Le traitement du bégaiement est encore quelque chose d’assez nébuleux, sans solution unique. Une multitude de voies s’offrent aux personnes bègues désireuses de s’en sortir, sans malheureusement aucune garantie de réussite. Certains vont d’échecs en échecs, et par la force des choses, ils font avec, développant leurs petites astuces pour rendre le bégaiement moins gênant au quotidien. A force d’expérimentations sur soi, ils façonnent leurs techniques adaptés à leur propre bégaiement. Sortis de l’enfer du bégaiement, ils proposent par bienveillance leurs techniques à d’autres personnes bègues. Voici la question de l’une de ces personnes bègues ayant surmonté son bégaiement au Dr Monfrais-Pfauwadel.
Voilà je suis bègue depuis 30 ans et j’ai 40 ans.
J’ai trouvé la solution seul après que mes parents ont épuisé les voix normales : psychiatre, orthophoniste, etc., pendant plus de 7ans… lorsque j’ai voulu ” sortir ” avec une fille et surtout pouvoir téléphoner, ce qui était impossible pour moi.
J’ai cherché pourquoi je bégayais, j’ai essayé de décortiquer le mécanisme de la parole et je suis arrivé à faire un petit exercice très simple qui m’a pris un peu de temps mais très efficace.
Je suis parti de : pourquoi je ne bégaie pas quand je chante ou je récite une poésie ? car je connais la phrase que je vais dire donc quand je vois dans ma tête comme dans un livre ce que je vais dire : plus de problème. Le fait de faire cette gymnastique (un peu d’entrainement est nécessaire), je ne bégaie plus du tout. Donc il faut que je me concentre sur ça.
Pour moi, il manque au bègue une étape dans la parole entre le moment où il pense à une idée à dire et le moment où elle sort de sa bouche. La connexion, le décryptage (ou quelque chose comme ça) de cette liaison par nos cordes vocales ne se fait pas. Il faut que l’on se concentre sur une étape intermédiaire. Quand je recommence à bégayer, c’est parce que je suis fatigué, très reposé, que j’ai de gros soucis, de grosses préoccupations, que je ne me concentre plus que sur ça. J’oublie de faire cette étape intermédiaire.
J’ai rencontré dans ma vie beaucoup de bègues et ayant une personnalité très extravertie, j’ai expliqué mon expérience à tous et tenté avec tous ceux qui voulaient se donner la peine de faire mon exercice : j’ai été très surpris de voir que cela fonctionne vraiment bien. Qu’en pensez-vous ? J’aurai aimé discuter beaucoup plus avec vous de vive voix car, quand j’entends certain bègue et je sais certaines grandes souffrances que cela m’a causé, j’aurais aimé améliorer mes connaissances pour aider encore mieux des parents, des bègues.
J’ai bien sûr écouté l’émission sur France Inter et suis bien sûr en désaccord sur certains petits points. Quelques petites choses que l’on devrait dire à tous les bègues : non pas calme toi, parle plus doucement, mais concentre toi, évite certains mots (on le fait naturellement), des petits trucs comme ça bien utile.
Ce serait super gentil de me répondre personnellement car enfin, durant toutes ces années, j’ai accès à une spécialiste très difficile à trouver, croyez-moi !
Merci d’avance
Marie-Claude Monfrais-Pfauwadel :.
Monsieur, je crains que vous ne fassiez dans la phénoménologie. Hegel disait « la perception n’est qu’un des aspects de la réalité ». Ce que vous percevez des productions de votre corps - dont la parole - n’est qu’une interprétation, enrichie par l’expérience, de ce que vos sens vous apportent. Cela ne veut pas dire que c’est l’exact reflet de ce qui se passe.
Certes, on bégaye moins ou peu en chantant, mais c’est aussi (ou surtout) parce que le rythme y est pré-fabriqué et que le déroulement temporel de la parole est réglé comme un métronome. Le phrasé est fourni par autrui et le rôle des noyaux gris centraux facilité.
On se retrouve de fait dans une des quelques situations où le bégaiement ne peut quasiment pas survenir. C’est un truc bien connu de certaines officines commerciales qui se font fort de faire cesser le bégaiement en trois jours…
C’est aussi le leurre dans lequel peuvent tomber certains rééducateurs insuffisamment formés qui n’utilisent en thérapie que la répétition, la lecture, des techniques de respiration…et la récompense de longs silences imposés par de la parole mécaniquement rendue fluente.
« Ça fonctionne », mais ça fonctionne en circuit fermé.
Il y a de plus quelque chose qui m’attriste dans votre démonstration : où est l’autre pour vous, celui à qui vous parlez, si vous êtes ainsi préoccupé par le choix des mots, le contournement des locutions, les supputations sur les phonèmes ?
Vous remplacez une préoccupation, celle d’être saisi par l’inattendu du bégaiement par une autre, celle du blindage complet d’une parole formatée et refermée sur elle-même.
Communiquer, c’est faire circuler le sens, c’est créer de la relation, c’est accueillir la parole de l’autre, c’est courir le risque de s’ouvrir, de s’offrir.
Prenez des risques, Monsieur.
« Qu’y a t- il de plus précieux que l’or ?
- La parole
Qu’y a t- il de plus précieux que la Parole ?
- La parole échangée »
Goethe