Après le portrait du légendaire Capablanca, je vous propose celui d’un joueur qui n’a jamais été champion du monde mais qui fait partie de mes joueurs préférés : David Bronstein. Comme souvent, l’Histoire s’est mêlée à la carrière de cet étonnant champion qui nous a quittés en décembre 2006. Pendant la lecture, vous aurez la possibilité de suivre quelques parties que j’ai sélectionnées pour vous.
Bronstein par Sammy Rubinstein
L’enfance et la jeunesse… marquées par le destin d’un pays.
David ‘Devik’ Ionovitch Bronstein est né le 19 février 1924 à Bila Tserkva en Ukraine. Il est le fils unique d’un militant juif qui a rejoint le parti communiste au moment de la Guerre Civile Russe en 1919.
Son enfance a été relativement heureuse pour l’époque et très jeune, David montrait des prédispositions intéressantes : il apprit à lire et à écrire à l’âge de 3 ans et s’intéressait à beaucoup de choses dans les différents clubs scolaires (modélisme…). Vers l’âge de six ans, il apprend à jouer aux Echecs.
Sa vie aurait pu être des plus tranquilles et la progression de son existence heureuse sans ce 31 décembre 1937. Cette nuit-là, des officiers du NKVD arrêtent son père, qui avait eu le malheur de s’opposer à des responsables communistes de la région contre des paysans (Il faut se souvenir de la dure opposition des paysans ukrainiens et de la terrible répression décidée par Staline et menée par Khrouchtchev qui ont affamé l’Ukraine et tué 6 millions de personnes en 1932-1933). Dans le cadre de la Grande Terreur, son père est condamné à une peine de 8 ans de travaux forcés dans un camp du Nord.
David Bronstein à 15 ans, photographié par son oncle (Source : l'Apprenti Sorcier, édit J-L Marchand 1996).
Être marqué du sceau de l’infamie en étant l’ennemi du peuple n’a pas découragé le jeune David. Celui-ci se révèle particulièrement lors d’un tournoi opposant les adultes et les jeunes espoirs de Kiev. Puis il termine deuxième du championnat ukrainien en 1940, derrière Isaac Boleslavsky. Les deux, séparés par 8 années, deviennent amis.
David Bronstein reçoit alors le titre de maître des sports de l’URSS, passe ses examens avec succès pour entrer à l’Université et dispute la demi-finale du championnat d’URSS en juin 1941 à Rostov-sur-le-Don. Cette épreuve ne s’acheva pas : le 22 juin, l’Allemagne envahit l’URSS.
Dans plusieurs de ses livres, Bronstein parle pourtant d’un cadeau béni qu’a été la suite de sa vie. Il est réformé pour vue déficiente et échappe au massacre de millions de ses compatriotes. Il est transféré à Tbilissi en Géorgie où il fait la connaissance d’un jeune espoir, Tigran Petrossian (champion du monde de 1963 à 1969). Puis en 1943, il se retrouve à Stalingrad pour reconstruire l’usine Octobre Rouge, un des lieux mythiques de la terrible bataille.
D’espoir à « co-champion du monde » (1944-1951)
David Bronstein fait une rencontre qui va bouleverser sa carrière. Il rencontre Boris Vainstein, directeur du département d’économie du NKVD (la police politique) et président du club de l’organisation, le Dynamo de Moscou. Il le fait venir dans la capitale soviétique et l’héberge même chez lui. En 1944, son père est libéré et il faut beaucoup de finesse et un peu de corruption pour qu’il puisse lui permettre de vivre une existence des plus dignes (notamment donner un sac de 100 kg de blé au chef de la police locale pour effacer la mention « prisonnier politique » sur le passeport de son père).
Il dispute en mai-juin 1944 la finale du championnat d’URSS. Son résultat global est décevant mais honorable pour une première participation à 20 ans : 6,5 points sur 16 avec 4 victoires pour 7 défaites et 5 parties nulles. Mais il bat après un combat acharné Mikhaïl Botvinnik, l’incontestable champion, ainsi que des joueurs très réputés comme Andor Lilienthal (hongrois naturalisé soviétique) et ou Ragozine (le partenaire d’entrainement de Botvinnik).
En 1945, il remporte la demi-finale du championnat national et termine 3ème du championnat d’URSS qui s’est disputé en juin. Il est un des quatre joueurs à obtenir la nulle contre Botvinnik. Bronstein sous-entend que ce dernier voyait déjà en lui un rival des plus dangereux et pense qu’il a tout fait pour freiner son ascension. David est sélectionné pour le match par radio URSS-USA et gagne ses deux parties. En 1946, il remporte le premier de ses 6 titres de champion de Moscou et réalise une incroyable performance lors du match Moscou-Prague : il marque 10,5 points en 12 parties, 10 victoires pour une seule défaite et une partie nulle.
Sa victoire contre Zita est particulièrement spectaculaire.
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D’après lui, on ne lui donne pas le titre de Grand-Maître de l’URSS qu’on lui a promis. Bronstein sous-entend clairement que Botvinnik a fait pression pour freiner son ascension. Il est vrai que le style rafraichissant de Bronstein le déstabilise : attaquant dès le début de la partie, il n’a pas peur des positions tendues, même s’il est en difficulté. Il joue le gambit du Roi (1.e4 e5 2.f4) avec grand succès alors que l’ouverture était abandonnée au haut niveau depuis plus de 30 ans. Bronstein joue sans complexe pour le bonheur des spectateurs. Il remporte les championnats nationaux de 1948 et 1949, à égalité avec respectivement Alexandre Kotov et Vassily Smyslov (n°2 mondial qui avait donné un avis favorable à l’obtention de son titre de maître en 1941).
Pas retenu par la fédération soviétique pour disputer le premier tournoi interzonal à Saltsjobaden en Suède, ce sont les autres fédérations qui forcent sa sélection. Il triomphe avec 13,5 points sur 19 et sans défaite.
Le premier tournoi des Candidats se déroule à Budapest en avril 1950. La Guerre Froide a exclu les joueurs du bloc occidental (Samuel Reshevsky l’Américain qui n’a pas eu l’autorisation et Max Euwe, l’ancien champion du monde). Malgré un mauvais départ, Bronstein réussit une dernière ligne droite étonnante et rejoint son ami Isaac Boleslavsky à la première place du tournoi (12 points sur 18, soit deux points d’avance sur Smyslov) après avoir battu son autre ami Paul Kérès. Les deux joueurs doivent disputer un match de barrage en douze parties en août. Dans la prolongation, Bronstein l’emporte par 7,5 à 6,5 (3 victoires à 2 et 9 nulles).
David Bronstein devient le premier finaliste d’un championnat du monde d’échecs à passer par un cycle de qualification.
Le match a lieu à Moscou, dans la salle Tchaikovsky et débute le 24 mars 1951. Botvinnik n’a plus joué une partie depuis sa victoire en 1948. Et son manque de compétition se révèle vite une faiblesse : après 4 nulles, Bronstein gagne la 5ème partie avec les Noirs mais sa faiblesse en finale, et surtout dans l’analyse des parties ajournées (les parties étaient interrompues après 5 heures de jeu et reprises le lendemain) lui coûtent des points. Une incroyable gaffe fait perdre l’avantage à Bronstein dans la 6ème (il touche son Roi par inattention) et perd la suivante. Dans la 9ème, Botvinnik a une pièce de plus mais n’arrive pas à forcer le gain. Bronstein égalise dans la 11ème mais perd encore en finale dans la 12ème. Il égalise dans la 17ème partie mais Botvinnik reprend le dessus dans la 19ème.
La fin du match, prévu en 24 parties, prend une tournure dramatique. Bronstein remporte deux belles victoires (21ème et 22ème parties) et mène 11,5 à 10,5. C’est alors qu’un des hauts responsables du futur KGB, le général Abakumov, l’invite dans sa loge. Que s’est-il passé exactement ? A-t-il seulement été invité pour être félicité pour sa victoire ou bien y-at-il eu pression pour que Bronstein perde une des deux parties restantes (le match nul permet au champion de conserver son titre) ? Bronstein répond non mais n’est pas très convaincant. Toutefois, Bronstein a toujours fait partie du Dynamo de Moscou, le club de la police dont Abakumov était membre.Cette pression se serait faite en raison de la situation de son père, qui assistait au match. Le vie du père contre un titre ?
Voici l’analyse de la 22ème partie, qui constitue le sommet de la carrière de Bronstein.
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Bronstein avance une autre explication. Il n’aurait pas voulu être champion du monde au fond de lui-même. La peur face au passé de son père, prisonnier politique, de devoir saluer Staline, la peur de porter un poids qu’il ne pourrait soulever… D’un autre côté, si on révélait l’histoire de Bronstein (juif, dont le père a séjourné au Goulag en pleine répression antisémite), le régime aurait montré des faiblesses. Mais la suite de sa carrière a démontré qu’il avait du mal à résister à la pression.
Quoiqu’il en soit, Bronstein craque dans la fin de la 23ème partie. Il a beau tenter sa chance dans la 24ème mais dans une position inférieure, il propose la nulle à Botvinnik. Il n’est pas champion du monde mais « co-champion » comme l’appela Max Euwe et se défend en voulant montrer que l’invincible ne l’est pas.
Mikhaïl Botvinnik (à gauche) contre David Bronstein lors du championnat du monde 1951. Le match s'achève par un résultat nul qui favorise le champion sortant. Botvinnik était le seul véritable ennemi de David Bronstein, l'accusant implicitement d'avoir tout fait pour freiner son ascension.
Le lent déclin (1951-1975)
A 27 ans, David Bronstein est au sommet de sa gloire. Lui qui a été chanceux dans sa vie connaît à partir de ce moment une réussite qui décline doucement mais surement.
En 1952, il intègre la première équipe soviétique à disputer les Olympiades. Comme en 1954,1956 et 1958, ses autres participations, il remporte la médaille d’or par équipes et la médaille individuelle. Par ailleurs, il établit un des meilleurs pourcentages de victoires dans l’Histoire de la compétition (En 4 Olympiades, il marque 79,6% des points ce qui le met dans les 10 meilleures performances sur plusieurs épreuves).
Cette même année, on le voit enfin en Occident à Liverpool : à part une nulle contre son compatriote Taimanov, il remporte les 6 autres parties. Dans le championnat d’URSS, il doit se contenter de la 7ème place, loin derrière Botvinnik et Taimanov justement. Jamais plus Bronstein ne gagnera ce championnat.
1953 est l’année du Tournoi des Candidats, en Suisse alémanique, pour lequel il est qualifié directement. Malgré son style combattif, Bronstein réussit le nombre le plus élevé de nulles (20 en 28 parties) et doit se contenter de la deuxième place ex-aequo, loin derrière Smyslov qui défie en 1954 Botvinnik. De ce tournoi, il en écrit un livre (L’Art du combat aux Echecs) publié en 1956, dans lequel il fait une apologie du jeu, plus qu’un réel commentaire des parties : il y décrit toutes les phases et s’installe pratiquement à la place du lecteur. C’est un des meilleurs livres jamais écrits sur les Echecs.
L'Invincible Armada soviétique aux Olympiades d'Amsterdam en 1954 : de gauche à droite Vassili Smyslov, David Bronstein, Paul Kérès et Mikhaïl Botvinnik. Avec l'équipe soviétique, Bronstein régna sur la planète échiquéenne sans partage dans les années 1950.
A la fin de l’année, il l’emporte à Hastings et en 1954, il mène la sélection soviétique dans une tournée en France (victoire 15-1 de l’équipe soviétique), sur les bords rioplatense (succès 19,5 à 0,5 contre l’Uruguay et 18,5 à 13,5 contre l’Argentine, deuxième nation mondiale et une victoire en match contre Miguel Najdorf), l’Angleterre (18,5 à 1,5), la Suède (13 à 3, Bronstein est le seul à perdre une partie) et enfin le grand match contre les Etats-Unis : l’URSS gagne 20 à 12 et Bronstein est le seul à gagner ses 4 parties. Toujours en 1954, Bronstein gagne à Belgrade, son premier grand tournoi international hors URSS et aussi hors du cycle du championnat du monde (c’était aussi sa première sortie de ce genre).
Diagramme 1. Porreca-Bronstein Belgrade 1954
La position noire semble presque désespérée : en effet, Bronstein ne peut pas roquer à l’aile-dame car il perd le pion f7 et s’il joue e6, les Blancs sacrifient une pièce (le Fou c4 certainement) avec une attaque décisive contre le Roi noir resté au centre.
Pourtant, Bronstein joue un coup incroyable qui repousse les deux menaces et maintient l’équilibre. Lequel ?
Il s’agit de Fg8 !!! Ce retrait totalement invraisemblable défend le pion f7 et permet de jouer e7-e6 sans que le sacrifice ne soit gagnant. Après Fg8, Bronstein rétablit l’équilibre et gagna la partie ensuite.
En 1955, il remporte avec brio l’interzonal de Göteborg, loin devant les autres. Il fait toujours partie de la sélection nationale qui repousse une nouvelle fois les Etats-Unis (25 à 7). En 1956, c’est le tournoi des Candidats. Bronstein n’est pas dans le rythme mais plutôt dans le ventre mou. Il ne se qualifie pas pour la finale du championnat du monde, partageant la 3ème place avec 5 autres concurrents sur 10 participants. Il bénéficie pourtant de la plus grande gaffe jamais jouée dans un tournoi pour le championnat du monde : Petrossian lui donne sa Dame qu’il n’avait pas vue en prise ! Et au mémorial Alekhine à Moscou, il est 5ème derrière les vainqueurs Botvinnik et Smyslov.
En 1957, Bronstein termine 3ème du championnat d’URSS gagné par Tal et remporte le tournoi de Gotha. L’année suivante, il conserve la médaille de bronze mais échoue au tournoi interzonal à Portoroz, en Yougoslavie, en perdant la dernière partie contre un joueur mal classé. La malchance dans le championnat du monde le poursuit désormais.
Les résultats sont désormais moins bons, même s’il réussit encore à bien figurer : premier ex-aequo dans un tournoi moscovite relevé, troisième à Mar del Plata derrière Fischer et Spassky (et il présente les deux joueurs l’un à l’autre). Ses performances en championnat d’URSS sont décevantes : il est éliminé du cycle des candidats ; seule une 3ème place en 1961 le replace au devant de la scène, après un nouveau succès au très relevé championnat de Moscou. En 1963, il collectionne les places d’honneur dans les tournois (deuxième) et se qualifie pour le tournoi zonal soviétique de 1964. Avec sa 3ème place sur sept, il peut disputer l’interzonal de 1964 à Amsterdam.
Diagramme 2.
Bronstein contre Efim Geller en 1960. Les Blancs ont une forte attaque avec la Tour b7, le pion f6 et le Cavalier f4. Leur Dame est pourtant attaquée. Quel coup joue Bronstein pour forcer l'abandon immédiat d'Efim Geller ?
Réponse. Les Blancs pouvaient envisager Txf7 car Txd3 est suivi par Txg7+ et Cg6 mat. Mais après Rxf7, les Blancs continuent par Dg6+ avec une attaque très forte. Cependant, le coup immédiat Dg6 est beaucoup plus radical. En effet, fxg6 est suivi par Txg7+ suivi de Cg6 mat et les Noirs ne peuvent pas parer autrement la menace de mat en g7.
Là encore le sort s’abat sur Bronstein : une défaite contre le Danois Bent Larsen (qui termine premier ex-aequo), une partie nulle contre un Péruvien inconnu l’excluent de la course au championnat du monde. Le règlement aussi : en effet, seuls trois soviétiques pouvaient se qualifier pour ce cycle avec sa 6ème place, Bronstein est le cinquième (16 points sur 23 soit un point de moins que les quatre premiers), devançant les deux joueurs non-soviétiques qui prendront sa place. Cette même année, Bronstein est vice-champion d’URSS derrière Kortchnoi, son meilleur résultat depuis ses titres de 1948 et 1949.
Ces années-là, Bronstein s’entrainait souvent avec l’équipe de football du Dynamo de Moscou et avait pour ami l’ »Araignée Noire », Lev Yachine.
Les années qui suivent prolongent le déclin de Bronstein : de bons résultats dans des tournois de bons niveaux, mais pas dans les championnats nationaux et les tournois de l’élite. Il est remplaçant pour le Match du Siècle, entre l’équipe d’URSS et le Reste du Monde, et ne joue pas.
Sa dernière chance pour disputer le championnat du monde a lieu en 1973. Alors qu’il était sur la liste des remplaçants, il est retenu pour pallier le décès prématuré du génial Léonid Stein (mort à 39 ans). A l’Interzonal de Petropolis, il renonce d’emblée à une qualification, estimant ne pas mériter sa place et ne pas profiter d’une situation dramatique. Malgré l’absence de préparation (le décès de Stein s’est produit deux semaines avant le début du tournoi), Bronstein termine 6ème, à un point de la qualification ; son fait d’armes est la magnifique victoire contre le Ljubojevic, qualifiée de partie la plus compliquée de tous les temps par beaucoup d’experts.
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La mise à l’écart. Le prix de la liberté (1975-1989)
Bronstein a toujours paru comme un excentrique, un original. Les anecdotes sont nombreuses sur lui et il les raconte avec plaisir. En 1954, il tient tout le voyage Amsterdam-Moscou en train, un service à café rococo. Il acheta même une ampli alors que ses partenaires ramenaient des objets utiles (on ne pouvait ramener des devises en URSS) ; mais c’était Paul Kérès qui lui avait demandé d’acheter quelque chose de lourd pour rendre moins cher le prix du kilo de bagages (au-delà de 100).
Il seconda Victor Kortchnoi qui préparait son match contre Anatoli Karpov, le favori du régime pour reprendre le titre à Bobby Fischer.
A l’hiver 1975-1976, Bronstein gagne encore une fois à Hastings mais personne ne se doute que c’est sa dernière apparition en Occident avant plus de dix ans.
En effet, quand Kortchnoi passe à l’Ouest, il refuse de signer une lettre des grands maîtres soviétiques condamnant sa fuite (avec Botvinnik, Spassky deux champions du monde). En conséquence, les autorités l’interdirent de sortie peu à peu et lui retirèrent les invitations privées, même dans les pays de l’Est. On lui retira son salaire de joueur, se contentant d’être chroniqueur aux Izvestia. On ne lui octroya même pas sa pension de retraite en 1984, à ses 60 ans, qu’il obtient en 1988. Entre-temps, il remporte le championnat de Moscou (son sixième) en 1982 et le tournoi open organisé en l’honneur des 75 ans de la Révolution d’Octobre. En 1983, il dispute pour la dernière fois une demi-finale du championnat d’URSS, où il ne se qualifie pas.
Son classement baissa ; et comme il n’était plus assez élevé, on lui retira encore les quelques invitations qu’on lui envoyait. C’est en 1988 qu’on le retrouve à l’étranger, en Pologne et l’année suivante à Londres en 1989. L’effondrement du bloc communiste lui redonne la liberté.
Un voyageur infatigable (1989-2006).
Bronstein multiplie alors les séjours en Occident. On le retrouve en Islande, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Belgique, en France, joue pour des clubs divers (dont l’ex-Caissa à Paris). Il s’intéresse aux ordinateurs et aime jouer contre eux. Ayant toujours été un joueur à l’aise en parties rapides, il brille dans des tournois où le temps de réflexion est réduit. Il donne aussi des conférences et publie en 1996 un autre ouvrage majeur : l’Apprenti Sorcier, où par sa forme originale, il fait le point sur près de 50 ans de carrière avec beaucoup d’anecdotes.
La santé de Bronstein s’affaiblit. Des problèmes de tension notamment. Il finit par quitter Moscou et s’installer à Minsk mais on le voit au tournoi biennal du Cap d’Agde (organisé par le Comité d’Entreprise d’une grosse compagnie énergétique française). Le 5 décembre 2006, David Bronstein s’éteint dans sa 83ème année.
Quelle place de Bronstein ?
Bronstein n’a jamais été champion du monde et n’a pas bénéficié de la sécurité que ce statut conférait. Mais il a été un des joueurs les plus importants de son époque.
Par son style dynamique, varié, sans prétention théorique, par son jeu original et parfois trop, il a renouvelé le jeu, qui était de plus en plus dominé par le jeu scientifique (industriel diraient certains) incarné par Botvinnik. Ses combinaisons étaient souvent audacieuses mais contrairement à Tal, qui en est l’héritier, elles étaient le plus souvent correctes. Grâce à Bronstein, le jeu d’attaque sans compromis, même entre les meilleurs, a retrouvé ses titres de noblesse. Mais ce qui l’a empêché d’être champion du monde était sa faiblesse en finale, sa gestion du temps qui lui a coûté de points précieux contre Botvinnik et aussi sa fragilité psychologique : quatre de ses cinq défaites l’ont été après l’interruption de la partie, dans les phases techniques.
Diagramme 3. Partie Mikenas contre Bronstein en 1965
Apparemment il n’y a pas de danger immédiat pour les Blancs. Ceux-ci défendent assez bien la dernière rangée et évitent le mat du couloir (par De1 +). Pourtant, David Bronstein va exploiter l’insuffisance de la défense de la première rangée blanche. Mais comment ?
Bronstein a joué Txa3 et Mikenas a préféré abandonné. En effet, si les Blancs prennent la Tour avec le pion, les Noirs jouent Dxa1 + et sur T (ou D) en b1, il suit Te1 + force le mat. Si les Blancs jouent Txa3 alors les Noirs jouent De1+ et matent au coup suivant (Df1 Dxf1 mat). Si les Blancs retirent la Dame ou jouent une pièce en b3, il suit Txa1+. On pourra noter que les Blancs ont joué a2-a3 car les Noirs menaçaient De1+. Les Blancs auraient dû jouer la Dame en f1 mais ils auraient perdu la Tour b4.
Sur le plan théorique, Bronstein a renouvelé des ouvertures, en apportant du dynamisme. Par exemple dans la défense Scandinave : 1.e4 d5 2.exd5 Dxd5 3.Cc3 Dd6 au lieu de Dd8 ou Da5 qui étaient joué. Il a popularisé la défense Est-Indienne avec Boleslavsky notamment. Il était capable de jouer toutes les ouvertures. Parce que Bronstein était curieux de tout, il rejetait tous les dogmes, les vérités infaillibles. Son jeu témoignait de sa culture et de son esprit d’ouverture. N’a-t-il pas ramené en cachette le livre d’Hemingway, « Pour qui sonne le glas ?« , censuré en URSS ?
Son oeuvre littéraire témoigne aussi de son goût pour la liberté. Un traitement peu académique mais jamais ennuyeux, peu de variantes complexes mais beaucoup de réflexion sur la façon de sentir le jeu, la position… Bref, Bronstein se met aussi à la place du lecteur.
Bronstein a émis au début des années 1970 l’idée de réduire la cadence de jeu, estimant que les meilleurs peuvent se passer de 2 heures de réflexion pour 25 ou 30 minutes. Il proposa plus tard une cadence de jeu, pratiquement pas utilisée car Bobby Fischer en soumit une autre plus appréciée : chaque joueur disposait d’un temps de réflexion pour chaque coup et s’il le dépasse, on pioche sur un crédit accordé initialement. Pour lui, on ne joue pas aux Echecs pour capitaliser du temps mais pour l’utiliser, ce en quoi il se démarque du système de Fischer.
Un grand monsieur qui mérite une place particulière au Hall of Fame des Echecs.
Une dernière chose. David Bronstein n’a aucun lien de parenté avec Lev Davidovitch dit ‘Trotsky’… Par contre, c’est certainement son nom qui inspira le méchant Kronsteen dans Bons baisers de Russie, un des meilleurs James Bond. D’ailleurs, la partie présentée au début du film a été jouée par Bronstein (le 25 février 1960) contre Boris Spassky. Mais à l’inverse du film, c’est lui qui a perdu la partie.
David Bronstein dans les années 1950. Sa philosophie se résume dans cette phrase : "Je ne joue pas une ouverture, j'essaie de créer une attaque dès le premier coup".
David Bronstein (à droite) en compagnie du grand-maître Andor Lilienthal (98 ans cette année), le plus vieux au monde. Photo prise à Moscou en 2003 (source : chess and strategy, P. Dornbusch).