Koltès en fratrie contre la Comédie-Française dans un imbroglio théâtral !

Publié le 06 août 2007 par Boukhari Nacereddine @argotheme

Par N.E. Tatem avec  ARGOTHEME

Comédie-Française contre fratrie Koltès dans un imbroglio théâtral.

Devenue désormais l'affaire Koltès, elle remet au goût du jour un débat de dramaturgie conjoncturellement mis en berne. Que personne n'a cru à sa clôture, malgré l'ancienneté de sa velléité, le-revoilà ! D'ailleurs il ne peut être aplati au mépris de son essence : la place de l'auteur dans une production.

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 Tant que persiste la criarde insouciance envers les auteurs contemporains (vivants et morts) et de leurs textes qui recèlent en association la transmission culturelle et la nouveauté, la contestation resurgit de sous boisseau. Aussi bien les premiers en quête de consécration que les seconds supplantés par le répertoire classique ou les décideurs des structures, ne peuvent s'enfoncer plus bas. Au vivant on dénie du talent en galvaudant « il y a peu de bons textes actuellement ». Et au contemporain en général, on préfère de loin un Molière ou un Shakespeare sinon, on détourne impunément ses conceptions textuelles.

Frère de Bernard-Marie Koltès, décédé en 1989, dramaturge et auteur génial de la pièce « Le retour du désert », François Koltès réalisateur et auteur, a le principal rôle d'un drame léger pour son aspect people mais lourd quant au sujet qu'il réveille. C'est même l'événement, à connotation de feuilleton estival, du théâtre pour 2007. Le second prend à bras le corps la défense du message du premier derrière ce texte ancré dans l'actualité. Au regard des derniers fracas sur la place publique, à propos du colonialisme et de la discrimination qui questionne une France entre intégration et rejet d'étrangers laborieux sur son sol, l'affaire remue le couteau dans la plaie. L'instigateur, pas plus loyal que lui à la mémoire du défunt, assume une mission alambiquée traduisant le malaise du rapport de la scène à l'écriture.

«Au théâtre, il y a deux metteurs en scène : ceux qui croient qu'ils sont Dieu et ceux qui en sont sûrs. »*1 Dans le contexte où les spectacles sont coiffés d'une façon monopolistique par le metteur-en-scène, cette histoire Koltès, non la première de cette ascendance, pose l'équivoque statut des auteurs et la manière d'exécuter les textes. Quand ces derniers ne sont pas encore tombés dans le domaine public et dès lors qu'un initié aussi bien légal et qu'avisé jusqu'aux bouts des ongles, garantit cette protection, il y a alerte envers un arbitraire bien réel. Par conformité à faire jouer un blanc, un noir ou un arabe dans la distribution qu'il a, légiférée et stipulée, fixée dans son œuvre, l'auteur –nommément ici- interpelle les malversions persistantes. De son vivant, il a déjà intenté de la sorte. Ce qui exhorte, en conséquence, le retour au débat occulté. Et de sa ténacité, l'ayant-droit acquiesce. Si l'immortalité de l'auteur parle d'elle-même, son œuvre traduite à plus de trente langues refait surface. Il est le francophone, 3è européen prolifique et doué après Becket et Genet, à être joué dans le monde. L'opiniâtreté spectrale, de ses précis doctrinaux, plane dans les coulisses pour alarmer la cité.

Dans le chapitre des techniques d'interprétation, toutes diligentées pour performer l'attitude mimétique de l'acteur, Stanislavski a préconisé une indexation et une incarnation absolues de l'acteur au personnage. Berthold Brecht, par contre, a mis en exergue la distanciation, le comédien montre le personnage imaginé sans se métamorphoser en celui-ci, restant artiste d'abord. Et Bernard-Marie Koltès a préconisé que l'homme joue l'homme, le rôle de l'enfant va à un enfant, le blanc ne sera représenté que par un blanc, le vieux ira au comédien d'un certain âge etc. Il refuse, précisément au metteur-en-scène, de transformer approximativement le personnage. L'acteur épouse le sujet humain sans céder un iota à l'approximation et au fictif. La conception primaire, le texte, configure la mise-en-scène et le profil de l'interprète. Rien n'est aléatoire, amovible et transformable. On n'a pas vu de ça auparavant. Bernard-Marie Koltès était en éveil du spectacle issu de son texte. Il n'est pas le seul à être à cheval de la sorte, Becket et Genet étaient intraitables sur ce plan.

La vénérable Comédie-Française qui a abrité bien des litiges de ce genre, a porté recours devant les tribunaux l'injonction de François à faire cesser au bout de trente spectacles « Le retour du désert ». Les trente-quatre prévus pouvaient aussi se prolonger de reprises. Ainsi s'est amorcé le premier cran de l'escalade. Selon la presse écrite, il faut préciser qu'elle est plus réactive au théâtre que d'autres médias traditionnels*2, des doléances de l'ayant-droit, outre une correspondance de la SACD, sont à l'origine de la suspension. Corsé, l'échange s'est soldé par l'arrêt des représentations, puisque la société des droits d'auteur a pris partie avec le requérant. La 3ème chambre du TIGP (Tribunal de Grande Instance de Paris) a statué le 30 juin dernier. Second cran, elle prononce une indemnisation de 30 000 € en contrepartie des 4 prestations annulées. Comme 3ème anicroche, la poursuite du requérant en lèse-majesté, pour propos diffamants tenus dans les médias à l'égard de la Comédie-Française et Murielle Mayette. Cette dernière est à la fois administratrice de cet établissement et s'est chargée de la mise-en-scène.

Elle soutient que Michèle Favory auquel est alloué le rôle de Aziz, un servant arabe dans une famille bourgeoise rapatriée d'Algérie à l'indépendance, assume pleinement ce rôle. D'autant plus que sa mère est kabyle. Un pourvoi en cassation de François Koltès qui ne perçoit point en ce comédien une correspondance avec le personnage, rajoute un 4ème épisode. Encore une Nième fois, la procédure s'avise dans cette institution, tel ce fait de 1939 : « Le rôle d'un metteur-en-scène d'être, de faire vivre, de réaliser une œuvre conformément à la volonté de l'auteur... » * 3 La dépréciation du centre névralgique de tout renouvellement du théâtre, la plume fondatrice de tout spectacle, dure encore. « Le maître du théâtre c'est l'auteur, les autres rouages ne sont là qu'en fonction de cette force créatrice » *4 Cet art n'est pas aussi propret que comme il est présenté, ses insatisfaits sont peu entendus, voire médits. Louable est l'encouragement des pouvoirs publics aux auteurs novices, pour leurs textes soumis à la DMDTS (Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et du Spectacle.)*5 La monumentale négligence, est la pratique instaurée par les décideurs qui estompent sans vergogne les pièces des 2 catégories d'auteurs.

D'une délicatesse qui engage bien des remises en cause, ce débat creuse et élargit davantage le fossé entre 2 familles de critiques : celle des partisans du metteur-en-scène et celle qui défend l'écriture récente. La première dénie la mission de l'auteur dans le spectacle et la seconde milite pour sa paternité. Tout nouveau spectacle susceptible d'être considéré création, doit être inédit. Ceux qui portent un regard dédaigneux à l'écrivain contemporain, ne croient pas que le 4ème art happerait l'insolite qui le réinvente par l'implication de l'auteur. Et les autres, même inquiets, ne répliquent pas judicieusement pour recommander la prospection des pièces arrivées à terme sous des plumes anonymes. Elles sont toutes les deux assujetties aux susceptibilités fragiles, d'où leur rigueur circonspecte. Penseurs et responsables s'en passent donc, de l'hasardeuse responsabilité d'être à l'origine de situation conflictuelle et plus âpre qui risque d'ébranler outres les positions acquises, les dogmes sacralisés.

La faculté du théâtre d'être une priorité à la fois dans les mœurs culturels et les thèmes médiatiques, se doit à son rang qui le particularise des autres arts. « Donnez-moi un théâtre, je vous donnerai un grand peuple. »*6 Ce qui lui offre opportunité d'être sous les feux de la rampe, c'est la force des critiques essayistes, des tribunes polémistes et des lumières théoriques qui lui sont consacrées en pareilles circonstances. Elles lui sont, à plus d'un titre, revigorantes et le distinguent l'esprit des arts vivants. Son milieu, follement amoureux des dialogues et friand de contributions aux tournures aussi extravagantes que pertinentes pourvu que des conjonctures les permettent, ne lésine presque guère de disserter.

 • *1 : Rhetta Huguer

• *2 : Presse écrite seulement et sans moindre commentaire des chaînes télé et radio.

• 2-a : Le nouvel Observateur, de Denis Padalydès le 3 juin 2007.

• 2-b : Le Figaro du 12 février, 26 mars, 30 mai et 21 juin 2007.

• 2-c : Libération 2, 24 et 26. Juin. De Martine Labordonne.

• 2-d : Le Monde de Nathalie Herzberg, mai et 21 juin 2007et autres.

• 2-e : Télérama du 10 mars 2007.

• 2-f : L'express de juin 2007.

• *3 : Lettre de Copeau et Dullin datée du 31 juillet 1939 à Edouard Bourdet de la Comédie-Française au sujet de la mise en scène de « L'annonce faite à Marie »

• *4 : In « Lire le théâtre moderne » de Michèle Liour, édition Dunod, page 105.

• *5 : La DMDTS attribue l'encouragement à la création d'œuvres dramatiques, une seule fois aux auteurs inédits. 2 sessions par an, date limite Avril et septembre.

• *6 : Eschyle.

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