Comment je suis arrivé au Duc des Lombards ? Je n'en ai aucune idée. Le lieu mythique qui vient de fêter ses dix ans était bondé. Il restait une seule place, avec coin de table pour poser sa bière. Je me suis enfoncé dans le fauteuil, attendant le premier set de Take 3 pour un hommage à Thelonious Monk. Ils sont rapidement montés sur scène : Rémi Toulon, dit La Toulonne, cheveux longs noués pour l'occasion ; Philippe Chagne, aka Chantal, costard fraîchement repassé ; Robert Menières, alias Robbie, chemise rouge pétant.
Chacun s'est dirigé vers son instrument respectif, le piano et le Rhodes, le saxophone, la batterie. Le ring était prêt, le combat allait pouvoir démarrer. Je me suis cramponné comme j'ai pu, à ma bière et aux accoudoirs.
Ça a commencé fort. Le poum-tchak vibrait dans l'air, et le swing New Orleans giflait les murs et les visages. Les autres spectateurs, tout à leur assiette, entrecôte fichée dans l'estomac, levaient doucement des yeux ébahis vers le trio qui pulsait leur Monkish Gumbo. Monkish pour Thelonious et Gumbo pour le plat épicé qui nous vient de Louisiane. À défaut de place pour danser les têtes bougeaient, tandis que la chaleur commençait à monter au Duc. Pour calmer le jeu, ils jouèrent leur Blue Bossa à la Turque, assise sur cinq temps, sinon c'est trop facile. On avait tous besoin de se reposer avec des morceaux plus calmes, pour suivre le concert jusqu'au bout.
Se demander s'ils avaient pris des substances illicites ce serait oublier les effets psychotropes du jazz. Rémi Toulon scrutait le public en parcourant son Fender Rhodes avec des airs de Raoul Duke dans Las Vegas Parano, produisant un son psychédélique. Applaudissements. C'était reparti pour une heure...
Je sortait repu, les tympans battants au son du Well You Needn't de Monk, prêt à m'enfoncer dans la nuit froide, les pupilles dilatées. Jusqu'à la prochaine fois.
Après deux albums en public, Take 3 retrouve le calme des studios pour enregistrer Gumbo. Production artisanale et soignée, le CD Gumbo est disponible sur commande, en passant par le site du groupe. Vous pourrez aussi y entendre des extraits. Mais prenez garde. Certains ne s'en sont jamais remis. Ils peuplent aujourd'hui les clubs de la Nouvelle-Orléans et ne dorment que quelques heures par nuit.
On peut les retrouver au River Café à Issy-Les-Moulineaux le 9 décembre ou encore au Jazz-club Lionel Hampton, au Méridien (75017), les 29 et 30 décembre.