Steve Albini, Big Black et The Jesus Lizard

Publié le 06 novembre 2009 par Mathieugandin

En inscrivant « Recorded By Steve Albini » sur chaque disque où il a officié en tant qu’ingénieur du son, Steve Albini se place dans une logique artistique plutôt louable en se contentant d’enregistrer les groupes qui viennent le voir et en leur laissant carte blanche pour leurs compositions. L’exact contraire du producteur influent qui s’implique dans la réalisation du disque, dont l’exemple le plus probant serait Nigel Godrich. Pourtant si l’on se replonge dans la discographie de Steve Albini, notamment celle de son premier groupe punk Big Black, difficile de ne pas y voir un rapprochement avec son travail sur la production de certains groupes comme The Jesus Lizard.


Bien sûr, à l’époque ces groupes faisaient tous partie de la même scène hardcore et s’influençaient entre eux, mais avec la récente réédition des albums de The Jesus Lizard j’ai été frappé par la ressemblance et la cohérence que l’on pouvait entendre sur le premier EP de Big Black « Lungs » et « Pure ». Même si Steve Albini a plus ou moins renié son premier effort, car trop imparfait dans sa production, je trouve pour ma part cet étrange disque de post-plein-de-choses légèrement industriel comme l’un des meilleurs disques de punk, notamment grâce à son esthétique dérangeante et DIY. A l’époque, Albini enregistre ce disque tout seul dans son appartement, en s’équipant d’un quatre-pistes portatifs prêté contre un pack de bières, d’une guitare électrique assez cheap, d’une basse abimé, d’un sale clavier et d’une boîte à rythme Roland TR606 qui restera le batteur de Big Black, dénommé « Roland ». Les six titres de « Lungs » sont enregistrés en une semaine et comportent déjà toute l’agression de l’Albini’s touch : Rythmes martiaux, basse lourde mixée très en avant, guitare aigue très agressive, et une voix étranglée, noyée dans le mix. Dead Billy, mon morceau préféré, tourne sur une sorte de groove tordu où on a l’impression de voir s’écrouler devant nous le tas d’os d’un GI mort au Vietnam. Les textes sont punks, politiques, dérangeant et gorgés d’humour tordu. Pour moi ce premier disque est l’un des plus beau et violent qu’a réalisé Steve Albini, presque un manifeste punk et DIY à lui tout seul …


« Pure », le premier EP de The Jesus Lizard reprend peu ou prou la même formule, à la différence prêt qu’il est enregistré en groupe, avec David Yow, David W. Sims et Duane Denison. En l’absence de batteur, le bassiste David W. Sims avait ramené et programmé une boîte à rythmes, on retrouve donc avec bonheur des cadences martiales particulièrement agressives. Je reste assez soufflé par le mix, où l’on entend encore la patte d’Albini : Basse très en avant, tempo militaire et guitare violente. La voix est encore en retrait, sauf que cette fois-ci c’est David Yow qui chante, pardon hurle. Ce dernier donne l’impression de se débattre face à la musique que joue le reste du groupe, en hurlant, criant, déglutissant, gesticulant, aboyant tout ce qu’il a au fond de ces tripes. Sur scène c’est le croisement d’Iggy Pop avec Lux Interior, et je me mords d’ailleurs les doigts de n’avoir pas vu The Jesus Lizard en mai dernier au festival Villette Sonique. L’étape suivante sera franchie sur le premier LP de The Jesus Lizard, « Head », où Albini semble avoir littéralement bâillonné Yow,  qui continue de beugler et brailler envers et contre tous.

La suite on l’a connaît, Steve Albini a enregistré des groupes de plus en plus connus (Pixies, Nirvana, PJ Harvey, Dionysos, Low, …), ce qui lui permit d’avoir un studio un peu plus gros, équipé de matériaux analogiques qui attirent encore des groupes de plus en plus connus … Un jour, il faudra aussi parler de Bob Weston, qui a aussi produit des groupes du même genre, qui tient la basse pour Shellac, le dernier groupe de Steve Albini, et avec qui il a collaboré pour remasteriser toutes les rééditions des albums de The Jesus Lizard. En attendant, je vous ai mis une vidéo de Dead Billy joué en live, que l’on peut entendre sur “PigPile” dans une version plus musclée que sur “Lungs”, ainsi qu’un live de Bloody Mary de The Jesus Lizard.

Par Mathieu

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