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Sciences humaines & sociales : à la web-attaque !

Par Jb
ce7c82d3543fd85b04bf45f656172ca0.jpg L’ouverture récente du magazine en ligne La vie des idées n’est que la dernière manifestation d’un phénomène qui semble prendre de l’ampleur : l’offensive des sciences humaines et sociales sur le web, articulées autour de problématiques sociétales, donc politiques.
La vie des idées suit de très près dans le temps une autre initiative, le site portail Non fiction : le portail des livres et des idées. Son titre est extrêmement clair et a presque valeur de manifeste : ici c’est le "réel" au sens fort du terme qui sera évoqué. Très discutable d’ailleurs cette idée que la "fiction" (donc le romanesque) ne peut parler du réel et toucher les champs sociaux et politiques, mais enfin bon.
Non fiction comme La vie des idées ont bien des points communs avec l’agence intellectuelle Telos, elle aussi présente sur le web (et la plus "ancienne" des trois initiatives).
Il me semble que ces créations, implicitement ou explicitement, sur la forme comme sur le fond, véhiculent plusieurs messages. Certains me semblent très intéressants, d’autres éventuellement plus critiquables, encore que. Je soumets mon sentiment à la sagacité de mes lecteurs.
1/ une tendance de plus en plus forte, très influencée par le courant anglo-saxon des think tanks, semble se dessiner en France. Des intellectuels et chercheurs, à tort ou à raison accusés de rester dans leur "pré carré" universitaire, décident d’investir le débat public et de faire entendre leur voix. Et mettre au service des citoyens, en les vulgarisant, le contenu de recherches souvent pointues et très spécialisées.
Avec un message éventuellement ambigu : ces intellectuels et chercheurs entendent-ils rester à 100% "autonomes" par rapport au pouvoir politique, ou bien cherchent-ils à peser sur les décideurs, donc à s’engager, voire même à devenir d’éventuels conseillers et "experts" (proclamés ou occultes) ? Un débat vieux comme le monde mais toujours d’actualité…
2/ par ailleurs, il me semble que cet investissement dans le champ social et politique n’est pas sans rapport avec l’élection de Nicolas Sarkozy. Les intellectuels, qu’on dit souvent "de gauche", ne cherchent-ils pas à contrer (ou tout au moins nuancer) l’offensive idéologique sarkozyste, offensive tous azimuts qui prétend à la fois affirmer des valeurs de droite très claires et, paradoxalement, atteindre un absolu et un ralliement de tous (cf la prétendue ou réelle ouverture) ?
Bien entendu ils ne se présentent pas ainsi, insistant même sur leur rôle "non partisan". Mais l’objectivité, la neutralité absolue, surtout lorsqu’on prétend vouloir peser dans le débat public, est-elle possible ? Finalement, ces sites sont-ils engagés ou, à l’inverse, victimes du syndrome (discutable) de la pensée tiède cher à Perry Anderson ?
3/ une autre caractéristique de ces initiatives, selon moi, c’est d’adresser une critique à peine voilée à deux catégories de "faiseurs d’opinion" : les médias classiques, i.e. les journalistes, mais aussi les blogueurs. Fort de leur statut de chercheurs, donc de spécialistes et "d’experts", les animateurs de ces portails en ligne entendent donner au citoyen des éléments plus argumentés, structurés et fiables, que ceux que nous balancent chaque jour ces "faiseurs d’opinion".
Ayant pris conscience (avec quelques années de retard) du pouvoir du web, les sciences humaines et sociales se décident donc à l’investir et proposer une alternative crédible au journalisme et au blogging, jugés trop approximatifs voire même véhiculant préjugés, erreurs ou diffamations.
Ce qui est amusant, soit dit en passant, c’est de voir à quel point, globalement, les créateurs de ces sites transposent la logique "papier" sur le web, sans beaucoup prendre en compte le 2.0. D’où des portails tantôt statiques, tantôt fouillis (tantôt les deux ;-).
4/ last but not least, le dernier grand point commun de ces initiatives me semble être leur prétention à "l’ouverture internationale". S’opposant à une conception (classique ?) de la vie intellectuelle française, très autocentrée voire parisianiste, ces portails se veulent ouverts sur les débats socio-politiques des pays étrangers, et entendent en finir avec "l’esprit de clocher". Un peu comme l’avait fait, en son temps, l’édition littéraire qui a permis de faire émerger en France la fiction américaine, asiatique, africaine, etc.
A l’heure de la mondialisation économique, nos intellectuels en sciences humaines et sociales (un peu à l’image des chercheurs scientifiques qui, eux, en ont davantage l’habitude) entendent également créer une république et une communauté universelle des idées.
Ce ne sont que des impressions. Les mois qui viennent permettront sans doute d’y voir plus clair, d’affiner le diagnostic, d’observer concrètement ce que ça donne.
Ce qui est sûr en tous cas, c’est qu’à un moment où la recherche en sciences humaines et sociales semble de plus en plus menacée puisque accusée, à tort ou à raison, de n’être pas suffisamment concrète (contrairement à la recherche scientifique qui est, elle, articulée au monde de l’entreprise et directement "utile" à la société), les plus augustes de ses représentants font bloc pour tordre le cou à cette idée.
Avec toutes les ambiguïtés que cela comporte.

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