Il y a vingt ans tombait le mur de Berlin. Quel symbole et quel bonheur pour le peuple allemand de se réunir alors. On espérait une mondialisation qui ré-ouvrirait bien des frontières, à l’image de ce qui se passait au sein de l’Union européenne.
Mais aujourd’hui des murs sont toujours là (comme celui entre les deux Corée) et certains ont même été érigés (comme celui séparant Israël des territoires palestiniens, condamné par la Cour Internationale de Justice et l’ONU).
Il y en a qui sont d’abord des frontières (comme ceux de Chypre, du Cachemire ou de Belfast) et d’autres qui marquent surtout un repli sur soi (comme celui entre les États-Unis et le Mexique ou la barrière de Ceuta et Melila en Espagne). Tous se caractérisent par une peur du voisin et la volonté de s’isoler, de rester entre semblables.
Construire un mur, c’est cacher à la vision un voisin dont la présence est devenue politiquement insupportable. C’est renoncer aux solutions politiques et humanistes pour s’enfermer dans des positions définitives et bloquées.
En plus d’être là pour séparer les Hommes ou les retenir, ils sont la cause indirecte de milliers de morts. Ces barrières infranchissables (sous peine d’être pris pour cible par un garde) incitent de nombreuses personnes à passer les frontières par les mers sur des embarcations de fortune ou par les airs dans des conditions toujours plus folles et plus dangereuses.
Chaque mur traduit l’échec du dialogue, du politique. Chaque mur marque de sa sinistre présence la victoire des rancœurs, de l’intolérance et de la brutalité. Un mur n’a jamais résolu le moindre problème, il ne prétend que le contenir. Ce qui se conçoit d’une prison ne devrait pas être envisageable pour une région, un pays.
Un mur, c’est la politique dans le court terme, or retarder n’est pas empêcher. On n’entrave pas le cours de l’histoire avec du béton et des barbelés. Ceux qui construisent les murs construisent un message politique brutal et démagogique.
Aujourd’hui, si les marchandises et les flux financiers disposent d’une totale liberté de circulation, il n’en est rien concernant les Hommes.
Cette mondialisation purement économique n’est pas la marque d’identités qui se mélangent et se grandissent de ce métissage. Elle se caractérise plutôt par un repli identitaire et une peur de l’autre grandissante. Le mur de la honte en Israël en est un exemple évident, mais chez nous, les périphériques, les barres HLM et les quartiers riches et pauvres de plus en plus isolés les uns des autres en sont aussi une traduction…
Enfin, le débat lancé par Éric Besson, qui lie de façon scandaleuse l’identité nationale à la lutte contre l’immigration, qui nie l’évolution de l’identité par le brassage culturel, nous révèle finalement qu’aucune leçon n’a été tiré de la chute du mur de Berlin.
Rappelons ce que François Mitterrand disait au Parlement européen le 17 janvier 1995 : « Chacun [voit] le monde de l’endroit où il se [trouve], et ce point de vue est généralement déformant. Il faut vaincre les préjugés. Il faut vaincre [son] histoire, sinon, il faut savoir qu’une règle s’imposera : le nationalisme c’est la guerre ». Monsieur Besson n’a rien compris et, avec lui, ceux qui se réjouissent de la chute d’un mur alors même qu’ils en construise mille autres. Ils seraient plus inspirés de se taire que de pérorer sur le sens de cet évènement duquel, à l’évidence, ils ont été incapable de tirer la moindre leçon.
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Nicolas Cadène & Jean-Louis Bianco