Les mystères d'Udolphe

Par Anne Onyme

Ann Radcliffe
Folio Gallimard
905 pages

Résumé:

Émilie explore le château mystérieux, chandelle à la main, à minuit. La menace (surnaturelle?) est partout présente. Les séquestrations, les tortures ne sont pas loin. Quel est le dessein du maître des lieux? Quels sentiments éprouve la jeune fille pour son tuteur et geôlier? Qui épousera-t-elle, après cette quête de soi à travers les corridors du château, qui ressemblent à ceux de l'inconscient?

Mon commentaire:

Les mystères d'Udolphe, roman gothique qui marqua son époque, a été publié en 1794. Une courte biographie se retrouve dans la section des dossiers. Vous pouvez la consulter ici.

Les mystères d'Udolphe raconte la vie d'une jeune femme pure et innocente, Emilie. Le roman est sensé se dérouler en 1584, mais tout au long de ma lecture, j'ai eu le sentiment de lire un roman de l'époque de Jane Austen. Emilie a toujours eu une enfance rangée et heureuse, à la campagne, à La vallée, un magnifique domaine. Quand elle perd ses parents et se retrouve orpheline, elle est prise en charge par sa tante et son mari, le terrible Montoni, qui veut l'éloigner de La Vallée. Il la prend en quelque sorte en otage et l'amène à Udolphe, un château mystérieux rempli de couloirs, de secrets et de revenants. Au fil des pages, la pression est insoutenable sur cette pauvre Emilie qui se voit confinée au château sans aucun espoir pour le futur. D'autant plus qu'à cette époque, l'Italie est déchirée par les guerres civiles. Les invasions de château, les brigands et les criminels sont légion.

"Au-delà de Milan, le pays portait le caractère d'un ravage plus affreux. Tout alors y paraissait tranquille; mais ce repos était celui de la mort sur des traits qui conservent encore la hideuse empreinte des dernières convulsions." p.254

Le roman raconte les aventures et mésaventures d'Emilie, de la France à l'Italie, avec à la fois l'homme qui fait battre son coeur, ses domestiques et femme de compagnie, ses amis qu'elle rencontre au fil du temps et ses ennemis, qui sont de plus en plus nombreux. Entre les châteaux et les voyages, Emilie devra affronter ses sentiments, son geôlier, se battre pour recouvrer ses bien et faire face à plus d'un fantôme! Les revenants et les secrets mystérieux sont une bonne part de ce roman gothique. Toutefois, même si certaines scènes sont marquantes (le voile noir, la tour où se trouve Madame Montoni ou encore, la chambre de la marquise) Ann Radcliffe a opté pour une explication rationelle des événements.

Il est d'ailleurs intéressant de comparer Udolphe à Northanger Abbey de Jane Austen. Le second roman se voulant une parodie du premier, on retrouve dans les deux le thème récurrent de l'imagination débridée. Dans Northanger Abbey, Catherine lit Les mystères d'Udolphe et son imagination lui fait croire toutes sortes de choses sur l'abbaye où elle séjourne. Dans Udolphe, Emilie aime les livres, mais ce ne sont pas vraiment eux qui lui offrent l'occasion de s'enflammer l'imagination. Elle vit trop d'évenements brutaux et violents pour que sa raison prenne le pas sur son imagination. Alors elle se contente de croire ce qui semble être. Une imagination fertile au service d'une âme sensible ne peut que produire des malentendus et de grossières erreurs...

Les mystères d'Udolphe est-il encore effrayant aujourd'hui? Oui et non. Si l'on compare ce livre très descriptif qui s'attarde sur les paysages et les sentiments, aux productions d'horreur d'aujourd'hui, il est très peu terrifiant et les deux ou trois scènes qui donnent le frisson paraissent bien légères par rapport à ce que nos yeux contemporains sont habitués de voir et de lire. C'est de cette façon que l'on constate aussi que notre seuil de tolérance est beaucoup plus haut aujourd'hui face à l'horreur, qu'il pouvait l'être à l'époque. Cependant, si on se replace dans le contexte d'écriture de ce roman, il peut procurer quelques frissons. Udolphe est un roman issu du préromantisme. Il priorise les sentiments à la raison, la sensibilité à la rationalité. Il met en avant les sentiments et la nature pour chercher à stimuler la rêverie chez le lecteur. Nous avons donc droit à de longues descriptions du paysage, des scènes courtoises, les bonnes manières, qui tendent à rendre le texte lent et sensible. Le temps s'écoule doucement, au gré des journées de contemplations et des promenades. Ces scènes contribuent à rendre l'histoire inoffensive si bien que lorsque les événements s'enchaînent, que les éléments gothiques tels des revenants ou des visions interviennent, tout cela contribue à frapper l'imagination du lecteur et à offrir quelques surprises. Et pourquoi pas un ou deux frissons, si on s'offre le luxe de laisser vagabonder notre imagination.

Le personnage d'Emilie est assez intéressant si on le replace dans son contexte. Tout d'abord, c'est une jeune fille issue d'une famille où la tranquilité, un bonheur simple et des lieux bucoliques sont à la base de tout. Elle a été protégée du monde. Sa rencontre avec Montoni, véritable brute sanguinaire, la plonge dans un monde qu'elle ne doutait même pas. L'auteur en a fait une héroïne qui s'évanouit souvent, qu'on doit relever et rafraîchir régulièrement. C'est une jeune fille au bonheur exalté ou à la sensibilité exarcerbée, toujours au bord des larmes. Cependant, sans excuser son comportement un peu enfantin et fragile, il demeure qu'elle fait tout de même face à tout ce qui l'attend. Ce n'est pas une héroïne modèle, mais elle reste en symbiose avec la façon dont elle a été élevée.

Le titre du roman, Les mystères d'Udolphe, est plutôt curieux. Le volume est divisé en quatre livres. Udolphe ne prend qu'un quart, peut-être un peu plus, du roman. Les scènes à ce château tardent à arriver et ne sont pas l'objet même de l'histoire. Il se produit énormément d'autres choses. Le titre laisse penser que tout tourne autour d'Udolphe, alors que ce n'est en fait qu'un événement parmis d'autres. J'ai d'ailleurs une préférence pour les secrets entourant le château de la Marquise à ceux de Montoni et d'Udolphe.

Il est aussi intéressant de faire une parenthèse avec L'Italien, ou le confessionnal des pénitents noirs, un autre roman d'Ann Radcliffe que j'ai lu il y a un moment. Les deux racontent en quelque sorte une histoire similaire. Udolphe est un sacré pavé alors que L'Italien se lit assez rapidement. L'Italien met en scène les desseins d'une mère infâme, alors que Udolphe a son Montoni qui ne donne pas sa place non plus. Dans l'un comme l'autre des romans, un jeune couple devra faire face au diable incarné qui fait tout pour contrecarrer leur amour. Ils vivront des questionnements sur la relation qui les unie et devront faire face à des gens malintentionnés qui souhaitent les séparer.

Il n'existe pas, à ma connaissance, d'adaptation cinématographique d'Udolphe. On se demande bien pourquoi, puisque ce pavé est un vrai roman d'aventures et se transposerait merveilleusement bien au cinéma. En tous les cas, Les mystères d'Udolphe est une lecture qui fut très intéressante, que j'ai énormément aimée et qui donne envie de poursuivre la découverte des romans gothiques.

J'ai pris beaucoup de plaisir à en parcourir les pages. Aimant les belles descriptions de paysages et de voyage, je n'ai personnellement pas trouvé de longueurs à ce roman. J'ai aussi lu tout ce que j'ai pu trouver autour du préromantisme, de cette façon de décrire les choses et d'Ann Radcliffe. On peut d'ailleurs, en replaçant le livre dans son contexte, comprendre qu'il ait fait couler beaucoup d'encre à sa parution! Ce n'est pas le type de lecture qu'on aurait tendance à prescrire à une jeune fille de bonne famille. Un livre qui peut effrayer par sa longueur et par ses descriptions, mais qui est étonnament très abordable et très intéressant à lire. Je le conseille fortement, même si je suis consciente qu'il peut en rebuter plus d'un.

En terminant, quelques mots au sujet des traductions disponibles des Mystères d'Udolphe. L'éditions chez Gallimard, en Folio, est probablement la plus complète de celles existant en langue française. Elle offre 905 pages et s'accompagne d'une préface intéressante, de notes sur le texte et d'un dossier. Nous devons cette traduction à Victorine de Chastenay, en 1797. Cette dame, dont la vie et le travail d'écriture nous est raconté à la fin du roman, a énormément de points en commun avec l'héroïne, Emilie. Cette parenthèse est très intéressante. Pour l'édition Folio, Maurice Lévy a révisé le texte. Le texte de base est donc celui de Victorinne. Les erreurs de traduction ou les interprétations erronées ont été corrigées par Lévy. Si on le compare à l'édition originale anglaise, il subsiste toutefois deux choses que Victorinne de Chastenay n'a pas cru bon de traduire. Tout d'abord, les vers choisis par Radcliffe en épigraphe à ses chapitres n'apparaissent pas dans la version française. N'apparaissent pas non plus les traductions des poèmes qui se glissent à travers le texte original. Je ne sais pas jusqu'à quel point ces éléments sont intéressants et apportent quelque chose au récit. C'est un peu dommage de ne pas les avoir, cependant après avoir parcouru quelques commentaires sur l'édition anglaise, plusieurs lecteurs ont carrément passé par-dessus ces poèmes pour se concentrer sur le texte. D'autres éditions ont été publiées des Mystères d'Udolphe, mais elles sont soient tronquées d'un nombre important de chapitres, soient beaucoup trop modernisées pour soit-disant "plaire au lecteur d'aujourd'hui". Cependant le texte originale en perd toute son essence...

Quelques extraits:

"En cultivant son esprit, Saint-Aubert lui avait assuré un refuge contre l'ennui et l'oisiveté. La dissipation, les brillants amusements, les distractions de la société dont sa position la séparait, ne lui étaient point nécessaires." p.168

"Hélas! je conçois bien à présent que la force du courage est préférable aux grâces de la sensibilité. Je m'efforcerai d'accomplir ma promesse; je ne me livrerai pas à d'inutiles lamentations et j'essairai de souffrir sans faiblesse l'oppresson que je ne puis éviter." p.296

"Emilie regarda le château avec une sorte d'effroi, quand elle sut que c'était celui de Montoni. Quoique élcairé maintenant par le soleil couchant, la gothique grandeur de son architecture, ses antiques murailles de pierre grise, en faisaient un objet imposant et sinistre. La lumière s'affaiblit insensiblement sur les murs, et ne répandit qu'une teinte de pourpre qui, s'effaçaant à son tour, laissa les montagnes, le château et tous les objets environnants dans la plus profonde obscurité." p.312

"Qui donc a pu inventer les couvents? Qui donc a pu le premier persuader à des humains de s'y rendre, et, prenant la religion pour prétexte, les éloigner de tous les objets qui l'inspirent?" p.633

"Sûrement, il est quelque magie dans la fortune, qui fait courir à sa suite les personnes même quand elles n'en bénéficient pas! Combien il est étrange qu'un sot ou un fripon soit traité, moyennant sa fortune, avec plus d'égards qu'un homme de bien, qu'un sage réduit à la pauvreté!" p.767

En complément:

Voici un extrait intéressant issu d'une parodie des Mystères d'Udolphe où le personnage principal parle du roman en disant:

"Quel roman! C'est le beau idéal de la laideur souterraine. Comme ils sont gais auprès de celui-là tous les triste ouvrages du même auteur! Jamais Ann Radcliffe n'a fait plus de dépenses de frayeur que dans Udolphe. Chaque page semble tourner avec accompaghement de ferrailles; chaque ligne est sablée avec de la poudre de tombe; chaque lettre est un oeil éteint qui regarde le lecteur. Un homme nerveux ne peut dormir dans une chambre habitée par ces quatre volumes sulfureux; il est obligé de les exiler, dans l'intérêt de son sommeil."
Joseph Méry, Le château d'Udolphe, Les nuits anglaises, 1840.