Au moins, avec l’extrême gauche et l’extrême droite, on sait à quoi s’en tenir : c’est non ! FN et NPA même ritournelle : « J’ai rêvé d’un autre monde », l’un qui n’existe pas, l’autre qui n’existe plus, ce qui dispense d’améliorer celui-ci… Du PS au MoDem en passant par les frondeurs de l’UMP, les autres forces politiques s’opposant à l’ardeur réformatrice de l’actuel gouvernement entonnent sur tous les toits, chacun dans sa tessiture, la même Javanaise : « Nous nous aimons le temps d’une chanson » ; avec comme refrain, au lancement de tout chantier présidentiel : « Évidemment, mais pas comme ça ». Voici quelques échantillons de ce conservatisme bien tempéré.
Le chantier de l’éducation « Le fait est qu’il faut adapter notre École aux exigences de la société d’aujourd’hui, personnaliser le savoir, diversifier les parcours, favoriser le dynamisme en créant les conditions de la responsabilisation dans le souci constant de l’égalité des chances. Deux ou trois petits pas dans le bon sens, admettons-le, hélas sans les moyens, sans vision d’ensemble, sans idéal. Réformer l’École ? Évidemment, mais pas comme ça . »
Le chantier de l’audiovisuel « C’est vrai que la publicité installait depuis trente ans le poids de l’argent privé dans les chaînes publiques ; vrai aussi que le pillage des œuvres sur internet pose la question de la survie de la création française. Liberté d’expression et droits des auteurs, financement marchand et exigence culturelle : autant de vastes questions qui méritent mieux que des mesures au pas de charge. Revoir les équilibres de notre espace audiovisuel ? Évidemment, mais pas comme ça . »
Le chantier du secteur public « Loin de nous l’idée que la Poste, l’Hôpital, notre Défense, nos tribunaux puissent s’engager vigoureusement dans le XXIe siècle mondialisé sans un délicat aggiornamento. Rationaliser la gestion, éviter l’émiettement, combattre le gaspillage, évidemment ! Qui pourrait être contre ? Ce sont là quand même des problèmes de société très sensibles, qui exigeraient de vastes tables rondes. Rénover le secteur public ? Évidemment, mais pas comme ça.»
Le chantier de la sécurité « Non, pour nous le sujet de la sécurité n’est pas tabou. La sécurité est même un droit élémentaire des citoyens, surtout des plus faibles, et donc un devoir de l’Etat. Pas question de laisser s’installer sur notre territoire des zones de non-droit. Demandons-nous pourtant si l’on devient délinquant par plaisir ; si la punition est la bonne réponse au délit ; s’il n’est pas urgent de faire une pause sur ces sujets, afin de réfléchir dans la durée aux conditions d’une prévention efficace. Plus de sécurité ? Évidemment, mais pas comme ça . »Le chantier des collectivités locales « Il est vrai qu’on peut souhaiter simplifier, clarifier les cercles de compétence et de décision empilées au fils des décennies et dans lesquels nos concitoyens se perdent un peu. D’accord même pour adapter nos structures régionales à la concurrence européenne et mondiale. Qui parle de se figer dans la nostalgie des 35.000 clochers ? La mise à jour de notre régionalisation mériterait du moins un débat approfondi, un livre blanc, un moratoire. Clarifier les structures locales ? Évidemment, mais pas comme ça . »
Le chantier de l’immigration et de l’identité nationale « Bon, c’est entendu, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Et notre peuple composite peut avoir envie de faire le point sur les valeurs qui le cimentent. Est-ce une raison pour reconduire chez lui quelqu’un qui est sur notre sol illégalement ? Les droits de l’homme n’incluent-ils pas celui de libre circulation ? Le cœur aussi n’a-t-il pas ses raisons ? la nation un relent de pétainisme ? Trouver des garde-fou et resserrer les liens, évidemment, mais pas comme ça . »Épargnons-nous la revue d’autres chantiers pour la monotonie de la même chanson. On dira : « Rien là de choquant. C’est le jeu normal de la démocratie ». A quoi le bon sens répond : quand on trouve que les réformes utiles (qu’on n’avait jamais osé entreprendre) sont mal engagées, le « jeu de la démocratie » est de proposer un corpus cohérent de mesures alternatives, applicables si possible un peu avant les calendes grecques. Or toujours rien en vue, ni à gauche ni au centre, en dehors du dénigrement. S’opposer ? Évidemment, mais pas comme ça .
Arion