Considéré comme un des pères de l’Afrobeat ce mélange éclairé de jazz, funk et rythmes africains traditionnels, le saxophoniste/chanteur/activiste Fela Kuti fait partie de ces artistes ayant laissé leur empreinte de manière indélébile dans l’histoire de la musique. L’esprit «Fela» semble d’ailleurs s’être réveillé depuis quelques années, si tant est qu’il se soit assoupi, à travers, entre autres, les productions New-Yorkaises du Budos Band ou celles des Français de Fanga. Une scène au carrefour métissé de nombreuses influences, qui revendique un certain héritage afrobeat tout en construisant sa propre identité, et donne ici l’occasion de replonger dans le mythe Fela.
Pour comprendre un tant soi peu la musique de Fela Kuti, il faut également comprendre le contexte social, économique et politique de l’époque. Au début des années 70 le Nigeria est plein boom pétrolier, le peuple nigérian subit quand à lui la dictature d’élites politico-militaires corrompues et affamées par l’opulence de richesses.
Fela Kuti, né en 1938 à Abeokuta au Nigeria, tourne, à cette époque avec «Koolla Lobitos», le groupe formé avec des amis nigérians et antillais lorsqu’il était étudiant à Londres.
De retour d’une tournée aux Etats-Unis, durant laquelle il aurait rencontré une militante du mouvement pro-noir américain des Black Panthers, il revient conscientisé sur le sort du peuple noir. Renommant son groupe en «Afrika 70», sa musique ne sera plus jamais la même. Aucune frontière entre le musicien et l’agitateur qu’il choisit de devenir.
Fela se rapproprie son identité africaine en se convertissant à l’animisme. Coté musique, il injecte les rythmes et instruments locaux traditionnels au jazz qu’il jouait avec son groupe «Koola Lobitos». L’Afrobeat est né. Prenant la défense d’un peuple Africain/nigérian qui souffre, embourbé dans la misère et ses maux, l’artiste décrit en langue populaire Pidgin les réalités de la rue et injecte dans ses textes tantôt un message d’éveil et d’émancipation pour les siens tantôt un violent poison pamphlétaire dénonçant corruption et cupidité du pouvoir en place.
Le poids de ses écrits et son charisme font de lui un héros pour les africains mais il subit très durement la violence étatique qu’il combat : prison, tortures, harcèlement, exil au Ghana dont il sera également exclu pour avoir soutenu une manifestation d’étudiants.
Artiste indompté et indomptable donc, mais avant tout saxophoniste et chef d’orchestre extraordinaire, lui même entouré de musiciens talentueux.
Sorti en 1977, Zombie est un album à la beauté sauvage. Probablement l’album le plus important pour Fela Kuti et dramatiquement symbolique puisque le titre éponyme évoquant les abus et autres violences habituelles commises par les militaires, conduira à l’assaut de sa résidence et la défenestration de sa mère. Celle ci décèdera quelques mois plus tard des suites de ses blessures.
4 pistes pour 1heure d’un voyage coloré et frénétique en terre inconnue. Guitare, synthé, percussions, instruments à vent, chant félin et chœurs aux voies hypnotiques se bousculent et s’entremêlent frénétiquement. Chaleur évoquant la couleur argile des terres d’Afrique, rythmique « Vaudou » qui s’empare de l’auditeur et le plonge en transe sans que celui-ci ne puisse cesser de s’agiter pendant près d’une heure.
L’album est rempli d’un groove et d’une énergie contagieuse qui contrebalance avec la rudesse du fond. Construction des pistes autour de mélodies jazzy au saxophone sur des percussions tantôt endiablées tantôt plus sereines, le tout bercé par la voie chaude de Fela et ses choristes.
Bon voyage.
E.J