Prenez le dessin d'hier matin, jour de présentation officielle du Tour de France 2008, où Chenez mettait en scène deux cyclistes passant devant un panneau de chantier. Inscrit en grosses lettres sur la palissade : "2008. Sur cet emplacement ASO reconstruit le Tour de votre enfance". La belle affaire ! En un coup de crayon le caricaturiste réussissait le tour de force de cirer les pompes à la maison mère, ce qui ne fait jamais de mal, et de prendre les lecteurs pour des demeurés en leur faisant l'air de rien le coup de la nostalgie facile.
C'est sûr, à côté des champions cyclistes livrés à la vindicte populaire par des journalistes sportifs ayant trouvé dans le dopage un moyen de de valoriser dans les rédactions, les anciennes gloires du peloton avaient la vie plus facile ! On se contentait de les admirer, sans trop leur chercher de poux dans la tête. On préférait en prendre plein les mirettes, en lisant leurs exploits magnifiés par des cadors de la plume, plutôt que de s'occuper du revers sombre de la médaille. Là où Chenez nous prend pour ce que j'espère il n'est pas, c'est donc sur le fond. Les "épées" des années 1950 à 1980, qu'elles s'appellent Anquetil, Thévenet, Merckx ou Fignon, avaient plus d'auréoles sous les bras que les coureurs d'aujourd'hui, nature des maillots oblige, mais n'en portaient pas pour autant au-dessus de la tête.
Alors, mon brave Chenez, ne vous laissez pas abuser par la patine du temps. Conjuguez au présent les articles inspirés d'un Pierre Chany ou d'un Antoine Blondin, et vous obtiendrez les même épopées, un Rasmussen chevauchant tel Odin sous l'orage et la grêle, un Lance Armstrong cannibale dévorant tout sur son passage, un Landis miraculé, phénix du Tour 2006 ! La réalité est toujours la même, seuls les verres déformants à travers lesquels nous la voyons donnent aux géants du passé la beauté de l'Antique. Il faut tout vomir en bloc, brûler jusqu'aux plus vénérées des idoles, ou accepter sans en rajouter que les héros d'aujourd'hui puissent commettre les mêmes erreurs que ceux du passé.