A quoi servent les classements universitaires ?

Publié le 06 novembre 2009 par Monthubert

L’automne est, pour les universités, la saison des classements. On a beaucoup disserté sur ces derniers, qui ont pris une place majeure dans la définition des politiques d’enseignement supérieur… en France. Or ces classements posent de gros problèmes méthodologiques, j’en dirai un mot plus loin, reprenant des éléments rarement mis en avant. Mais avant de critiquer la façon dont ils sont établis, il faut d’abord s’interroger sur ce à quoi ils servent. Car débattre sur la manière dont un classement est fabriqué, c’est déjà supposer que ce classement est légitime, et utile.

Les classements universitaires ont pris une place de premier plan depuis la sortie du premier classement dit “de Shanghaï”, en 2003. En tout cas en France. D’après plusieurs collègues qui participent à des panels internationaux d’évaluation de laboratoires, dans d’autres pays le classement de Shanghaï est inconnu. Ce classement a été fait pour aider les étudiants chinois à choisir dans quelles universités candidater quand ils veulent aller à l’étranger. Yin Jie, le vice-président de l’université Jiao Tong de Shanghai estime que

« le classement de Shanghai n’est utile que si l’on veut comparer les universités américaines, britanniques, chinoises et japonaises. Il ne rend pas justice aux universités françaises ou allemandes car elles ont un système qui diffère complètement. Nos étudiants qui veulent partir à l’étranger se réfèrent au classement principalement pour les États-Unis. Pour la France, nous savons déjà quels établissements sont bons dans chaque domaine. Pour nous, la réputation des établissements français, basée sur les expériences de coopération et sur le bouche-à-oreille, prime sur le classement ».

Le classement ne rend pas justice aux universités françaises, pour une raison bien simple : l’enjeu pour elles est d’offrir la meilleure qualité de formation à tous les bacheliers qui souhaitent s’y inscrire, tandis que de nombreuses universités parmi celles qui sont classées en premier choisissent leurs étudiants. A tel point qu’on ne sait plus vraiment si on mesure la qualité de la formation, ou celle des étudiants…

Or l’objectif premier d’une politique d’enseignement supérieur est de permettre d’élever au maximum le niveau de formation à travers le pays. Il ne faut pas lire dans cette déclaration une posture purement égalitariste, refusant la perspective de formation d’une “élite”. Mais si on suit les travaux récents de Christian Baudelot et Roger Establet, dans leur livre L’élitisme républicain, Seuil/République des idées, 2009, la formation d’une élite est plus efficace lorsqu’il y en en même temps une élévation du niveau d’une grande partie de la population. En bref : il serait absurde de tenter de former une élite en sélectionnant les “meilleurs” au plus jeune âge, et en laissant de côté les autres. Pour eux, “l’égalité et l’efficacité vont de pair” (voir leur interview sur le site de la Vie des Idées, vers la 13ème minute).

Dans le système français, les universités ont donc une mission d’accueil large, et de couverture du territoire. Ce qui ne leur permet pas de se placer à un bon niveau face à des universités dont les objectifs sont complètement différents. Mais que souhaitent les citoyens ? Avoir quelques universités qui brillent dans le classement de Shanghaï, ou bien avoir accès à une bonne formation ? Car ce qu’on oublie trop souvent, quand on regarde la prédominance des universités américaines dans ce classement, c’est qu’il y a à côté d’Harvard et Stanford des centaines d’établissements universitaires de bas niveau, où la qualité de formation est médiocre, nettement moins bonne en tout cas que celle que nous délivrons dans les universités françaises. Est-ce cela que nous voulons ?

Assurément, l’instrumentalisation du classement de Shanghaï par le gouvernement sert à justifier leurs réformes, qui consiste à instaurer la concurrence à tous les étages, avec comme corolaire l’abandon de secteurs entiers du territoire. Et à masquer la triste réalité de cette politique en détournant l’attention vers de soi-disant contraintes extérieures.

Le problème des classements n’est donc pas uniquement méthodologique, c’est leur propre existence qui pose problème, en tout cas sur la forme d’un classement simpliste. L’évaluation des systèmes universitaires est importante, mais ne peut se réduire à un tel classement.

Quelques éléments supplémentaires concernant la méthodologie du classement de Shanghaï.

D’abord, plusieurs analyses scientifiques ont montré que la méthodologie souffrent de graves problèmes. Par exemple, l’article de
Jean-Charles Billaut, Denis Bouyssou, Philippe Vincke qui passe ce classement au crible de l’analyse multi-critères.

Ensuite, un exemple dont on parle rarement qui montre l’absurdité de ce classement. Il s’agit de la place de l’Ecole Normale Supérieure dans ce classement. Or cette école a un rôle très particulier. En effet, elle ne délivre quasiment pas de diplômes à ses élèves : ceux-ci suivent les enseignements de l’université, et sont destinés à passer des doctorats qui sont rarement effectués à l’ENS. Par ailleurs, les enseignants qui assurent des cours à l’ENS sont généralement des professeurs d’universités qui y enseignent pendant quelques années, tout en continuant à enseigner dans leur université d’origine. Bref, comment comparer un tel établissement, qui a vocation à irriguer l’ensemble des universités françaises, et ces dernières ?

La focalisation actuelle sur les classements internationaux est un danger pour nos universités. Le fait qu’elles progressent dans les classements n’indique rien sur l’amélioration de leur formation : il s’agit d’une adaptation aux critères du classement, ni plus ni moins. Pour construire une nouvelle politique d’enseignement supérieur, nous devons remettre à plat les méthodes d’évaluation de notre système universitaire, en tournant le dos aux classements absurdes et réducteurs.