BiBi a lu l’article de Céleste sur son voyage à l’Est. celestissima.org/en-souvenir-de-greta-allemande-de-l%e2%80%99est/Des souvenirs lui sont revenus.
BiBi a écumé très tôt les Pays au-delà du Rideau de fer, s’y rendant avec des billets SNCF et des visas commandés longtemps à l’avance. C’était à la fin des années 70. On était sous Giscard et au lycée, on étouffait. On écoutait Michel Lancelot sur Europe 1. On lisait Rock et Folk, Best et Extra. Certains essayaient de nous vendre Rouge ou voulaient nous faire adhérer à la Gauche Prolétarienne. On furetait sur les Ondes (sur Ondes courtes, on arrivait à prendre Radio-Luxembourg qui émettait d’une plate-forme pétrolière).
On partait à deux, à trois dans les Pays de l’Est. En 78, Italie, Yougoslavie, Sofia, Mer Noire jusqu’au delta du Danube. En 79, Hongrie (Sopron, Lac Balaton et Budapest). Et Varsovie début août 80. Les JO de Moscou : les Cocos avaient réquisitionné tous les pots de peinture de la Pologne pour repeindre les rues moscovites. La Haine contre les Soviétiques lorsqu’il y avait un boxeur polonais contre le russe. On avait emmené deux bouteilles de Pastis. Ils/Elles buvaient cul sec. Dans la boite de nuit, trainait un exemplaire du Monde : colonne première page, on y parlait des évènements de… Gdansk. On informait nos amies polonaises pas au courant !
On se remboursait l’essence et on payait les Auberges de Jeunesse en traficotant nos dollars au noir. Trois semaines qui nous coûtaient absolument rien. A Budapest, on avait trouvé des chambres universitaires près du Danube. On était les Rois. On payait tout aux filles avec notre change super-avantageux. Le seul morceau d’autoroute était le tronçon Budapest-Lac Balaton. Avec la Simca 1100 TI, on doublait tout le Monde. Les deux allemandes de l’Est voulaient rester avec nous. Elles prenaient la pilule et on se baignait à poil.
En Tchécoslovaquie, on allait avec des potes tchèques dans les bars d’Hôtel huppés. Les Prostituées étaient à 5 dollars la nuit. Pour manger une banane, il fallait se lever tôt tel jour pour aller les acheter au noir au Marché-Gare. Un jour, Michel pissait ses bières contre un mur. Un policier tchèque voulait dresser un PV. Le copain tchèque a expliqué que nous étions journalistes et que nous allions faire rire nos lecteurs sur la Police de Prague qui mettait des PV pour ça. Les flics sont repartis avec leurs souches.
On avait cherché Kafka. Il n’y avait aucun dépliant touristique. Les murs étaient gris, noirs. Le Château faisait peur. Le cimetière juif du Centre-Ville était fermé. On est passé par-dessus pour visiter une heure. A la piscine, on riait de voir les jeunes porter des maillots de bain socialistes ! Un jour, un tchèque m’a demandé si j’avais une sœur : il voulait un mariage blanc pour passer à l’Ouest. A la frontière allemande/tchèque, on est passé comme une lettre à la Poste. On se disait « Putain, c’est facile ». Mais il y avait une No Man’s Land et au bout de 5 kms, on a vu les chiens policiers, les lampes, les torches dans la nuit et l’inspection minutieuse des coffres de voitures des tchèques qui se rendaient en RFA.
A Budapest, il y avait déjà le Festival Rock mais pas à Margrit-Sziget, au pied du Château. Des freaks, du Hard-Rock (orchestre : Skorpio). Les gens étaient chaleureux. Une fois on a été hébergé par un lanceur de javelot hongrois qui s’était démonté l’épaule avant Mexico 68. En en parlant, il en avait pleuré. Devant l’alcool de prune (interdite au Conducteur).
Ils aimaient la France mais devaient économiser cinq ans pour pouvoir aller financièrement en visite à l’Ouest. Les Allemandes de l’Est avaient un complexe de supériorité. Fallait pas les confondre avec les ploucs des plaines hongroises ou polonaises. Elles connaissaient la pilule de A à Z.
BiBi n’était pas communiste mais il sentait un désaccord latent. Aussi bien en Hongrie qu’en Tchécoslovaquie, la frange de la Jeunesse n’était pas forcément mortifiée mais elle était curieuse, parfois fêtarde, parfois apathique. Combien de fois avons-nous expliqué qu’à l’Ouest, nous aussi on ne roulait pas sur l’Or ! Incompréhension tenace.
C’était 20 ans avant la chute du Mur de Berlin et BiBi n’avait même pas vingt ans.
Photo : BiBi.