Démantèlement dans la bancassurance néerlandaise, concentration accélérée dans la gestion d’actifs mondiale, rumeurs démenties de grande fusion bancaire française, le temps des grandes manœuvres a repris dans l’industrie bancaire. La crise accentue les contrastes entre les gagnants et les perdants ; elle alimente la croissance externe initiée par les premiers.
Pour des raisons d’économies d’échelle, l’industrie bancaire mondiale est à la veille d’un mouvement de concentration qui ne sera pas sans poser de redoutables problèmes aux autorités publiques de supervision et, à partir d’un certain seuil, aux autorités de concurrence. Mais cette course à la taille critique n’explique pas tout. Comme dans n’importe quel autre secteur, l’industrie bancaire est confrontée à un déplacement de la valeur dans sa chaîne de production et la crise n’a fait qu’exacerber des tendances anciennes. Dans ce contexte, quels arbitrages entre activités peut-on identifier à la lumière des annonces faites ces derniers mois ?
La banque de détail, celle qui suscite l’attention des pouvoirs publics parce que la plus proche des agents économiques, traverse une passe difficile avec la chute de la production des crédits à l’économie. La fragilité de l’exploitation bancaire qui en découle explique assez largement la poursuite d’une politique monétaire très accommodante des deux côtés de l’Atlantique. C’est bien parce que les risques de défaillances bancaires sont encore très élevés, en particulier aux Etats-Unis, que les banques centrales doivent rester patientes en cette fin d‘année 2009.
Au-delà du court terme, le contexte d’un désendettement durable des agents privés annonce de médiocres perspectives pour cette activité bancaire. C’est en nombres d’années qu’il faudra compter avant d’espérer un retour à la normale, soit une longue période de vaches maigres pour le retail banking.
Les mouvements de concentration constatés dans la gestion d’actifs (asset management) sont un autre trait marquant de la période récente. Pour des activités à rendements réguliers et à risques bien contrôlés, il peut paraître surprenant de voir de grands réseaux mondiaux se séparer de leurs filiales de gestion.
Au-delà de l’argument classique des économies d’échelle, la nécessité de renforcer leurs fonds propres paraît avoir sa part de responsabilité dans ce choix des banques. Pour remplir les nouvelles obligations qui vont naître du G20 de Pittsburgh, elles ne pourront compter sur leur seule profitabilité, ni sur leur capacité à lever des capitaux sur les marchés. Il leur faudra aussi vendre une partie de leurs actifs pour dégager des ressources et les filiales d’asset management constituent des actifs de choix.
Si la banque de détail est durablement handicapée par le désendettement des acteurs privés, si la gestion d’actifs est facilement monnayable pour accroître les fonds propres, vers quelles activités les grandes banques mondiales vont-elles alors se redéployer ? Ce ne serait pas l’un des moindres paradoxes de cette crise hors norme que la Banque de Financement et d’Investissement (BFI), pourtant au cœur de la crise, soit finalement l’activité privilégiée par les grands acteurs bancaires mondiaux.
De fait, c’est bien à la bonne tenue de cette activité au cours du premier semestre 2009 que les banques ont dû de pouvoir rembourser de façon anticipée les avances publiques consenties. De même, l’ampleur des bonus annoncés en cette année de crise est bien le reflet d’une profitabilité hors norme de la BFI en 2009. Malgré les risques élevés qui lui sont attachés, la BFI reste bien l’activité bancaire offrant les meilleures perspectives de rentabilité, ce qui ne peut qu’attirer un grand nombre d’acteurs bancaires mondiaux.
Quels enseignements tirer de ces mouvements ? Trois principaux :
• L’augmentation des fonds propres des banques est une réponse, à l’évidence, appropriée à la crise. Il faudra faire attention au calendrier. Car relever les exigences en capital pendant la crise, c’est prendre le risque d’accentuer la décélération du crédit. Par ailleurs, le provisionnement dynamique (ou ex-ante), dont le principe a été retenu par le G20, va dans la bonne direction puisqu’il conduit les banques à faire des provisions quand tout va bien pour ne pas avoir à les faire quand tout va mal. Il faudra cependant prendre garde à bien calibrer les exigences en capital pour ne pas handicaper la banque de détail, qui reste la principale activité bancaire aux services des ménages et des PME.
• Les forces industrielles poussent à la poursuite de la consolidation dans le secteur. Inversement, la doctrine, nourrie par la crise actuelle, pousse plutôt au démantèlement d’un certain nombre de mastodontes bancaires, pour limiter le champ d’application du principe « too big to fail » et limiter les cas où les Etats seraient obligés d’intervenir face à des risques systémiques. Une doctrine qui ajoute à l’argument de la taille celui de l’éventuelle et pas évidente séparation des activités de banque de dépôts et de banque d’investissement sur le modèle du Glass-Steagall américain de 1933. Lequel de ces deux mouvements inverses va l’emporter ? La bataille entre la dynamique industrielle et la doctrine réglementaire va être rude. De toute façon, il faut souhaiter des réponses coordonnées en Europe et dans le cadre du G20, tant les pressions concurrentielles et l’exigence de compétitivité vont être fortes.
• Enfin, ces stratégies bancaires posent de redoutables défis aux autorités monétaires. La poursuite d’une politique de taux d’intérêt zéro favorise les prises de risque sans encore se traduire par un redémarrage de la production de crédits. Le défi des prochains trimestres sera de sortir d’une configuration monétaire non soutenable à terme sans casser une reprise mondiale encore fragile.