Parler de Cutter, d'Yves Ravey, relève d'un double pari.
Le premier consiste à faire bref. En effet, ce roman comporte à peine cent-quarante trois pages et s'étendre à son propos relèverait de l'impolitesse. Le second est lui d'ordre qualitatif : il
s'agit en effet de rendre ici un juste et nécessaire hommage à l'incroyable qualité littéraire de ce texte, aussi riche de sens qu'épuré dans sa forme. Cutter, donc.
Soient Lili et Lucky, frère et sœur.
Elle est une adolescente aux rêves d'échappées en camion, vers Paris ou ailleurs du moment que c'est loin. Il est un jeune garçon, euphémiquement considéré comme « difficile ». Tous deux ont été
placés par l'Institut de surveillance au service d'un couple, les Kaltenmuller, artisans prospères. Lili s'occupe du ménage, Lucky le mal nommé entretien le jardin en compagnie de son oncle
Pithiviers.
C'est Lucky qui parle. Lucky, bien moins sot qu'on veut le croire.
Complice obligé de Pithiviers et de ses petites magouilles, Lucky est le témoin de la mort de M. Kaltenmuller, par asphyxie, dans son garage. Il assiste ensuite à la mise en scène du suicide par la
belle et désirable Madame Kaltenmuller et l'oncle Pithiviers, aux motifs incertains.
Las, une histoire de montre disparue et quelques incohérences dans les témoignages font sonner la corde soupçonneuse de Saul, l'inspecteur aux santiags et à la R8 Gordini. Tout ce qui était déjà
bien compliqué pour Lucky va le devenir plus encore… Reste une chose, la seule qui soit d'importance : protéger Lili.
Cutter est un livre violent et cru, un livre sec. Cutter porte bien son titre.
Yves Ravey est coutumier de ces textes brefs, mais jamais jusque là il n'avait atteint, malgré la qualité de ses précédents romans, cette osmose entre forme et fond qui fait de sa dernière parution
un thriller de tout premier ordre ; à tel point qu'il aurait simultanément pu paraître à l'enseigne d'une maison spécialisé dans le polar sans que ni les spécialistes du roman noir ni ceux de la
littérature pure ne s'en offusquassent.
Tout bien considéré, Cutter est aussi un livre sur le bonheur, sur sa quête et sur son sens. Qu'il s'agisse d'argent, de pouvoir, d'amour, de sexe ou de la vérité, il n'est jamais question
d'autre chose que de l'accomplissement d'un destin par la possession de l'un ou l'autre de ces éléments.
Cutter est le titre, cutter est également le mot de la fin ; la fin de tourments de Lucky et le début d'une autre vie peut-être. Rien ne le dit dans le livre, alors tout dépend de
vous.
Lisez Cutter.