Et pendant trente ans, il avait été
Fameux à Paris, grand homme en province
Ministre deux fois, toujours député.
Traité d'éminent et de sympathique
Il avait trahi deux ou trois serments
Ainsi qu'il convient dans la politique...
Bref, c'était l'honneur de nos parlements.
Il mourut. Sa ville - elle était très fière
D'avoir enfanté ce contemporain ! -
Dès qu'il fut enfin muet dans la bière,
Le fit sans tarder revivre en airain.
J'ai vu sa statue. Elle est sur la place
Où se tient aussi le marché couvert.
C'est bien l'orateur, son geste menace,
Et sa redingote est en bronze vert
Mais les bons ruraux, vile multitude,
Vendant les produits du pays natal,
Sans y voir malice et par habitude,
Laissent leurs baudets près du piedestal;
Et, tous les lundis, quand les paysannes
Sous les piliers noirs viennent se ranger,
Le tribun d'airain harangue les ânes...
Et ça ne doit pas beaucoup le changer.
François Coppée : Statue d'homme d'état, Contes en vers et poésies diverses, 1877
Lu dans le recueil En rires, poèmes d'humour pour en voir de toutes les couleurs, Anthologie établie par Christian Poslianec, Seghers 2009