Dans toute famille il y a le mal aimé, le mouton noir, celui qu’on tient à l’écart des autres ou que l’on ignore.
Au cinéma c’est un peu la même chose.
Dans certaines sagas, il existe des opus qui divisent ou des films carrément ignorés par les fans. En ce moment je suis en train de me refaire toute la "carrière" cinématographique de Jason Voorhees à la vitesse de l’éclair.
Et j’en suis arrivé à l’objet du scandale : "Jason va en enfer".
C’est le 9ème long métrage de la série initiée en 1980 avec "Vendredi 13" par Sean S. Cunningham.
Jason Voorhees est devenu tueur en série dans le second chapitre ("Le Tueur du Vendredi"). Depuis le 3ème film ("Meurtres en 3 Dimensions"), le boogeyman a revêtu un masque de hockey qui l’a rendu mondialement célèbre.
A partir du 6ème long métrage ("Jason le mort vivant"), Jason est revenu d’outre tombe pour trucider tout ce qui lui tombait sous la main.
A titre personnel j’ai un penchant très net pour ce que j’appelle la trilogie centrale de la saga, à savoir les 4ème ("Chapitre final"), 5ème ("Une nouvelle terreur") et 6ème films ("Jason le mort vivant") où le personnage de Tommy Jarvis est confronté à Jason Voorhees ou à son copycat, l'infirmier Roy (Dick Wieand).
C’est à partir de 6ème chapitre qu’on commence à sentir un essoufflement scénaristique de la saga.
Jason affronte une jeune femme aux pouvoirs télékinésiques ("Un nouveau défi") puis fait une promenade champêtre à New York ("L’ultime retour").
Même si ces deux derniers films recèlent de beaux et bons moments d’horreur, des scènes assez gore où Jason s’en donne à cœur joie, le spectateur sent que la veine est entrain de se tarir.
En France, pour le théâtre classique, nous parlons d’unité de lieu, de temps et d’action. Pour la saga Vendredi 13 c’est un peu la même chose. En générale l’action se déroulait toujours à Crystal Lake ou dans ses environs proches, dans un temps relativement court (moins de 24 heures) et l’action principale se développe du début à la fin de manière nécessairement identique (Jason tue, tranche, découpe, écrase selon des principes bien établis).
Le fait d’envoyer Jason à New York a brisé ces constantes (camp Crystal Lake/ados stupides et fornicateurs/meurtres) établies depuis 8 films.
Comment donner alors un nouvel élan à la série ?
"Jason va en enfer" est LE long métrage qui pose donc problème.
Avant nous étions dans un genre bien particulier : le film d’horreur bien
gore. Même si Jason est revenu d’entre les morts pour se venger, l’argument fantastique est resté au second plan, seuls comptaient des massacres particulièrement bien mis en scène. Jason restait
un tueur en série très productif et imaginatif dans le choix des armes.
Puis la science ou la para science a pris le relais avec un opus dédié à la télékinésie.
Dans "Jason va en enfer", nous changeons de registre. Nous sombrons au beau milieu d’une histoire carrément fantastique. Jason n’est plus une machine de combat dotée d’une carrure de déménageur mais un esprit malin qui peut passer de corps en corps pour continuer son œuvre.
Certains parlent d’arnaque, de vaste fumisterie, d’œuvre bâclée et indigne de la saga alors que d’autres apprécient énormément ce film en lui-même.
Les adversaires se plaisent à comparer "Jason va en enfer" à "Halloween 3 : le sang du sorcier" de Tommy Lee Wallace (dans lequel Michael Myers est quasiment absent sauf une très brève scène à la télévision vantant "Halloween : la nuit des masques" de John Carpenter) tant l’épisode fait tâche dans la carrière de Jason Voorhees.
Il est vrai que ce long métrage surprend. Jason est quasiment absent du film. Il
inaugure et clôture l’œuvre, est aperçu dans des glaces ou des miroirs
et passe de corps en corps sous l’apparence d’un
xénomorphe
Mais le reste du temps ce sont les corps "habités" par le mal/Jason Voorhees qui
se chargent de la sale besogne. Ces ersatz Jasoniens font aussi bien que le maître.
Même si la silhouette du tueur du vendredi nous manque, ce "Jason va en enfer" recèle de très bonnes surprises et fait honneur à la saga (la patronne du snack bar trop bavarde dont le clou est rivé).
Au rayon boucherie "Jason va en enfer" est un chapitre à part entière de la saga cinématographique, aucun doute là-dessus. Les meurtres sont bien cruels, sanglants et les effets spéciaux sont très réussis.
Le film était tellement gore que le public américain a eu le droit à une version light , amputée des plans les plus trash. Depuis quelques années une version "unrated ", comme on le dit de nos jours, est disponible en DVD. C’est cette dernière que j’ai eu l’occasion de regarder, sur les conseils de Movie.
Sur le fond c’est l’approche paranormale qui pose problème. Jason est à la base un tueur on ne peut plus…basique. Il tue et trucide sans pitié, sans se poser de questions. Dans "Jason va en enfer" des notions de bien et de mal sont introduites, il y ait question de rituel pour l’éliminer. Tout cela ne cadre pas avec l’approche initiale du personnage. C’est peut être là que certains fans ont décroché. Jason doit demeurer ce tueur en série impitoyable et cruel. Ni plus ni moins.
Le fait aussi de donner à Jason une famille (une sœur, une nièce et une petite-nièce) a du faire perdre le fil à certains d’entre vous.
Ce qui sauve heureusement ce long métrage est la partie "hommage" et clins d’œil
en tout genre que "Jason va en enfer" comporte. La volonté est clairement affichée d’inscrire ce film et ses devanciers dans l’histoire de l’horreur et du fantastique.
Le premier hommage est adressé à Kane Hodder. Dans "Jason va en enfer" il interprète pour la 3ème fois Jason Voorhees (il le jouera une 4ème et dernière fois dans "Jason X").
Même si les "autres" Jason n’ont pas démérité dans ce rôle si particulier (pas une parole et un visage dissimulé), il faut bien reconnaître que Kane Hodder a vraiment quelque chose de particulier. Sa stature (1.92 mètres) lui confère une réelle propension à dominer les autres. Il se dégage de lui une puissance incroyable, une force de titan, une certaine bestialité qui le rendent hors normes
Le réalisateur Adam
Marcus offre à Kane Hodder l’occasion d’apparaître aussi sous sa forme "humaine" en gardien de morgue dans une courte scène. Puis il est lui aussi tué par le légiste (Richard Grant) possédé par l’esprit maléfique de Jason. Le médecin ayant mangé le cœur de Jason.
Quand le personnage de Steven Freeman (John D. LeMay) visite la maison familiale des Voorhees il découvre un Necronomicon, un livre des morts si vous préférez. La silhouette
d’Ash (Bruce Campbell) de "The Evil Dead" (Sam Raimi) n’est pas bien loin.
Quand Creighton Duke (Steven Williams) tombe dans la cave de la demeure des Voorhees, on aperçoit une caisse en bois où les mots suivants sont inscrits "Artic Expedition-Julia Carpenter". "The Thing" de John Carpenter résonne dans nos têtes.
Quand Robert Campbell (Steven Culp) entre dans le commissariat et s’en prend à des membres des forces de l’ordre, la référence à mon sens est évidente à l’adresse de "Terminator" de James Cameron.
Le rituel au poignard qui doit détruire Jason à jamais n’est pas sans rappeler
celui qui est conseillé à Robert Thorn (Gregory Peck) par Carl Bugenhagen (Leo McKern) dans "La malédiction" de Richard
Donner.
Mais la référence la plus savoureuse pour les fans de films d’horreur se trouve à
la toute fin du film. Jason a rejoint les limbes des tourments éternels (enfin le croit-on). Le masque de hockey gît dans la poussière quand une main gantée de lames de couteaux avec une manche
bariolée de rouge et de vert se saisit de l’attribut de Jason.
A ce moment là le spectateur bondit de son siège de plaisir. Freddy Krueger entre en scène.
L’idée de faire se rencontrer deux des plus célèbres tueurs en série fictifs du 7ème art était dans l’air depuis un bout de temps. Quand les producteurs étaient à la recherche de cette fameuse idée de génie supposée donner un esprit novateur à la saga.
Il faudra encore attendre quelques années avant que la rencontre ait lieu dans "Freddy contre Jason".
Ce clin d’œil pose lui aussi des questions. Simple révérence à un "camarade" boogeyman ou véritable cliffhanger (fin ouverte sur une suite espérée.) L’événement mérite réflexion.
Le positionnement de "Jason X" surgit dans ce questionnement. Ce qui pourrait
résoudre toutes ces interrogations serait de considérer la saga de Jason Voorhees non pas comme une suite linéaire mais comme une juxtaposition de chapitres.
Pendant les 6 premiers longs métrages, on peut dire qu’il y a un certain fil conducteur mais par la suite, le tout se complique quelque peu. A moins qu’il manque des opus et demi comme me le suggérait Movie l’autre jour (entre le 5ème et 6ème volets par exemple).
Il y a certainement d’autres références que je n’ai pas stigmatisé. La faute
certainement à ma méconnaissance du matériau originel. Je compte sur vous
Je dois finalement dire que j’apprécie énormément ce long métrage. Il n’est ni raté, ni un chef d’œuvre. A mon sens il a appartient pleinement à l’histoire de Jason Voorhees même si le déroulement du film surprend.
Je suis persuadé qu’avec les années, l’opinion des plus récalcitrants se
modifiera.
Plus de trois heures pour écrire cette chronique. Soyez indulgents s'il y a des
erreurs.