusement contre le Canada (33-20) et les îles Fidji (28-19). Dans un groupe relativement facile (même si le Canada était quart de finaliste en 1991 et 1995), la France n’a pas impressionné.

Le match de quart de finale à Dublin a été plus convaincant : une victoire par 47 à 26 contre l’Argentine mais pondérée par le fait que les Pumas avaient laissé beaucoup de forces dans un match de barrage contre l’Irlande à Lens quatre jours plus tôt.

En face, les All Blacks étaient donnés nettement favoris. Leur parcours a été plus simple, enfin moins laborieux : le Tonga dominé (45-3), l’Angleterre surclassée à Twickenham par Jonah Lomu (30-16) et l’Italie pulvérisée (101-3). En quart de finale, les Blacks ont dominé une vaillante Ecosse à Murrayfield (30-18).

Pour la plupart des spécialistes et des médias, le résultat du match ne faisait guère de doute avant le coup de sifflet de l’arbitre écossais Jim Flemming : les All Blacks allaient gagner. Ils ont la terreur du rugby mondial, Jonah Lomu, flanqué de quelques artistes du ballon ovale : Tana Umaga, Jeff Wilson, Christian Cullen, Andrew Mehrtens ou encore le futur Toulousain Byron Kelleher, préféré à un futur Montpelliérain Justin Marshall. Devant ce n’est pas mal non plus avec le redoutable Hoeft, Josh Kronfeld et le capitaine Tayne Randell en troisième ligne.

Sur le papier, la France n’a pas forcément beaucoup à rougir mais les blessures, les turn-overs n’ont pas simplifié la constitution d’une équipe solide : Benazzi reste l’emblème de ce groupe, avec Olivier Magne, flanqué de Marc Lièvremont et Fabien Pelous en troisième ligne. Derrière, Fabien Galthié revenait à la mêlée, N’Tamack se retrouvait au centre alors que la paire d’ailier Dominici-Bernat Salles tranchait par son gabarit à son homologue Lomu-Umaga.

Sur les coups de 16 heures (heure de Paris), le double vainqueur du Grand Chelem 1997 et 1998 donnait le coup d’envoi par l’intermédiaire de Christophe « Titou » Lamaison.

Bon début de match.

Les Français n’ont pas l’intention de se laisser intimider. La Haka c’est joli, ça fait venir du monde, c’est folklorique mais ça ne gagne pas un match ! Les Blacks sont pénalisés d’entrée. Lamaison de 45 mètres réussit le but : 3-0.

Les vice-champions du monde réagissent néanmoins. Sans être géniaux, ils reviennent dans le camp français et les Bleus commencent à accumuler les pénalités : Mehrtens en met deux et en manque une troisième, la Nouvelle-Zélande mène quand même 6-3 à la 18ème minute.

L’éclair du Toulonnais et la réplique façon panzer.

Ce match reste équilibré, avec quelques coups de pieds tactiques bien sentis. Un dégagement des Blacks arrive dans les bras de Lamaison qui laisse charger Benazzi. Mêlée ouverte sur les 40 mètres tricolores à gauche. Galthié passe à Christophe Dominici qui trouve la faille et échappe à la défense néo-zélandaise. Toute ? Non car un irréductible noir nommé Cullen rattrape le joueur du Stade Français à quelques mètres de la ligne. Un miracle presque et une action qui peut se gâcher. La balle tarde à sortir mais elle sort quand même. Appelé par Lamaison à sa droite, Richard Dourthe le sert en situation de surnombre. L’ouvreur du CA Brive n’a plus qu’à marquer, puis à transformer son essai : 10-6. Le premier éclair du match est bleu comme le ciel. Les Français sont en train de gagner la bataille des cœurs anglais, ce qui n’est jamais facile.

Christophe Lamaison dit Titou célèbre l'essai qu'il vient de marquer, consécutif à une échappée de Dominici. La France y croit.

Pourtant en cinq minutes, les choses semblent revenir à leur place dévolue : Mehrtens punit par trois nouveaux points une énième faute française (9-10). Puis sur une action au large, la balle arrive à Lomu, qui évite Bernat Salles qui voulait le plaquer en pointe. Le reste est un enfoncement de tout ce qui ressemble à un rugbyman français. Benazzi rebondit même sur le Tongien (image qui m’a fait rire) et quatre Français ne suffisent pas à arrêter le plus grand ailier de l’Histoire. Mehrtens ne passe pas la transformation mais les Blacks ont repris les devants : 14-10.

Malgré de belles intentions et un jeu intéressant, la France n’arrive pas à marquer. Pire, les fautes se multiplient. Garbajosa et Ibanez ont déjà été avertis (à l’époque le carton jaune ne signifiait pas l’exclusion temporaire) avant la mi-temps. Et juste avant la mi-temps Mehrtens réussit une quatrième pénalité qui porte la marque à 17-10 pour les Néo-Zélandais. Sur le jeu, le score n’est pas tout à fait mérité mais les Français ont payé cher leurs erreurs, peut-être aussi un arbitrage tatillon. Chez moi, j’y crois car les Bleus jouent bien. J’en suis encore à penser que l’honneur peu-être sauf, malgré les commentaires assez bofbof de messieurs Jeanpierre et Laporte.

Lomu : le couteau à beurre

C’est cette image que je retiens de la 45ème minute (et oui, TF1 n’avait pas jugé utile de mettre un panneau indiquant le score et le temps de jeu). Une relance avec Wilson, une-deux entre les deux joueurs et Lomu la joue encore panzer à fond. Sauf que personne n’ose même le plaquer. Garbajosa, qui n’est pas un tendre, avoua même qu’il a eu peur. Reste que ça fait un deuxième essai pour Lomu et la Nouvelle-Zélande. L’arme fatale a frappé, 24-10 avec la conversion de Mehrtens, c’est fini pour moi, j’ai presque envie de changer de chaîne.

Jonah Lomu dans son exercice favori : on raffute, on court, on enfonce et au besoin on marche dessus.

L’incroyable.

Et puis… cette période comme la Nouvelle-Zélande n’en a jamais connue. Ces Français assommés par le coup du sort auraient pu craquer. Non, ils continuent à jouer, solidairement, presque calmement.

Et le héros s’appelle Titou Lamaison. Cette fois, les Blacks sont sanctionnés et doivent aussi reculer. La règle de l’avantage permet au Briviste d’ajuster deux drops presque tranquille. Cinq minutes après l’essai de Lomu, Titou ramène les siens à 16-24. Visiblement, l’exemple Jamie De Beer a fait des émules en France.

Ce qui a fait basculer le match, c’est sans doute ce calme chez les Français alors que le cours de la partie change. M. Fleming ne voit plus les fautes françaises mais en voit davantage chez les Noirs. Aux 50ème et 54ème minutes, soit moins de 10 minutes après l’essai de Lomu, Lamaison ajoute deux pénalités pour des hors-jeu ou des placages hauts. La France est revenue à 22-24, je commence à ne pas y croire. Ces Bleus-là ne font pas du french flair mais répondent aux principes de Villepreux, celui de l’intelligence situationnelle.

« Taper derrière le rideau défensif ».

Cette phrase du staff technique avait été considérée comme une des clefs du match. Tout comme imposer une pression défensive constante. Umaga est piégé en relançant un coup de pied de dégagement. Les Bleus récupèrent le ballon dans la mêlée ouverte. Galthié tape une haute chandelle vers les 22 mètres à gauche. Le rebond trompe Mehrtens et voilà… Dominici qui fait son affaire et s’envole vers l’essai. Dire que Dominici est un génie sur cette action non, sur le premier essai on peut le dire ! Mais c’est Christian Jeanpierre !

Moment clé de la rencontre : Christophe Dominici échappe à Andrew Mehrtens après avoir repris le coup de pied à suivre de Galthié. Plus personne ne peut arrêter le Toulonnais. La France passe devant au score.

Quoiqu’il en soit, 11 minutes après l’essai de Lomu, les Bleus inscrivent leur deuxième essai. Ils ont infligé dans ce laps de temps un invraisemblable 19-0 pour mener 29-24.

Des Bleus euphoriques.

Et tout revient dans un boomerang. Les Néo-Zélandais perdent leur jeu, sont pénalisés pour des passages à vide. Lamaison trouve la touche dans les 22 mètres. Nous sommes à l’heure de jeu. Mêlée ouverte : Galthié ouvre pour Lamaison qui tape un génial coup de pied derrière la défense. Qui arrive ? Le teigneux Richard Dourthe qui aplatit à temps. Troisième essai français inscrit un quart d’heure après le deuxième essai de Lomu. Je me décompose de plus en plus, je vais me rafraîchir et les larmes commencent à venir pendant que ma mère reste  scotchée au match (elle qui regarde peu le sport) : la France mène 36-24 et 26 points d’affilée en si peu de temps.

Tout le monde plonge dans l’euphorie. La Marseillaise retentit dans le Temple de Twickenham. Les All-Blacks se jettent à l’attaque. Ils ne tentent pas les pénalités et préfèrent les mêlées. Les Français semblent souvent au bord de la rupture. L’entrée de Keith Meeuws a fait du bien au pack noir mais la défense française s’est transformée en, pour reprendre une expression consacrée par le contexte, en Verdun rugbystique.

Les Néo-Zélandais s’empalent dans la défense française et sur une mêlée, la pression défensive provoque une perte de balle. Lamaison balance un énorme coup de pied devant lui. Magne et Bernat Salles courent après. Le premier tape une deuxième fois puis la fusée de 79 kg plonge dans l’en-but. C’est de la folie. Magne fait le salut militaire à l’américaine, dans une atmosphère presque surréaliste. Nos deux commentateurs vont pleurer et moi je suis plus que décomposé. 43-24 à cinq minutes et quelques de la fin, c’est fini.

Avec ses 28 points (1 essai, 4 transformations, 3 pénalités et 2 drops), Titou Lamaison est l’homme du match même si d’autres ont brillé. Ce jour-là, un sud-africain de 27 ans entrait en jeu pour les Bleus (à côté d’un Marocain, Benazzi), Pieter De Villiers.

L’essai en fin de match de Jeff Wilson (qui était un très bon joueur de cricket en passant) ne fait qu’alléger l’addition. Les All Blacks s’inclinent par 43 à 31, vingt ans après le Bastille Day mais aussi cinq ans après la double victoire tricolore sous l’ère Berbizier.

Le coup de sifflet final. Les Français ont gagné le match en réalisant un des plus incroyables renversements de l'Histoire du rugby et le plus beau en Coupe du Monde.

Que reste-t-il de nos émotions ?

La France a tout lâché en demi-finale. Spécialistes du « coup » comme en 1987, les tricolores n’ont pas été capables de franchir la muraille des Australiens. Usés par un match physiquement et nerveusement éprouvant, sans doute contentés par cet exploit que personne ou presque n’attendait, ils cèdent en deuxième mi-temps devant la puissance des Australiens. Le score de 35 à 12 est sévère mais la victoire méritée.

Encore une fois cette esprit de contentement qu’on a parfois se retrouve dans ce petit défilé à la Tour Eiffel. On y entend un Dourthe chanter : « On est presque champions ! ». L’effet 1998 s’est-il prolongé un peu ?

Mais aujourd’hui, quel héritage gardons-nous de cette mémorable rencontre ? Pas grand-chose hélas. Certes, l’héritage de la période Skrela-Villepreux a perduré pendant quelques temps. La victoire de Marseille en 2000 (42-28) est celle d’un groupe qui a vécu sur l’intelligence situationnelle. Mais après que Bernard Laporte ait décidé qu’il fallait faire du copier-coller, la magie s’est progressivement évanouie. Mais ce dernier s’est littéralement obsédé par ce match. Pour lui, battre la Nouvelle-Zélande c’était battre tout le monde, quelle que soit la manière. En oubliant les racines de la culture du rugby français.

Pour les All-Blacks cette défaite a marqué profondément les esprits. La France est une des équipes que craignait déjà le plus la sélection océanienne. Un match en Coupe du Monde devient un moment de peur qu’on ne pouvait sans doute pas imaginer. C’est peut-être un peu de ce cauchemar qui a habité les All Blacks de 2007.

Il y a deux ans, la France a récidivé dans un match de toute autre nature. Mal partie (0-13), elle a fini par revenir et passer devant grâce à un coup du destin (M. Barnes) et à l’arrogance des All Blacks, trop dépendants d’un ex-perpignanais et pas assez lucides pour tenter un drop au lieu de faire des éternels pick and go.

Il me reste quand même un des plus grands souvenirs du sport que j’ai jamais vécu. Sans doute plus fort que le Mondial de football parce qu’à un moment je n’y croyais plus. Mais voilà, pour moi l’équipe de France a changé après ce match. On est passé à une autre époque. O tempora o mores et God save the Blues !

Allez, pour ceux qui veulent des images :

http://www.dailymotion.com/videox13ii5