Courtois revient notamment sur le mythe du « bon Lénine » dont le message aurait ensuite été dévoyé par le « méchant Staline ». Le mythe est sans doute parti du « rapport secret » de Khrouchtchev en 1956 devant le XX° congrès du PC d’URSS, découplant « les deux figures de Lénine et Staline, pour diaboliser le second et sanctifier le premier ». Il n’en est rien. Contrairement à Hannah Arendt qui dans Les origines du totalitarisme ne traite pas vraiment de Lénine, Courtois fait parler les archives. Le phénomène totalitaire est inventé déjà entre 1902 et 1922. Pour lui ce sont les intellectuels révolutionnaires qui informent la classe des ouvriers, substituant le parti à la classe. « Méfiance, main de fer, système de terreur » caractérise la pensée de Lénine déjà dans les années 1900.
Monopole économique, monopole idéologique et bien entendu monopole politique. Le comportement de dictateur, le culte de la personnalité émergent dès 1917. En décembre Lénine se joue de la démocratie, faisant arrêter les membres de la commission électorale : « Lors des élections le peuple a voté pour ceux qui n’exprimaient sa volonté, ses désirs ». On bascule dans le totalitarisme. Et la Terreur, « moyen ordinaire du gouvernement », qui va avec, savamment orchestrée par Lénine qui instaure déjà ce que Courtois appelle le « génocide de classe ». En 1919 les cosaques du Don doivent être, selon Lénine, « exterminés jusqu’au dernier ».
On le voit Lénine était tout autant totalitaire que Staline. Pour Courtois « Staline fut le parfait exécuteur testamentaire de Lénine ». Staline a sans doute été « le plus grand homme politique du XX° siècle ». Ne pas y voir là une mauvaise blague : effectivement Staline a été d’une rare efficacité pour mettre « en adéquation ses moyens avec ses objectifs politiques ». Son efficacité remonte sans doute à ses liens avec le banditisme caucasien. Staline n’était donc pas une espèce d’alcoolique névrosé mais un individu extrêmement efficace et travailleur, un « fanatique réaliste », mafieux professionnel converti en dictateur.
Khrouchtchev n’était pas le gentil « homme en colère » qu’on a pu en faire non plus. Dans les années 30 il était le « chouchou » de Staline, tout aussi sanguinaire que son maître : il demanda par exemple de déporter les femmes et enfants des officiers polonais assassinés en 1939.
En autres thèmes abordés par l’ouvrage, celui de la réaction de la gauche et surtout de l’extrême gauche européenne, et notamment française, aux révélations sur la réalité criminogène du communisme depuis la parution du Livre noir. Les vieux réflexes consistant à maquiller la réalité et l’histoire persistent donc. Vouloir monter le communisme dans l’échelle du totalitarisme pourrait le mettre à niveau équivalent avec le nazisme, ce qui constituerait un négationnisme ! En réalité, le négationnisme ce sont bien les communistes non repentis qui s’en rendent coupables, crachant au passage sur la mémoire de 100 millions de morts et de générations opprimées.
Malheureusement, comme s’en lamente l’ancien dissident Vladimir Bukovsky, on n’a jamais laissé se dérouler un « Nuremberg » du communisme, de façon à poursuivre les anciens dirigeants communistes pour crime contre l’humanité. Et au vu des tendances en Russie aujourd’hui, où, dans la pure tradition du KGB, le Président Medvedev a créé en mai dernier une « Commission pour empêcher les tentatives de falsification de l’Histoire portant atteinte aux intérêts de la Russie », on peut craindre que ce procès n’ait jamais lieu.
« Communisme et totalitarisme » de Stéphane Courtois, Tempus, 2009.