Alors que mes souvenirs berlinois étaient revivifiés par les super billets de Vanessa et les reportages sur la chute du Mur, alors que j’hésitais à me plonger dans un roman en VO de Thomas Brussig offert par **D** (tout en sachant que mon enthousiasme allait s’affaiblir au fil des pages semi-comprises et lues à une vitesse neurasthénique), je reçus grâce à Babélio et aux éditions des Allusifs un roman d’Iris Hanika, Une fois Deux (Treffen sich zwei), se déroulant à Berlin et bénéficiant de surcroît de l’attrait d’une traduction qui permit une lecture aisée et divertissante.
Comme le titre l’indique (en allemand du moins, ce n’est pas parce que je n’ai pas fait un effort de lecture en VO que je ne peux pas pérorer), ce roman est une énième variation sur le « boy meets girl » des comédies romantiques (et des romans Harlequin, l’été est déjà si loin, pense-t-on nostalgiquement, sous le brouillard nocturne de 14h30). Lui : Thomas est ingénieur système (vous ne savez pas exactement en quoi ça consiste ? vous n’êtes pas seul, et ce roman tentera d’éclairer un peu votre lanterne ; enfin peut-être), a une quarantaine d’années, des yeux verts affectés d’un léger strabisme et un corps aux proportions étonnantes. Elle : Senta doit son nom à la passion wagnérienne de ses parents, travaille dans une galerie pour un juriste passionné d’urinothérapie, et consacre une certaine partie de son temps à pleurer, exercice mi-désagréable mi-relaxant qui ne favorise pas forcément sa vie sociale.
Ils sont imparfaits, mais cela ne les empêche pas de se reconnaître instantanément et de céder à cette attraction ; c’est ensuite que ça devient plus compliqué, parce que comprendre ses désirs, accepter les différences de l’autre, c’est tout un chemin à parcourir pour être enfin réuni à l’autre. Tous deux habitent dans le quartier de Kreuzberg, mais le mur entre eux est symbolisé par une promenade entre leurs deux rues le long de l’ancien no man’s land de part et d’autre du mur, transformé en jardin après la réunification.
Comme le titre l’indique aussi (en français cette fois), le style ne va pas précisément être celui d’un roman à l’eau de rose mais le ton est plutôt celui d’un analyste et d’un mathématicien. Nos héros sont un peu comme deux rats de laboratoire dont on étudie les réactions physiologiques et sociales au cours du mois qui suit la rencontre. Au début, ça m’a agacée. Parce que le temps de la rencontre (un instant d’éternité, certes) est démesurément étiré, chaque geste précisé, chaque émoi disséqué. Ensuite, l’intrigue (ténue, forcément) est interrompue malicieusement par différents chapitres « documentaires » sur des sujets aussi divers que les questions les plus souvent posées sur les études de Senta, les conditions requises pour la réussite d’un « quickie » (rapport sexuel impromptu) ou l’histoire de Kreuzberg.
Mais finalement, malgré l’apparente distanciation de la narratrice, on se laisse conquérir par son humour et par le caractère burlesque de cette histoire d’amour, mise en péril par la fougue même des ébats des amants, culminant dans une scène improbable au restaurant qui mélange déclaration d’amour et scène de rupture… L’analyse des petits malentendus entre Thomas et Senta quitte bien vite le domaine de la pure science humaine pour devenir une comédie du désir et du hasard, d’autant plus jubilatoire qu’elle est cruelle.
Drôle, actuelle et émouvante, mine de rien, voilà une très bonne lecture !