Je me suis souvent demandé, depuis hier, pourquoi j'écrivais. Et l'illumination m'est venue avec l'appétit : mon envie d'écrire est comme mon envie de kebab. Elle va et vient, sans qu'il y ait de connotation sexuelle. Entre deux envies passent de longues périodes d'abstinence (sans connotation sexuelle) pendant lesquelles l'idée même de kebab (ou d'écrire, donc) me donne la nausée. Mais quand j'en ai envie, c'est maintenant tout de suite, sans connotation sexuelle, et pas moyen de s'arrêter avant d'avoir fini, sans connotation sexuelle. Et une fois que j'ai fini, c'est bon, j'ai plus envie. Je suis vidé, dans le cas de l'écriture, rempli dans le cas du kebab. Décidément, je me rends compte que tout est sexuellement connoté, dans ce paragraphe.
Mais ce n'était pas le but. L'envie d'écrire comme l'envie de kebab, disais-je, sont là par intermittences.
Mais là ne s'arrête pas la ressemblance entre l'écriture et le kebab !
Bon, certes, je n'écris pas pour me nourrir (et ça ne risque pas d'arriver). Mais mon envie d'écrire n'est pas une méthode cathartique d'exorcisation de mes démons intérieurs, tout comme mon mangeage de kebab. Sauf si on considère une envie tenace de viande grasse dégoulinante de harissa comme un démon intérieur, ce que le mangeage de kebab pourrait alors exorciser, mais il me semble que quand on parle de démon intérieur, c'est un peu plus métaphorique que ça. Et je ne vois pas ce qu'exorciserait le fait d'écrire des études comparatives de la yourte et du yaourt ou des manuels techniques de combat contre les souris à mains nues.
De même, je n'écris que trèèès rarement pour faire de l'introspection. Cette note en est un des rares exemples. Et encore une fois, c'est pareil pour le kebab : je ne le mange pas pour en savoir plus sur moi-même. Sauf quand même des fois où je tente de remplacer la sauce blanche par de la sauce marocaine, pour savoir si j'aime autant. Et il faut reconnaître que la sauce marocaine du Prospère, en face de Cora, elle est pas dégueu. Ceci dit, je m'en tiens généralement au Chicken Chika avec sauce blanche, harissa, saladetomatoignon.
Ecrire ne m'est pas non plus un acte politique. J'ai la conviction politique d'une huître. Une huître ermite, vivant sur un rocher loin de la compagnie d'autres huîtres. Du coup, ça fait encore un rapprochement avec le kebab. Je ne mange pas de kebabs pour promouvoir l'entrée de la Turquie dans l'UE, par exemple (d'autant que mes vendeurs sont tunisiens).
Je n'écris pas non plus pour raconter une histoire. Je ne sais pas faire. Quand j'essaye, j'abandonne généralement au bout de trois pages. Plus, c'est trop. En plus, c'est mauvais. L'indigestion est là qui me guette, comme si je mangeais plus d'un kebab.
Il faut se rendre à l'évidence : je ne sais pas pourquoi j'écris. C'est même pas forcément pour être lu (je crois que mes lecteurs doivent être à peu près aussi nombreux que mes fournisseurs de kebab).
Et je ne sais pas plus pourquoi je mange du kebab. Je veux dire, c'est gras, ça pique, je m'en fous plein la barbe, ça fait grossir... autant de raisons qui me pousseraient à ne pas en manger. Comme j'ai plein de raisons de ne pas écrire (ça ne mène à rien, j'ai rien à dire, je pourrais employer mon temps de manière constructive...)
C'est fou, quand même, quand on y pense, tout ça. Le kebab et l'écriture. L'écriture et le kebab. Main dans la main vers le lointain. Unis dans une vie. Dans ma vie. Un jour, j'écrirai sur un kebab. Je tracerai les lettres à la sauce blanche, de la pointe d'une frite, sur le pain chaud et gras. La boucle sera bouclée, la messe sera dite. Je prendrai une photo, et je la mettrai sur mon blog. Puis j'irai manger.