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Contre Agamben, tout contre ... II

Publié le 09 novembre 2009 par Tudry

Une très, très brève mention, dans le corps de l'ouvrage, accordera une attention fort légère au fait que le terme patristique oikonomia, avait presque disparu des débats théologiques de l'occident et qu'il ne reparaît, happé par une autre idéologie, qui sert pourtant de point de basculement essentiel, que bien des années après son occultation ...

C'est bien ici qu'aurait pu être saisie le détournement opéré. C'est à ce point précis que l'on aurait pu analyser la terrible dérivation théologique transformée en politique. Il faut bien souligner qu'avec un recherche moins orientée Giorgio Agamben aurait pu, lui-même découvrir que les vrais Pères de l'Église définissait la relation interne à la Trinité (qui dans cette étude semble être le point nodal de retournement et de questionnement) non en terme d'oikonomia mais comme OKEIÔSIS, qui exprime, de façon voisine, certes mais avec une nuance d'une extrême importance, la communauté de vie entre personnes vivant dans un même lieu. Terme qui définit également l'intimité du fidèle avec Dieu, donc nullement en terme d'autoritarisme, ou d'économie ...

SABBATISME – KATAPAUSISME

Redécouverte agambienne : le désoeuvrement désigne ce qui est le plus propre à Dieu :

« être désoeuvré -anapauesthai- n'est vraiment propre qu'à Dieu seul » (Philon); « Le sabbat, qui signifie désoeuvrement -anapausis-, est de Dieu. » (Philon)

Dans cette partie de l'ouvrage, l'auteur remarque, avec une pointe d'ironie, que le fait que le Christ place le mot Amen au début de ces dires, pouvait sembler une forme de subversion. Evidemment, il lui est quasi impossible de reconnaître la véracité de ce fait et, sans doute, est-ce la raison pour laquelle il n'est pas fait mention dans cette même partie de cette parole christique : « Le sabbat est pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat ».

Il s'agit bien plus d'une inversion que d'une subversion. Et, en définitive, par rapport à la « nature » chutée, et donc à l'économie « chutée », toute l'oeuvre du Christ est une inversion, une reprise invertrice, une inversion de l'inversion initiale. Le caractère gestionnaire, ordonnateur de l'oikonomia est renversé très concrètement par le Christ, voir les épisodes du jeune homme riche, de la veuve qui donne tout son maigre avoir au temple, des marchands du temple et surtout les paraboles du jeune homme riche, de Zachée et particulièrement celle des ouvriers de la onzième heure. Il en est de même quant à la « nécessité naturelle ». N'est-elle pas bouleversée dans la résurrection de Lazarre et dans celle de la « jeune fille » ?

Selon certaines conceptions après le Jugement les ministères angéliques s'éteignent, pour Thomas d'Aquin les saints ne feront que contempler les tourments des damnés et la jouissance de cette vision justifie la justice divine et leurs propres béatitude fondée en elle. Ainsi, seul le gouvernement (la praxis) des démons « exécutant les sentences » demeure éternellement. En effet, le manque d'agapè semble flagrant, ainsi que le remarque Agamben ! Or, pour l'Orthodoxie les glorifiés sont tournés vers Dieu seul, vers la Toute Sainte et Indivisible Trinité, les nuances entre chacun tient compte de la notion centrale d'hypostase, laquelle n'est aucunement annulée après le Jugement puisque la déification est précisément la révélation intégrale, dans la Gloire du Seigneur, de la personne. Il s'agit d'une vision de personne à personne (prosopon pros prosopon) : « la gloire que nous voyons aujourd'hui de façon confuse comme dans un miroir (di' esoptrau en ainigmati) nous la verrons alors face à face (prosopon pros prosopon). » (1 Co. 13, 12)

Mais, ainsi que le laisse suggérer ce que nous avons noté plus haut, Agamben n'a aucune conscience de ce « statut » de glorifiés, confondant sans cesse ce qui ressort de la louange et ce qui est, dans la langue particulière et rénovée des Pères, la glorification, proprement la participation unitive à la Gloire de Dieu que l'Occident, en effet, ayant oublié l'opérativité complète et la concrétude très réelle de cette « métamorphose invertrice », considère comme « extérieure » aux créatures, comme appartenant à un « autre monde » quasiment inaccessible. Si les créatures doivent chanter et « rendre grâce », ce n'est pas en tant que soumises à une autorité mais bien parce qu'elles sont « prises », conscientes dans le mouvement dynamique des énergies divines qui sont le chant de l'indicible silence; baignées dans les ondes de la circulation érotique de la création glorifiée. Non comme individus strictement étagés comme dans un fonctionnariat hiérarchisée mais comme les âmes « noetisées », spirituellement unies (kata noûn) au Verbe au moyen du baiser spirituel (noéros), désormais « aussi simples et indivisibles qu'elles peuvent l'être. »

Et cette remarque est d'importance car toute la représentation qu'Agamben donne des écrits de Denys l'Aréopagite est totalement faussée par cette interprétation très « moderne » qu'il entend, par ailleurs, démonter. Les hiérarchies évoquées par saint Denys ne se fondent pas sur un autoritarisme extérieur et contraignant (nécessaire) mais sur l'érotique reconnaissance de la nature et de l'état réel (noétique) de chaque créature, sur ce qu'est sa personne (hypostasis), son eso anthropos. Il s'agit d'amour (agapè) et de désir (éros) pas de caporalisme.


Tout ceci peut encore être ramené au texte explicatif de C. Yannaras et plus loin encore à la vision historique exposée par le Père Romanidès.


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