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Le mur de Berlin raconté par Daniel Schneidermann

Publié le 06 novembre 2009 par Sylvainrakotoarison

(dépêches)
La chute du mur, "et alors ?"
Par Daniel Schneidermann le 02/11/2009
"Et alors ?" Bernard Guetta commençait à dévider ce matin sur France Inter ses souvenirs de correspondant du Monde, la semaine de la chute du mur de Berlin. Au lendemain, donc, de la "chute du mur", le 9 novembre 1989, Guetta appelle d'Erevan les sténos du journal, en leur annonçant qu'il va dicter dix feuillets sur l'Arménie. La sténo : "dix feuillets sur l'Arménie, Bernard, avec ce qui s'est passé cette nuit ?" Et la sténo annonce au journaliste que le mur de Berlin est tombé. Et Guetta, énervé, tout à son Arménie : "et alors ?"
"Et alors ?" : cela signifiait que l'Empire soviétique se délitait depuis plusieurs années, avec rebondissements quotidiens, et que la chute du mur, avec une nuit sans sommeil, l'éloignement, et un tempérament sanguin (tiens, revoyez donc une de nos émissions avec Guetta), pouvait à la limite passer pour n'être qu'un épisode parmi d'autres du processus. Guetta n'était pas le seul. Alors que les premiers franchissements pacifiques du mur avaient lieu, le 9 novembre, en fin d'après-midi, aucun jité du soir de l'époque n'en faisait son principal titre, comme si lémédias se refusaient à croire l'événement inouï qu'ils avaient sous les yeux. Vingt ans plus tard, c'est cet épisode précisément que les médias occidentaux choisissent de commémorer en grande pompe, plutôt que l'accession au pouvoir de Gorbatchev, l'indépendance des pays baltes, ou la fin officielle de l'URSS. C'est sans risque.
Rien de plus difficile que de discerner les grands événements, le nez collé sur l'actualité. Prenons la tribune, co-signée par Raffarin et vingt-quatre sénateurs UMP, et annonçant leur refus de voter en l'état la suppression de la taxe professionnelle. "Fronde", "jacquerie" : les éditorialistes ne savent pas très bien comment la qualifier, et la plupart des radios du matin n'en font pas leur premier titre, comme gagnées à l'avance par un "et alors ?" Elles ont peut-être tort. Il faut toujours regarder avec beaucoup d'attention les soubresauts liés à l'impôt. On le sait depuis 1789, deux cents ans exactement avant la chute du mur. 
 
Mitterrand : Glasnost, vingt ans après
Par Daniel Schneidermann le 06/11/2009  
 
Effrayé. Angoissé. Flippé, presque. Evidemment, personne n'ose encore l'écrire ainsi, mais c'est bien le portrait d'un François Mitterrand terrifié par la chute du mur de Berlin, et la perspective de la réunification allemande, qui se dessine, vingt ans après, en filigrane, dans les archives, les souvenirs et les confidences. Les formulations sont longtemps restées respectueuses. Il «ressent, récapitule, (...) "incarne" les angoisses françaises face à une Allemagne trop grande, à une construction européenne qui n'est pas encore irréversible», écrivait par exemple l'ancien secrétaire général de l'Elysée, Hubert Védrine, en 1996.
On n'en est plus là, les pudeurs de langage tombent une à une. Et c'est bien un Mitterrand terrifié, qui apparaît dans la saisissante enquête que publie cette semaine Vincent Jauvert dans Le Nouvel Obs. Un Mitterrand qui cite de mémoire des phrases de Mein Kampf lors d'une visite à Thatcher. Est-il allé plus loin ? A-t-il souhaité à mots à peine couverts que l'URSS fasse le sale boulot de freiner la réunification allemande ? A en croire Jauvert, la réponse est plutôt négative. Sauf si demain, de nouvelles archives...
 
Le plus frappant, c'est qu'il ait fallu vingt ans, pour appeler par son nom cette peur présidentielle. Depuis longtemps, certes, Mitterrand avait été décrit comme "réservé", par rapport à la chute du mur. "Pris de court, partagé, méfiant" : ces qualificatifs-là ne sont pas sacrilèges. Mais qu'il ait été tenaillé, dans ses entrailles, par une peur plus forte que toutes les analyses, et remontée des souvenirs de ses vingt ans, la peur qui saisit l'homme politique lorsqu'il se trouve confronté sans protection à la brutalité de l'Histoire, il aura fallu vingt ans pour qu'on nous le dise ainsi. Ce qui donne la mesure de la Glasnost à la française.


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