La "révolution verte" de Sarkozy: Le Paradoxe de Grenelle

Publié le 25 octobre 2007 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

Editorial de Daniel RIOT pour RELATIO.

« En un sens, la France a la chance d'être pionnière, de donner un bon exemple dans une situation où malheureusement elle est en retard par rapport à ses voisins européens », a lâché l'astrophysicien Hubert Reeves qui a appris à bien regarder la Terre en auscultant les étoiles… Voilà un bon résumé de ce qu’il faut bien appeler le « grand paradoxe de Grenelle ».

On y a fait du bruit. Il le fallait pour réveiller les consciences. La médiatisation, ici, n’est pas sans effet positif. La "méthode Sarko" a du bon. Surtout quand elle est mise au service de bons principes:précaution(réaffirmée,contrairement aux appels d'Attali),transparence, responsabilité, politique de vérité, état de droit...

On y a réuni des parties prenantes variées aux intérêts contradictoires et aux aspirations différentes. Borloo, en l’occurrence, a bien rempli son rôle de GO, comme on dit au ClubMed,  avec l’aide de la technicienne compétente Nathalie Kosciusko-Morizet, et l’active participation de Nicolas Hulot, grand prêtre de l'écologie bien communiquée. Un bon exemple de concertation entre autorités politiques et représentants de la « société civile ».

Et on y a pris, surtout, des décisions et des engagements qui constituent des progrès incontestables mais qui,  dans leur grande majorité, … ne suffisent à pas à combler les retards européens de la France en matière d’environnement. Il est LA, ce "paradoxe de Grenelle", un paradoxe bien français... Même si, sur bien des points, les engagements pris par Sarkozy ouvre des horizons qui finissaient par être inespérés...Et si la référence à l'Union européenne a été constante.

Les discussions sur les pesticides sont les plus révélatrices de nos difficultés nationales à appliquer des orientations européennes et a fortiori à nous montrer, jusqu'ici,  « en flèche » au niveau européen.

Le texte adopté à Strasbourg par le Parlement européen est plus ambitieux et rigoureux que les résolutions prises, après bien de polémiques, lors du « Grenelle ».

Il est vrai que ce texte euro-parlementaire n’a été approuvé qu’en première lecture, et que des batailles d’amendements s’annoncent difficiles dans les débats prochains. Mais le Parlement durcit les mesures préconisées par la Commission, alors qu’à Paris les objectifs affichés ont été revus sérieusement à la baisse et lié « aux solutions de substitution » (non encore mise au point).

Rappel des mesures "strasbourgeoises": Réduction de l'utilisation de pesticides de 25% d'ici 5 ans et de 50% d'ici 10 ans, interdiction de pulvérisations aériennes, plus grandes règlementations plus rigoureuses de « l’usage banal » des pesticides (dans les jardins publics, par exemple) et des agréments des nouveaux produits… 

Rappel de la réalité: la France est le plus gros consommateur de pesticides en Europe (triste titre de « champion » !) et le troisième du monde ! Selon une étude de l'Institut français de l'environnement (IFEN) 90 % des rivières et 50 % des nappes phréatiques sont contaminées par ces pesticides qui se retrouvent bien sûr dans les aliments. Selon une étude de 2005 de la répression des fraudes française (DGCCRF), portant sur les fruits et légumes (3 098 échantillons), seuls 55,4 % des échantillons ne contiennent pas de résidus… Et ne parlons pas des catastrophes des Antilles françaises : le scandale du chlordécone, interdit mais utilisé illégalement aurait dû (et devrait) être dénoncé avec plus de vigueur, pour le moins...

Dans ce contexte, la détermination affichée par Sarkozy fait plaisir à voir : elle autorise même quelque optimisme. Mais son autosatisfaction étalée vaut d’être nuancée. Chacun sera jugé sur les actes. Comme après le « Grenelle de 68 », les « événements » continuent…"Le Grenelle n'est pas une fin, mais un commencement", a dit Sarkozy.

Désormais, c’est en effet le « suivi de Grenelle » qui va compter.

Des réticences sectorielles se manifestent déjà : c’est prévisible, « gros comme un camion ». En matière législative, l’UMP se morcelle déjà en fonction des « groupes de pressions » qui s’activent… Et en matière fiscale, « l’usine Bercy » va jouer à fond de son hyper-puissance.

La taxe carbone sera plus qu’un test. Comme la loi annoncée sur les OMG. Comme le triplement des surfaces consacrées à l’agriculture biologique (de 2% aujourd'hui à 6% d'ici 2010 ou 2012) .Comme le retrait du marché d’ici quatre ans des 50 substances les plus dangereuses utilisées dans l'agriculture. Comme les financements qu’il faudra bien trouver, car de tels programmes ont un coût…

Mais il est permis de rêver. Les sceptiques n’ont pas toujours raison ! Si au moins ce « Grenelle » aboutissait à une accélération de la traduction des directives communautaires dans notre législation nationale…Si, pour reprendre, une exhortation de Corinne Lepage, ce « Grenelle » nous engageait en termes de protection de la nature, de qualité de la vie, d’écologie sur la voie de la « clause du citoyen européen le plus favorisé »…

La révolution culturelle qu’implique une « éco-économie » reste à faire. Au moins, Sarkozy a-t-il entamé une belle révolution politico-administrative en termes de concertations et en matière de vigilance écologique. En cela, comme dit Reeves, la "France est pionnière" là où elle est tellement "en retard". Que Sarkozy ait invité Barosso (avec Al Gore) à assister à cette première synthèse de Grenelle est encourageant. Après le "paradoxe de Grenelle": la "cohérence de Grenelle"? Ce serait vraiment bien...

Daniel RIOT

A LIRE (pdf): L'ENVIRONNEMENT ET L'UNION EUROPEENNE >>>>>>>

Les principaux points

Le président Nicolas Sarkozy présentait, jeudi 25 octobre, ses arbitrages sur différentes mesures du Grenelle de l'environnement.
LE GRENELLE
Nicolas Sarkozy a affirmé que le Grenelle de l'environnement était "une révolution dans nos comportements, dans nos politiques, dans nos objectifs et dans nos critères", qu'il ne s'agissait pas "d'une fin mais d'un commencement" qui nécessitait "un suivi".Le président s'est engagé à "porter et à mettre en oeuvre" les propositions issues du Grenelle, qu'il a déclaré "faire siennes".

FINANCEMENT

Nicolas Sarkozy a annoncé un programme doté d'un milliard d'euros sur quatre ans "pour les énergies et les moteurs du futur"."Les prélèvements du Grenelle iront au Grenelle".La "taxe écologique annuelle sur les véhicules neufs les plus polluants" - l'éco-pastille - doit "permettre de financer le retrait des vieilles voitures polluantes grâce à une prime à la casse progressive et durable pour aider au rachat d'un véhicule propre".
PRINCIPE DE PRECAUTION
Le chef de l'Etat a défendu le "principe de précaution (...) qui doit être interprété comme un principe de responsabilité", notamment pour les auteurs de pollutions."Le principe de précaution n'est pas un interdit mais un principe de vigilance et de transparence (...) qui doit être interprété comme un comme principe de responsabilité", a-t-il déclaré. Ce principe, a-t-il poursuivi, doit s'appliquer à "celui qui pollue (et) doit être comptable de ses actes, même des années plus tard".Il a promis de "faire sauter les barrières juridiques" afin de poursuivre les maisons-mères quand leur filiale est responsable d'une pollution."Le principe de responsabilité limitée ne doit pas devenir prétexte à un principe d'irresponsabilité".
OGM
Nicolas Sarkozy a suspendu la culture commerciale des OGM "en attendant les conclusions d'une expertise à conduire par une nouvelle instance, qui sera créée"(au niveau européen) d'ici la fin de l'année.
PESTICIDES
Nicolas Sarkozy a "demandé" au ministre de l'Agriculture "Michel Barnier de proposer avant un an, un plan pour réduire de 50% l'usage des pesticides, dont la dangerosité est connue, si possible dans les dix ans qui viennent".Il a promis, pour atteindre cet objectif, "d'accélérer la mise au point de substances de substitution" et a jugé "urgent de renforcer la recherche publique". "Il est temps de reconsidérer le système", a estimé Nicolas Sarkozy, pour qui cependant "ce n'est pas aux agriculteurs d'être seuls responsables"."Ceux qui recommandent et vendent ces produits doivent aussi rendre des comptes", a-t-il prévenu.
TAXE CARBONE
Le président s'est engagé à étudier "la création d'une taxe 'climat-énergie', en contrepartie d'un allègement de la taxation du travail", dans le cadre d'une remise à plat de la fiscalité en France."La fiscalité écologique ne doit pas se résumer à une compilation de petites taxes", a estimé Nicolas Sarkozy. "Il faut une profonde révision de tous nos impôts et taxes".
"L'objectif est de taxer plus les pollutions, notamment les énergies fossiles, et de taxer moins le travail", a-t-il poursuivi."Je m'engage à ce que la révision générale des prélèvements obligatoires se penche sur la création d'une taxe 'climat-énergie' en contrepartie d'un allègement de la taxation du travail pour préserver le pouvoir d'achat et la compétitivité", a-t-il affirmé.
Le chef de l'Etat a en outre appelé à "étudier" au niveau européen, "dans les six mois", "la possibilité de taxer les produits importés de pays qui ne respectent pas le protocole de Kyoto", interpellant le président de la Commission européenne présent dans la salle, José Manuel Barroso.
INFORMATION
Nicolas Sarkozy a promis un "droit à la transparence totale" de l'information environnementale, "y compris sur le nucléaire". Les Français "ont le droit de connaître la vérité sur les menaces d'aujourd'hui et de demain", "ont le droit de se faire leur propre opinion", a déclaré Nicolas Sarkozy. "Nous allons donc créer un droit à la transparence totale des informations environnementales et de l'expertise", a-t-il ajouté. "Toutes les données sans exception seront désormais communicables, y compris sur le nucléaire et les OGM", a-t-il expliqué. "Les seules limites seront le secret de la vie privée (...), la sécurité nationale et les secrets industriels", a-t-il indiqué.