L’éditorial de Daniel RIOT pour RELATIO : Une chimère ? Une fausse bonne idée ? Un vrai projet ? Le concept « d’union méditerranéenne » de Sarkozy soulève pour l’heure plus de questions que d’enthousiasme, en dépit des approbations polies du Roi Mohammed VI et de quelques autres…Bien des problèmes sont sinon à régler du moins à clarifier, en effet :
1) Mettre ensemble des pays qui ne s’entendent pas n’est pas évident. Sans même parler des Israéliens et des Palestiniens, ne songeons qu’aux Marocains et aux Algériens. Les Sahraouis (entre autres) les séparent. Une union euro méditerranéenne présuppose une entente magrébine (une vieille idée, aussi !)
D’ailleurs, Sarkozy hier s’est ensablé. Il a fait plaisir aux Marocains en reconnaissant (à juste titre d’ailleurs) que leur plan pour le Sahara-Occidental était "sérieux et crédible", mais il a froissé les Algériens. « Le choix dangereux de Sarkozy », titre El Watan, (repris par Courrier International) « Nicolas Sarkozy a raté une occasion d'arrimer définitivement son pays au consensus mondial sur le Sahara-Occidental, ou de se taire dignement », écrit le quotidien Le Soir d'Algérie, en faisant référence à la position de l'ONU, qui a appelé en avril dernier le Maroc, « puissance occupante », et le Polisario à négocier l'avenir du territoire en vue de parvenir à l'autodétermination des Sahraouis.
2) Sarkozy, dans ses explications partielles, n’a pas dissipé deux doutes qui font faire d’amples commentaires dans le bassin méditerranéen. Premièrement : c’est l’immigration qui le préoccupe surtout (même si, avec doigté, il a mis cette question à l’ordre du jour d’un sommet différent). Deuxièmement : n’a-t-il pas comme vrai but de trouver une solution de rechange à la « question turque » ? Le quotidien marocain L'Economiste évoque ainsi « l'idée de base » du « partenariat privilégié », concept qui rappelle la « contre-offre » faite par Sarkozy pour évacuer l'intégration de la Turquie par l'UE…
3) L’espace euro-méditerranéen ne se limite pas aux pays des plages… Le Monde pose clairement la question dans son édito : « Quels sont les Etats du Nord qui, selon M. Sarkozy, participeront à cette coopération renforcée, où la France jouera un rôle essentiel, alors que les autres membres de l'UE ne seront qu'"observateurs" ? L'absence des Britanniques, des Allemands, des Scandinaves, etc., assurera-t-elle à cette Union le succès qui a manqué au processus de Barcelone, lancé en 1995 avec les mêmes objectifs ? »
D’ailleurs, pourquoi ne pas inscrire ce grand dessein dans la perspective d’une amélioration et d’un élargissement du processus de Barcelone qui a certes déçu mais n’est pas sans mérite.
En matière de coopération Nord-sud, on ne part pas de zéro :le Conseil de l’Europe a son centre (qui siège à Lisbonne). L’Union européenne a sa politique de voisinage qui peut être amendable et EUROMED n’est pas une boite vide ou une mécanique qui tourne à vide….Là est incontestablement la vraie question. Car tout ce que Sarkozy propose concrètement (et encore très partiellement, très superficiellement) pourrait très bien être réalisé dans ces cadres. Le développement durable, l'énergie, les transports, l'eau, l’université, des programmes du type Erasmus, des rencontres et des interactions culturelles, une agence de l'environnement et une autre dédiée à l'audiovisuel.. Ce « plus grand laboratoire du monde du codéveloppement » a-t-il besoin d’un nouveau mécano institutionnel ?
C’est beau et très digne de se réclamer de l’esprit des pères fondateurs de la CECA. Mais, la CECA c’est le contraire de l’intergouvernemental, de la simple coopération. Monnet et Schuman réveillez-vous ! On vous lit mal. Et on déforme l’esprit qui fut le vôtre…
Dans l’esprit des « pères fondateurs », ce sont les institutions communautaires qui seraient ou devraient être au coeur et à la tête de ce grand dessein.
Sur le fond, Sarkozy a raison : Sur les bords de la Méditerranée, « ici, on gagnera tout ou on perdra tout »… La coopération méditerranéenne est l'antidote des guerres de civilisations et de religions, l'arme décisive contre le terrorisme, le fondamentalisme et l'intégrisme. Et (devrait-il ajouter) contre les inégalités.Mais dans la forme la copie n’est pas au point. Le dessein est louable, le dessin est mauvais.
D’ici juin 2008, il peut évidemment améliorer ce que « Aujourd’hui Le Maroc » appelle pudiquement son « indice de crédibilité »… En attendant, on comprend « le scepticisme poli », comme dit diplomatiquement « La Nouvelle Tribune », que cette « coquille vide » inspire sur les rivages du Maghreb et dans de nombreuses capitales européennes, à commencer par Bruxelles où la Commission attend des « éclaircissements »…
Ce projet euro-méditerranéen, rêvé depuis longtemps, formalisé par Paul Valéry dans son « Regard sur le monde actuel », est trop beau pour être gâché par un manque d’esprit communautaire : ce serait insulter les « pères fondateurs » et l'avenir!
Daniel RIOT