Artistiquement correct ?

Par Celinouchka

L’artiste est là, en face du piano, son ami, son fidèle ami, celui qui le fait vivre, qui le fait souffrir, aussi, surtout. Il tremble de tous ses membres, il attendait ce moment avec impatience, avec crainte, et il tremble de peur. Ce long corps noir est si imposant, malgré la maigreur du public, qui se résume à trois inconnus venus ici pour d’autres, au professeur, et peut-être à un curieux qui ne savait que faire de son samedi soir.

Sa lèvre est mordue d’avoir trop tremblé, d’avoir été trop calmée, vainement. Une odeur de mandarine flotte dans la salle.

Il aimerait tant repousser l’échéance de ce face à face. Oui, les notes, il les connait, mais cela ne suffit pas, il le sait bien, et il a peur de ce que son âme pourrait exprimer, ce quelque chose que l’on ne peut contrôler.

Finalement, il se décide à s’asseoir sur le tabouret, et de ses mains tremblantes régler sa hauteur. C’est trop, non, pas assez. Un petit sourire tremblant flotte au coin de ses lèvres, ses pieds cherchent les pédales, qui ont soudainement disparu, comme par magie.

Ce n’est pas la première fois, pourtant, et à chaque fois, le même scénario se produit. Il ne sait comment lutter, et comprend que tout cela n’est pas fait pour lui.

Il pose doucement ses doigts sur les touches, les frôle, flotte au-dessus, et puis, avec une assurance encore jamais vue, il les positionne sur les bonnes touches, prêt, tel un cheval dans les starting-blocks au départ. Sauf que lui tremble, et a peur, si peur.

Un face à face avec la musique, la peur de massacrer ce que le compositeur a écrit, de si beau. Une crainte insurmontable d’être reconnu, démasqué par sa musique, une peur de s’y abandonner devant ces inconnus. C’est si simple, à la maison, il n’y a pas de témoins.

Mais là, c’est autre chose. On lui demande de partager ce qu’il a de plus intime, peut-être que les auditeurs ne le comprendront pas, là n’est pas la question. On lui demande d’être lui-même, de laisser la muraille s’effondrer. Pire, on lui demande de se révéler, corps et âme, entité entière habitée.

Comment donc font les autres ? Ont-ils crées un monde à part pour s’y réfugier, ou n’ont-ils aucun problème à se dévoiler ? Comptent-ils sur la méconnaissance des auditeurs ? De cela, il en doute.

Il comprend que jouer, c’est finalement mettre son orgueil et sa fierté de côté, et de s’assumer, corps et âme, entièrement, en entité humaine, et de montrer, avec toute l’humilité du monde, la simple personne qu’il est, avec toutes ses richesses, et ses défauts qui font sa qualité, sa finesse, son unicité.

Il a posé ses doigts sur le clavier, il prend une grande inspiration, et le cœur soudain calmé, empreint d’assurance, fait sortir de ce corps gigantesque les premiers accords.


Et ses doigts filent entre les silences. Liszt et sa Chapelle s’envolent, et viennent hanter les cœurs des auditeurs.