"Nous vivons aujourd'hui dans un cynisme où il n'y a absolument pas de fleurs du mal, de grands regards froids et pas de feu d'artifice au bord du gouffre. Au lieu de cela : des villes en béton, une démocratie bureaucratique, un manque de dynamisme, une médiocrité sans limite, une administration abusive, un bavardage affligeant autour de la responsabilité, un pessimisme chétif et des ironies insipides. Il se peut qu'il faille encore tenir longtemps avec cet "esprit". C'est une mentalité qui n'est même plus décadente parce qu'aucune hauteur ne l'a précédée dont elle tomberait. Ce qui est aujourd'hui est cynique on le voit ainsi glisser devant soi depuis longtemps."P. Sloterdjik, Critique de la raison cynique [p. 476]Il est tout à fait intéressant de noter que le cynisme n'est plus qu'une coquille vide, car, comme le fait pertinemment remarquer Sloterdijk, pour s'offrir une attitude cynique, il fallait en avoir les moyens. Seules l'aristocratie morbide et la haute bourgeoisie surcultivée pouvaient s'offrir ce luxe. Le cynisme ne pouvait que partir de haut. L'attitude qui consiste à ricaner froidement, comme la pratique aujourd'hui une large partie de la plèbe semi-inculte, n'est qu'une posture ridicule. Ceci ne s'explique que par la quête éperdue de la grenouille commune qui rêve d'être aussi grosse et puissante que le défunt et venimeux crapaud. Dans ce but, la vulgaire grenouille à demi-cultivée n'hésitera pas à s'affubler de tous les oripeaux de l'aristocratique bête, maintenant desséchée, bien qu'il ne saura pas comment les porter puisqu'il n'a jamais eu l'occasion d'enfiler un seul instant les riches habits, cynisme compris, du grand batracien alors qu'il était encore vivant.
C'est en partie pour cette raison que certains, pour s'être à peine élevés au dessus de l'uniforme masse croassante, pensent être en mesure de donner des leçons, sur la responsabilité en particulier puisque, bien entendu, eux mêmes sont des gens responsables. Ces petits batraciens au bavardage insupportable ne se rendent pas compte qu'ils nagent dans une petite mare boueuse avec autour du ventre, en guise de bouée, un pauvre cynisme gris, délavé rapiécé et étriqué qui les rend presque pitoyables. Une attitude qui pousse à leur jeter en pâture quelques mouches non génétiquement modifiées, quelques belles poignées de catophaga stercoraria dont ils aiment se repaitre.
Celui qui se tue pour échapper à sa gloire