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MODE & INTERNET Le marketing épinglé...

Publié le 04 novembre 2009 par Darkplanneur @darkplanneur
Jouvenot Enfin un livre dédié à l’impact d’Internet dans le monde de la Fashion.. Bertrand Jouvenot répond aux question de Darkplanneur, sans contrefaçon.

Jouvenot

1.   Quelles opportunités marketing le Web offre-t-il pour les marques de mode ?

La toile ouvre un vaste champ d’opportunités aux marques.  Les expérimentations, les développements marketing et/ou les succès des marques de mode forment un éventail à cinq lames :

·   L’image et la communication : le Web permet aux marques de mode de prendre de nouvelles postures et d’adopter des modes d’expression inédits.

·   La vente et la distribution : Internet offre de nouveaux formats de vente et permet d’innover en termes de distribution. 

·   La relation client : la toile engendre la naissance d’un dialogue entre les marques et les clients.

·   L’expérience d’achat : Internet permet aux marques d’enrichir l’expérience d’achat de leurs clients, de manières multiples.

·   Le ciblage des clients : la toile permet aux marques d’effectuer des segmentations de plus en plus fines et de travailler des cibles précises, indépendamment les unes des autres.

Des menaces viennent néanmoins apporter quelques ombres au tableau.

·   Fondamentalement, Internet sonne l’émergence d’un nouveau paradigme de communication entre les marques et leurs clients, offrant ou imposant aux marques de sortir d’une communication unidirectionnelle.

·   L’attaque portée aux prix des articles de mode, favorisée par Internet, risque d’éloigner les marques de leur cœur de cible.

·   Par ailleurs, Internet pourrait réduire la dimension sacrée des marques et diluer leur aura.

2.   Le pouvoir donné aux consommateurs (blogs, commentaires) n’est-il pas dangereux pour les marques ?

Le Web introduit une nouvelle problématique se situant entre sacralisation et profanation des marques.

Le sacré (opposé à profane) est une notion permettant à un groupe ou une société humaine de créer une séparation spirituelle et/ou morale binaire entre différents éléments qui la composent, la définissent ou la représentent (objets, actes, idées, valeurs...), ou ternaire : entre ce qui relève du monde humain, ce qui en est rejeté car tabou, et ce qui en est protégé car relevant du divin, le sacré. Le luxe alterne entre profane et sacré. Les marques de mode opèrent souvent entre ces deux pôles. Le sacré s’inscrit dans une logique de mise à distance, d’inatteignabilité par l’homme. Le profane est ce qui est rendu à l’usage commun et participe donc d’une logique de mise à disposition. Prada, en faisant de sa boutique New Yorkaise un musée, plus qu’un véritable lieu pour vendre, s’inscrit dans cette démarche de sacralisation. D’autres marques entretiennent leur dimension sacrée avec leurs lignes « couture » et restituent cette part de sacré au plus grand nombre par le biais de stratégie premium ou d’offres dites « masstiges ».

Internet précipite les marques de luxe et de mode dans cette contradiction, par l’usage que font les consommateurs de leurs produits, qui les vendent aux enchères, les réinjectent sur le marché alors qu’ils ont déjà appartenu à quelqu’un, en parlent souvent sans les termes qui conviennent peu aux marques, sur des blogs, etc.

Si la mode, et plus encore le luxe et la haute couture, comportent un caractère sacré et font désormais l’objet de multiples profanations, à l’origine desquelles les individus se trouvent, il leur revient de s’interroger sur la façon de se positionner à ce sujet.

Même si Internet à provoqué l’hyper-accessibilité de tout, la mise à disposition extrême, les marques du secteur de la mode pourront cependant, nous semble-t-il, ne pas sombrer dans cette mise en pâture.

Plusieurs pistes stratégiques sont explorées dans le livre Mode & Internet.

3.   Internet et ses usagers peuvent-ils dépasser les marques (devancer leurs stratégies de communication) ?

Autrefois les clients suivaient les modes que les créateurs lançaient. A cette logique qui perdure, vint se superposer la création de modes par les clients eux mêmes. Internet pourrait sonner l’heure de l’anticipation des modes par les clients, voire d’une altération de la logique propre du système de la mode.

A partir de Paul Poiret (1879-1944), le créateur invente des modes, crée des styles. Il est en avance sur son époque. La mode est alors dominée par le style, par les styles proposés par les créateurs.

Arrive plus tard, l’influence de la rue. Elle est manifestement double. Elle permet aux clients d’inventer leurs propres modes, comme le fait de porter des jeans avec des déchirures horizontales, à l’arrière de la cuisse, ou au genou, comme ce fut le cas dans le milieu des années quatre vingt. Cependant elle offre aussi au créateur de mode, une nouvelle source d’inspiration. Cette période se caractérise par une montée en puissance de l’air du temps. Cette évolution conduit les clients à emprunter une voie déviante, à ne plus suivre uniquement les créateurs. Cependant, ce mouvement ne s’oppose pas à ce qui le précède. Il coexiste avec le scénario antérieur.

Les créateurs qui s’inspirent alors de plus en plus de la rue et de l’air du temps qu’ils y hument, réagissent en introduisant du style, leurs styles, dans ces nouvelles tendances en provenance de l’espace public, le temps de leur durée, tout en continuant à affirmer leurs propres styles.

Cette immersion de la rue dans la mode, permet à des marques de vivre avec l’air du temps, d’interpréter les modes passagères, au risque de produire des écarts stylistiques spectaculaires.

Demain, il se peut que la nouvelle ère dans laquelle se propage Internet, engendre une évolution au moins aussi importante que la précédente : une anticipation des tendances et des créations, par les clients. Remplacée par un nouvel activisme en ligne, la rue serait supplantée par la voix du Web, elle-même portée par l’énergie d’une poignée d’influenceurs. Ces derniers, de plus en plus infiltrés dans les milieux autrefois inaccessibles (show rooms, fashion week, coktail post défilé, backstage…), interfèreraient dans les lancements des collections, court-circuiteraient la presse traditionnelle, cautionneraient ou sanctionneraient certains des choix des marques, amplifieraient leurs efforts…

Il s’agit ici, de l’une des nombreuses idées que la troisième partie du livre, résolument prospective, expose.

4.   Le progrès technologique (internet) a-t-il modifié l’univers de la mode et son fonctionnement ?

Un chapitre entier de Mode & Internet est consacré à cette question.

Les premiers phénomènes qui se profilent et de nature à impacter le système de la mode en tant que tel, sont : la remise de la notion du goût au cœur de la mode, la réaffirmation d’une différence entre la mode et le luxe, l’évolution du calendrier de la mode et l’accentuation des liaisons dangereuses entre la presse et la mode accompagnée par l’émergence en ligne d’une nouvelle presse alternative.

Une seconde série de mutations opère souterrainement au sein du média Internet lui-même : l’avènement d’un nouveau marché, l’apparition d’un dialogue créatif, le développement de mode de consommation alternative, l’évolution de la valeur d’usage des produits de mode, etc.

Les dernières évolutions étudiées dans le livre sont en germe au sein des entreprises du secteur de la mode et plus particulièrement dans la gestion des marques de mode. Elles regroupent : l’élargissement du champ des possibles en termes de communication, le changement de nature du meilleur client et la valorisation du patrimoine immatériel de la marque.

Cet ensemble de transformations pourrait engendrer une évolution de la posture même des marques de mode. C’est lune des conclusions centrales du livre.

5.   Twitter et Facebook sont-ils des armes de communication pour les marques de mode ?

Twitter et Facebook connaissent un tel niveau de développement qu’il devient difficile pour une marque de les ignorer. On voit d’ailleurs des marques s’y précipiter, y créer une page, sans stratégie manifeste. La logique est éminemment défensive. Il importe pour les marques d’y créer elles mêmes leurs pages, plutôt que de laisser d’autres prendre cette initiative.

Plus fondamentalement, cette Nième génération d’espace sociaux du Web posent une question majeure, qui trouve son origine dans une contradiction contenue à l’intérieur même de la définition de la mode.

La notion de mode contient son propre antagonisme, puisqu’un vêtement à la mode est à la fois :

·   Un jugement de fait : à un certain moment, un certain nombre de personnes portent ledit vêtement. On est dans le domaine de l’objectif.

·   Un jugement de valeur : on est dans le domaine du subjectif.

Le premier aspect renvoie aux notions d’imitation, d’influence, de grégarité. Il correspond à un phénomène de masse. Tandis que le second relève de la prescription, de la distinction, de l’affirmation identitaire ou d’une appartenance sociale, de la manifestation d’un goût. Il relève donc davantage d’une logique de singularisation.

 Si Internet joue un rôle d’amplificateur social dans la mode, comme il le fit déjà dans d’autres domaines, il se peut que la mode se retrouve influencée dans certaines de ses mécaniques sous-jacentes. A titre d’exemple, Internet pourrait opérer un changement majeur au sein de la notion même de mode.

Un renversement majeur s’est opéré au sein de l’histoire de la mode, tout au long des temps modernes.

Les modes furent pendant des siècles l’apanage des classes dominantes, initiées par les élites (les monarques, les aristocrates, les empereurs…) pour être suivies par les gens du peuple (temps 1).

Peu à peu le peuple, ce qui est communément appelé « la rue » gagna en importance dans les processus de création de nouvelles modes (temps 2).

Compte tenu de son pouvoir d’amplificateur social, d’accélérateur de phénomènes et de son caractère instantané (possibilité de tout savoir, sur tout, à tout moment), Internet contribuera peut-être à l’avènement d’un troisième séisme au sein de la mode, caractérisé par un ascendant pris par « la rue » sur les élites (temps 3).

L’étude de l’histoire de l’art antique s’avère salutaire si l’on s’interroge sur les conséquences éventuelles d’une telle mutation. L’historien de l’art : Elie Faure, a bien souvent observé que lorsque l’art commence à échapper au cercle des élites, des créateurs inspirés, des mécènes éclairés, pour devenir « l’affaire de tous», il s’affaiblit, fléchit et connaît un essoufflement artistique lent. L’art millénaire de l’Egypte antique s’éteignit après que la période saïte l’aie conduit à surproduire des œuvres sans grande créativité, ou de pâles imitations de chefs d’ouvres plus anciens, pour satisfaire l’avidité d’une nouvelle classe de riches, désireuse d’imiter leur Pharaon. L’art de la Grèce antique ou de Rome connurent cette paupérisation de leurs arts, pour des raisons similaires.

Ainsi, devenus trop puissants, les consommateurs sont peut-être en train de devenir victimes de leur propre tyrannie. Aimant la mode, agissant avec passion et peut-être maladresse, ils pénaliseraient les marques qui créent et font la mode ? Il leur revient peut-être de comprendre la fragilité de certaines marques de mode, la nécessaire discrétion de leur métier, le silence dont elles ont besoins pour créer...

En parallèle, il appartient aux marques de canaliser cette nouvelle énergie, de la comprendre, de s’en nourrir et d’évoluer avec elle.

6.   Comment les marques s’adressent-elles aux hommes via Internet ?

Les initiatives sont multiples, hétérogènes et protéiformes. Elles ressemblent encore trop à de simples expérimentations, à des tests, à des coups… plus qu’à de véritables constructions stratégiques.

Plus fondamentalement, si les marques s’engagent de plus en plus dans un dialogue avec les consommateurs, ce que le discours Web 2.0 ambiant préconise et prophétise, cela pourrait les conduire à se montrer autrement, à se révéler un peu plus, à montrer des faiblesses, à mettre en lumière de nouvelles facettes, etc. La notion d’identité et de personnalité de marque prennent ici tout leurs sens. L’identité de marque se définit comme la résultante de sa vision, son projet, son impérieuse nécessité, sa différence, sa permanence, ses valeurs, ses signes de reconnaissance. La personnalité de marque est ce qui fait sa spécificité, la singularise, la rend unique.

Depuis des décennies, l’obsession de l’image de marque a conduit les marques à privilégier le paraître à l’être. Une situation sommes toute confortable pour les marques. Or, les phénomènes qui se profilent semblent accroitre le nombre des interactions entre les marques et leurs clients, leur conférer de nouvelles formes, étoffer leur relations… mettre en jeu des aspects de la personnalité des marques, au-delà de leur simples identités… pour les projeter finalement de plus en plus dans l’être.

Il en ressort deux conséquences indissociables l’une de l’autre :

- La personnalité des marques devrait induire les échanges futurs, permis par Internet, entre les marques et les individus, tout comme leur fréquence, leur intensité, leur qualité, leur intérêt…

- Les personnalités des marques évolueront peut-être également au contact des multiples expériences nouvelles qu’elles partageront demain avec leurs consommateurs.

 Après être passé du paraître à l’être, les marques entrent peut être dans une ère de passage du faire « pour le client » au faire « avec le client » ?

www.jouvenot.com/french

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