Je suis parti début 2009 en direction de l’Amérique du Sud, continent j'ai parcouru pendant 6 mois avant de me diriger vers l’Asie du sud est. Le but de ce voyage ? Aller à la rencontre des experts de la lutte contre le changement climatique dans les pays traversés, afin que ceux-ci partagent avec moi leur travail. Je m’intéresse spécifiquement aux deux grands types de réponses au phénomène mis en place par mes interlocuteurs : les projets d’adaptation et les projets d’atténuation du changement climatique. J'ai relaté à chaque fois les actions mises en place localement à travers une « chronique irrégulière du changement climatique » que vous pouvez retrouver sur ce site.
La problématique du changement climatique est vaste, et englobe une multitude d’aspects. Rares sont les scientifiques sérieux qui s’obstinent à le nier: le fonctionnement actuel du capitalisme, dans toute sa complexité, est intimement lié au changement que connaît notre planète. J’ai donc décidé de centrer mon propos sur les deux pratiques essentielles dans la réponse au phénomène : les projets d’adaptation (consistant à mettre en place des systèmes innovants pour faire face aux conséquences du changement climatique), et les projets de mitigation (ou d’atténuation, visant à en limiter la progression).
Mon voyage « sur les traces » du changement climatique commence à Buenos Aires, en Argentine. J’y ai deux rendez-vous, l'un avec le directeur de la cellule changement climatique du Secrétariat d’Etat à l’environnement, le docteur Nazareño Castillo, l'autre avec la filiale argentine de Greenpeace.
Autant le dire tout de suite : je suis sorti déçu du premier. Lors de mes prises de contact préliminaires, on m’avait parlé de projets pilotes d’irrigation face à la désertification, l’un des principaux impacts du changement climatique en Argentine. Or une fois sur place, je me rends compte que rien de concret n’a encore été mis en place par le gouvernement. Tout juste est-il en train de poser les bases d’un projet d’adaptation d’une communauté de la province Formosa, au nord du pays, en proie à des inondations toujours plus récurrentes et violentes - une autre conséquence locale du dérèglement du climat... Mais, de l’étude détaillée du contexte à la recherche de fonds, tout reste à faire pour que ce projet puisse voir le jour. Je ne m’étendrai donc pas plus sur cette réunion qui me laisse un goût amer. Direction Greenpeace, ou m’attendait une rencontre plus intéressante…
Le mur végétal recouvrant la façade – un peu à la manière du musée du quai Branly à Paris – ne saurait mieux signaler au visiteur l’emplacement des bureaux porteños de l‘association. A l’intérieur, des œuvres d’art « vertes » égaient les murs et un panneau électronique indique les économies d’énergie réalisées par les panneaux solaires installés sur le toit. J’ai pu y recueillir le témoignage de Yanina Rullo, la directrice de projet chargée de la première campagne de sensibilisation au changement climatique en Argentine, étendue à partir de fin 2007 sur toute l’année 2008. Un projet de mitigation puisqu’il vise à inciter les particuliers à limiter leur empreinte carbone, et faire pression sur la classe politique.
Yanina entre directement dans le vif du sujet. Elle commence par m’expliquer que si les campagnes de Greenpeace sont coordonnées entre ses filiales au niveau international, l’antenne argentine partait avec un train de retard… En effet, Greenpeace distingue deux stades dans son approche de la sensibilisation au changement climatique : l’efficience énergétique, et le développement des énergies renouvelables. Les anglais, par exemple, ont déjà traité la thématique de l’efficience énergétique et concentrent maintenant leurs actions de communication sur le deuxième stade.
Les activistes argentins considèrent quant à eux qu’il est trop tôt pour évoquer les énergies renouvelables, dans un pays où les politiques et les niveaux d’investissement nationaux en la matière sont proches du néant. Selon eux, il faut avant tout parler d’efficience énergétique, une notion impliquant des mesures réalisables dès aujourd’hui par le plus grand nombre.
La filiale argentine de Greenpeace partait donc de loin. Yanina m’explique que la campagne sur l’efficience énergétique faisait face à un premier défi: faire comprendre à chacun la relation entre consommation d’énergie, émission de gaz à effets de serre et changement climatique. En effet, si les européens, à grands renforts de communication, sont aujourd’hui beaucoup plus nombreux à faire le lien, c’est loin d’être encore le cas en Argentine.
Pour appuyer son propos, Yanina me précise que le secteur argentin de l’énergie est le premier facteur d’émissions de gaz à effet de serre (47%), suivi par l’agriculture (44%). Elle m’explique également que la matrice énergétique argentine est l’une des plus désastreuses du continent sud-américain, avec un parc énergétique constitué à 90% d’énergies fossiles (l’énergie hydroélectrique et l’énergie nucléaire en représentent respectivement 5 et 3%). Les énergies renouvelables, quant à elles, occupent une place dérisoire en raison, selon mon interlocutrice, du bas prix de l’énergie. En effet jusqu’à présent, un consommateur laissant toutes ses ampoules allumées à longueur de journée ne sentait presque pas de différence sur sa facture en fin de mois, comparé avec une consommation vertueuse. Ces prix faibles dans l’absolu n’ont pas permis de dégager des fonds pour investir dans la recherche et développement des énergies propres.
Par ailleurs, cela en dit long sur le faible intérêt du gouvernement pour inciter les particuliers à diminuer leur consommation. Avant la campagne de Greenpeace, aucun gouvernement n’avait mis en place de politique d’efficience énergétique à long terme. Tout juste l’administration actuelle commence-t-elle à mettre en place un système d’incitation tarifaire pour les consommateurs, avec des réductions de prix notables en fonction de l’énergie consommée. Les arguments des écologistes évoqués plus haut auraient-ils trouvé une oreille attentive chez quelque technocrate ? Peut-être… A moins que la raison soit à chercher ailleurs. En effet, une grave crise d’approvisionnement en énergie se profile au pays des gauchos, avec des réserves de gaz naturel qui se réduisent à grand pas (celui-ci compte pour 50% de la production d’électricité), et une production hydroélectrique mise à mal par la réduction du débit des fleuves, due à la diminution des glaciers andins (encore une conséquence du dérèglement climatique).
Pour faire passer son message, Greenpeace avait besoin d’un exemple parlant et d’une action forte. L’association a donc a commencé par demander l’interdiction des ampoules incandescentes, en soulignant que 80% de l’énergie émise par ce type d’ampoules se perd, transformée en chaleur en lieu de lumière. Pour que le public puisse se faire une idée de la perte sèche d’énergie, l’ONG a utilisé la comparaison suivante : si tous les usagers du pays remplaçaient leurs ampoules classiques par des ampoules de basse consommation, l’énergie ainsi économisée équivaudrait à celle émise par une centrale nucléaire.
Il fallait aussi attirer l’attention des média pour obtenir une couverture optimale: pour ce faire, des activistes sont entrés au ministère de la culture argentin et se sont chargés eux-mêmes de remplacer les ampoules du hall d’entrée par des ampoules LED. Une action non violente et suffisamment originale pour attirer l’attention des médias, dans la plus pure tradition Greenpeace. L’ONG s’est ainsi adressée directement au gouvernement pour que celui-ci donne l’exemple en remplaçant toutes les ampoules incandescentes de ses bâtiments administratifs.
Suite à cette action, l’administration Krishner s’est appropriée l’idée de l’association et a pris une première mesure dans le sens de l’efficience énergétique, non seulement en s’engageant à changer ses lampes, mais elle est allée bien plus loin en lançant une loi visant à interdire les lampes classiques pour tout le marché résidentiel argentin en 2010. La loi a été promulguée et est en cours d’application.
Citons également, parmi les actions de l’association, un visuel impactant dont l’objectif était avant tout de communiquer sur la réalité du changement climatique dans le pays. En Argentine, ses effets recouvrent l’augmentation des températures, la désertification progressive dans les provinces du Chaco et de Salta, l’irrégularité croissante des précipitations dans la Pampa et l’augmentation des phénomènes extrêmes, comme les tempêtes et les inondations qui s’en suivent. Mais l’impact le plus parlant reste la disparition des glaciers. Greenpeace a donc réalisé un visuel comparant une photo du glacier Upsala, au sud de la Patagonie, prise en 1928 avec une autre photo datant de 2004. Le contraste est criant… La légende se contente de demander « De quelle autre preuve as-tu besoin ? ».
Quand je lui demande son opinion sur l’évolution à venir du niveau d’intérêt des médias argentins pour les problématiques environnementales, Yanina se montre optimiste. Même si les enjeux environnementaux font rarement la une des journaux, les journalistes se montrent de plus en plus proactifs et sollicitent régulièrement l’opinion des ONG écologistes. Elle ajoute que de nombreux cursus liés à l’environnement ont vu le jour au cours des dernières années dans les facultés argentines.
Yanina conclue l’entretien en me conseillant d’aller visiter le site Internet de l’association. Celui-ci est très bien fait et donne une bonne idée de la diversité des actions mises en place par Greenpeace en Argentine. Les hispanophones seront bien inspirés d’aller y faire un tour ! (ww.greenpeace.org.ar).