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Nous serons toujours déçus, n’est ce pas, c’est ça ?

Publié le 07 novembre 2009 par Perce-Neige
Nous serons toujours déçus, n’est ce pas, c’est ça ?
Il fallait y voir un signe du destin, ou bien la marque d’une intelligence supérieure, ce qui revenait au même, en deux mots l’imprévisible projet d’une divinité insoupçonnée, perpétuellement occupée, on ne sait où, dans les profondeurs du cosmos, peut-être, à veiller pourtant, nuit et jour, sur l’équilibre fragile, et aléatoire, du monde. Charles en était tout à fait persuadé. Car la probabilité pour que nos existences se perpétuent, avec plus ou moins de bonheur, certes, mais tout de même, était incroyablement faible… Même l’apparition de la vie sur terre relevait du miracle absolu… Et certains astrophysiciens en arrivaient à penser que la structure intime de la matière ne pouvait être complètement l’œuvre du hasard. Quand vous n’avez, littéralement, qu’une seule et misérable chance de remporter un prix quelconque sur des milliards et des milliards de milliards d’autres imbéciles comme vous, et qu’en dépit de cela vous empochez le gros lot, nécessairement vous vous posez des questions, non ? C’était fou… Proprement fou. De quoi vous donner la chair de poule. Sauf qu’en l’occurrence, avec tout ça, il s’était bel et bien perdu dans la forêt. C’était trop bête, bon sang de bonsoir. Lui seul s’était cru suffisamment malin, sur le perron du manoir, pour dédaigner la boussole qui lui avait été réservée. Et afficher un sourire serein, magnifique, quand, tous, l’avaient gentiment taquiné après qu’il leur eut annoncé, non sans grandiloquence, qu’il préférait, quant à lui, se fier à son instinct. « Ce que, pré-ci-sé-ment, mes amis, je vous engage à faire, par-fois… » avait-il ajouté, lentement, en balançant la tête de droite à gauche, et en les fixant du regard, les uns après les autres, avec une insistance un peu excessive, tout de même. Et les rires, peu à peu, avaient cessé. Restait le froid, presque sibérien, qui commençait à pas mal décourager les plus volontaires d’entre eux, lesquels, engoncés dans leurs anoraks, ou leurs manteaux, entortillés dans leurs écharpes de laine, dansaient d’un pied sur l’autre, recroquevillés sur eux mêmes, pestant en silence contre les rigueurs du temps, ou contre leur imprévoyance du moment, se réchauffant d’un bref ricanement, se frottant les mains l’une dans l’autre, claquant des dents à tout va, tremblant à la cantonade, grognant de plus belle, se jetant avec une avidité suspecte sur la moindre cigarette que l’un de leurs compagnons d’infortune, bon prince, s’apprêtait à dégoupiller, piaffant eux aussi de s’élancer sur les chemins, histoire d’en finir au plus vite, d’accord… D’accord ! Ils avaient tout compris. Il n’était pas nécessaire d’insister davantage. Sac-de-Nœuds, avait été, mine de rien, le premier à en tirer toutes les conséquences puisqu’il s’était brusquement éloigné, sans un mot, mais non sans avoir adressé un drôle de salut étrangement désinvolte au reste de la troupe avant de disparaître, vite fait, derrière la haie et de filer directement vers la forêt. Voilà qui était sans doute un peu trop audacieux, non ? Langue-de-Vipère avait, alors, un peu tergiversé, cherchant à obtenir de Charles qu’il confirme, encore une fois, son souhait de les voir tous, oui tous, participer à ce qui n’était sans doute pas autre chose qu’une mascarade, au mieux un jeu, mais proprement stupide, au fond. Tous, même ceux qui, comme lui, avaient un peu mal au genou ? Ou qui, suivez mon regard, comme Lampe-en-Carton se plaignaient d’avoir passé une nuit pour le moins épouvantable… Ou qui… Ce n’était pas la peine d’insister, s’il vous plait. Car, non, ce jeu n’était pas stupide. Et d’ailleurs ce n’était pas vraiment un jeu. Dans l’univers des amérindiens, savoir s’orienter au milieu du désert, ne jamais perdre son sang froid et retrouver la bonne direction, quoiqu’il arrive, n’avait rien, mais rien, d’une aimable partie de plaisir. Un tel exercice, franchement, permettait réellement de comprendre à quel point le monde qui nous entoure est également celui qui nous charpente. « Nous sommes les brindilles que nous foulons à nos pieds, mes amis ! » avait-il ajouté sans être vraiment persuadé, tout de même, qu’il parviendrait aussi vite à les convaincre. Des brindilles, un souffle de vent, l’envol d’un étourneau, le chant d’une tourterelle… Faire corps avec tout ce micmac, bon Dieu… Parvenir à ça, au moins une fois, avant de tirer sa révérence ! Car, à tout bien réfléchir, le moindre frémissement de la nature aurait du, tous, les transporter d’enthousiasme, non ? Sauf que, deux heures plus tard, après avoir traversé plusieurs fois cette putain de clairière – il était absolument sûr et certain d’être déjà passé par là – l’enthousiasme en question s’était légèrement émoussé. Bon, en un sens, il n’y avait strictement aucune raison de s’alarmer ! Certes, à en croire ce qu’on vous racontait vaguement dans les locaux de l’office du tourisme, du moins si vous aviez la chance d’y trouver âme qui vive en la personne d’une jeune femme au visage ingrat et à la démarche épouvantablement nonchalante, certes, donc, la forêt de Grandosc semblait s’étendre assez loin, et même très loin en vérité, sur un territoire tout à fait considérable… Certes ! Mais, à force d’arpenter les sous-bois, de revenir sans arrêt sur ses pas, d’explorer d’autres pistes, il était inévitable qu’il finisse par tomber sur un chemin de traverse, une indication un peu précise, une route goudronnée, une maison forestière… N’importe quel repère ferait l’affaire, au fond, et Charles avait encore, à vue de nez, de longues, de très très longues heures devant lui, quatre ou cinq, au moins, avant que la nuit ne tombe, et que thermomètre ne descende encore d’un cran, et frise le ridicule en s’enfonçant à une vitesse vertigineuse comme s’il cherchait, brusquement, à s’approcher du zéro absolu… Rester fidèle à lui-même, c’était la leçon qu’il devait impérativement tirer de la situation. Rien ne pourrait l’atteindre pour peu qu’il se cramponne comme un malade à l’image qu’il s’était toujours faite, au fond, de celui qu’il avait rêvé d’être, à ce moment-là. Savoir devenir immortel, ni plus ni moins, c’est le chemin à prendre, avait-il expliqué au groupe, la veille au soir tandis qu’ils étaient tous agglutinés autour de la cheminée, à commenter, sans fin, ce que Lampe-en-Carton leur avait déblatéré, les petites mesquineries de son patron, les humiliations quotidiennes, la manière qu’on avait de lui montrer qu’elle ne valait pas tripette, et puis les interminables disputes avec son mec, les leçons de morale de sa sœur, j’en passe… Parvenu en contrebas d’un talus couvert de mousses et de champignons, juste après avoir frôlé la catastrophe (il avait affreusement glissé sur des feuilles au risque de se déboiter définitivement la cheville) il éprouva, tout de même, un bref sentiment de découragement. Quelque part, très loin, dans une salle de classe du 11ème arrondissement de Paris, Hélène devait être à cent lieues de penser qu’il était à deux doigts, à ce moment-là, de verser une larme, et même un peu plus, à la seule évocation de son nom. Ce qui était le cas. Oui, à deux doigts… A deux doigts de craquer, tout simplement. Ayant avisé un tronc d’arbre qui semblait à même de pouvoir lui offrir un peu de repos, il opta, sans réfléchir plus que ça, pour une séance improvisée de méditation qui lui permettrait, accessoirement, de souffler un peu, et de reprendre des forces, et de retrouver un peu de tonus, de quoi tenir, bordel. Car il fallait absolument dénicher une solution quelconque et, comme de juste, la solution en question était, sans doute, lâchement embusquée au plus profond de lui-même. Ce qui impliquait de communier vraiment avec la nature. De comprendre le sens de tout ça. De sentir. De laisser, sagement, s’écouler le temps sans jamais craindre ce que nous réserve demain. D’écouter. Surtout cela, peut-être, d’ailleurs, écouter… Charles avait maintenant fermé les yeux. Et commençait à ressentir un léger bien être. Le sentiment que son corps pourrait bien, un jour, se mettre réellement à flotter. Ou même à naviguer, au gré du vent, entre deux eaux. C’était si bon. Et puis ce fut comme la révélation d’une présence. Charles eût soudain la certitude qu’il y avait bien quelqu’un tout près de lui, avant même de commencer à l’entendre s’approcher, à pas feutrés, sur le tapis de feuilles qui montait jusqu’à lui. Il s’efforça de tenir bon, et de garder obstinément les yeux fermés. De prolonger l’attente le plus longtemps possible. C’était Lampe-en-Carton qui marchait ainsi, avec une telle élégance, Charles en était à peu près sûr. Il savait que c’était elle, sans pouvoir néanmoins en expliquer la raison. La veille au soir, quand le feu avait décliné, et qu’ils avaient commencé, les uns et les autres, à se retirer dans leurs dortoirs respectifs, il avait longuement parlé avec la jeune femme. C’est alors qu’il avait compris, en l’écoutant, à quel point elle avait été réellement blessée par la vie. D’ailleurs, elle semblait éprouver un tel désarroi que Charles en avait été profondément troublé. Oui. Ils avaient fini par rester sans rien se dire, assis l’un à coté de l’autre, tandis que les braises, les unes après les autres, elles, finissaient par s’éteindre. Juste avant de déclarer, soudain, qu’elle était affreusement fatiguée, et qu’il fallait absolument qu’elle dorme, au moins une nuit sur deux, ou une nuit sur trois, ce serait déjà ça, lentement, elle s’était penchée vers lui, et avait posé sa tête contre son épaule. Et Charles, à ce moment-là, avait retenu sa respiration, et s’était efforcé de ne penser à rien d’autre qu’à l’intensité de ce qu’il aurait pu éprouver, si le monde était autrement, et d’abord lui-même, cela va sans dire. Il lui avait caressé les cheveux, et un peu les seins, mais pas plus, et sans même se retourner, l’avait laisser s’éloigner, et refermer doucement la porte derrière elle, jusqu’à ce que la nuit finisse par les emporter, comme elle nous emporte tous, régulièrement, sans que l’on n’y puisse rien, jamais. Et là, voilà qu’en plein jour, Lampe-en-Carton, allait à nouveau se matérialiser, à quelques mètres seulement de lui et qu’ils allaient pouvoir reprendre, ensemble, la conversation de la veille, et prolonger cette rencontre qui n’avait pas encore eu lieu mais à laquelle ils aspiraient tous les deux, voilà ce dont il était sûr, sûr et certain, même. Du moins avant d’ouvrir les yeux. Car, en lieu et place de la jeune femme, c’était, hélas, la silhouette, un peu moins aimable, il faut bien le dire, d’un type de son âge, équipé de pied en cape d’une panoplie de chasseur, et que Charles avait découvert après qu’un bref aboiement, localisé à quelques mètre seulement de lui, plutôt à gauche, eût subitement introduit un léger doute dans son esprit. Oui, c’était bien l’image d’un paysan au visage bourru qui s’était inscrite sur sa rétine, et non celle de Lampe-en-Carton, à peine protégée d’une nuisette, silhouette qu’il avait tout de même pu apercevoir, juste avant le petit déjeuner, et quelques secondes, pas plus, quand elle s’était faufilée, vite fait, dans la salle de bains, au milieu des vapeurs tropicales, j’en rêve. Oui, rien moins qu’un chasseur, la carabine en bandoulière. Le regard un peu mauvais, en réalité, et la gitane maïs de travers, la totale. Vous allez rire mais, à ce moment-là, Charles eût, réellement, un mal de chien à admettre immédiatement que ses sens puissent l’avoir trahi à ce point. Chaque jour est une leçon qui nous rapproche du néant. Voilà ce qu’il dirait, plus tard, à ses petits enfants. Pour peu, tout de même, que la divinité qui veillait sur lui accepte de lui en fournir, un jour, l’occasion. Et rien n’était moins sûr, croyez moi !

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