Deux textes écrits récemment pour Bref, le magazine du court métrage, pour deux très beaux films interrogeant notre rapport à la musique. Ou comment, dans le premier, les chansons de variété les plus banales, reflets de la fiction sentimentale qui se déroule à l'écran, touchent parfois à l'essentiel. Mais aussi comment , dans le deuxième, le simple fait de filmer des proches se passant un disque en dit souvent bien plus sur eux (et sur qui filme) que bien des longs discours...
Puisque tu
pars de Julien Hilmoine
La fuite, les regrets, l’élan, les adieux. Quatre séquences pour un film “en chanté” au propos plutôt anodin mais à la manière enthousiasmante.
Pierre, jeune musicien, part vivre en Australie. Il laisse ici Aurélie. Elle l’aime. Lui non plus. Comment lui dire adieu… Sentiments rebattus de chansons en chansons : les histoires d’amour finissent mal en général et c’est le lot de la pop song que de nous le rappeler comme s’il s’agissait à chaque fois d’une toute première fois.
Puisque tu pars prend le parti d’illustrer cela avec trois tubes signés Jean-Jacques Goldman. Entreprise risquée s’il en est tant les chansons de celui-ci, ancrées dans la mémoire collective, paraissent peu propices à féconder le champ d’un jeune cinéma d’auteur se rêvant plus pop que “variétoche”. Pourtant la magie opère car le dispositif met à nu ces “banales songs”, les révèle dans une beauté paradoxale qui doit tout au cinéma et à la mise en perspective opérée par le réalisateur (secondé, pour les arrangements, par Jean- Charles Versari*).
Quand arrivent les premiers mots de C’est pas d’l’amour, au détour d’une scène de rupture, on craint le clin d’œil stérile (une sorte d’On connaît la chanson du pauvre), mais Julien Hilmoine s’empare sans embarras d’un corpus trivial pour creuser une intuition passionnante. Celle selon laquelle une chanson, aussi facile fût-elle, pourrait contenir en quelques mots toute une histoire, les tournants de nos vies ne valant peut-être pas plus que quelques vers. C’est le paradoxe de Puisque tu pars : ne plus trop savoir ce qui des chansons ou du scénario préexista à l’autre, ne plus savoir si on se trouve face à l’œuvre d’un fan ou d’un esthète conceptuel fasciné par les refrains populaires et leur faculté à doubler nos vies tel un écho.
Surtout – et c’est le plus important – on sent ici une sincérité si prégnante qu’elle rend le film assez
bouleversant. D’une voix malhabile, hésitante, souvent fausse, les deux comédiens principaux s’emparent sans cynisme des émotions contenues dans les mots de Goldman, les incarnent littéralement,
elle avec ses grands yeux tristes et embués, lui avec sa gêne de ne plus aimer. Perpétuellement sur le fil du ridicule – notamment lors de la séquence chorale des adieux – c’est finalement la
grâce qui l’emporte, faisant de ce film fragile un objet atypique et vraiment emballant.
SK
Puisque tu pars, 2008, 35 mm, couleur, 20 mn.
Réalisation et scénario : Julien Hilmoine. Image: Julien Poupard. Montage : Julien Lacheray. Son : Mathieu Perrot. Interprétation : Jeanne Gogny, Valentin Plessy, Julie Débès et Sylvain Sayard.
Production : Elena films.
* Jean-Charles Versari qui fut par le passé chanteur du groupe Hurleurs et d'un autre projet portant son nom, Versari, et qui est aussi cofondateur du label T-Rec (Zone libre, etc)
But We Have the Music
de Shanti Masud
Après Compilation, 12 instants d’amour non partagé de Franck Beauvais ou Puisque tu pars de Julien Hilmoine, force est de constater que les jeunes cinéastes se confrontent beaucoup plus qu’avant à la pop et à sa place dans nos vies.
Étrange et paradoxal précipité générationnel, le film de Shanti Masud ne trahit pas son beau titre emprunté à Leonard Cohen. Le dispositif est très simple: filmer, le temps d’une bobine Super 8 noir et blanc, des proches écoutant une chanson. Il y en aura quinze, best of intime idéal où le rock rugueux du Gun Club côtoie le folk céleste de Nick Drake ou la variété racée de Christophe. Une playlist au bon goût un rien ostentatoire et où frappent l’absence quasi totale de morceaux postérieurs aux années 80, l’ancrage dans le passé glorieux et maudit du rock (Robert Johnson, les Beach Boys, Leonard Cohen en balises indémodables).
Si le projet intéresse en se confrontant à la question toujours stimulante du filmage de la musique et du fan, il trouve sa limite dans une certaine affectation, dans un traitement visuel vintage assumé certes mais qui traduit aussi une approche un peu muséale du rock et de la pop. Entre clichés du genre et approche documentaire, le film ne choisit pas, se plaît dans l’imagerie (les deux dernières séquences semblent prélevées de films du début des années 80 comme Entrées de secours de Jérôme de Missolz), ne respire pas toujours autant qu’il le devrait.
Pour cela, les scènes les plus convaincantes sont finalement les plus simples, les moins mises en scène (en apparence du moins) : deux quadras écoutant Blitzkieg Bop des Ramones au bord d’un canal, secouant la tête énergiquement sans presque se soucier de qui les filme ; celles où la réalisatrice se contente de capter les regards, le spleen, l’attention portée à la musique. Car, quand l’un, du fond de son lit, marmonne (faux) sur la musique, quand d’autres étouffent leur rire, hésitant à se regarder devant la caméra, le film semble dévoiler les êtres plus qu’il ne les fige.
Comment filmer l’écoute ? Comment se comporter face à une caméra scrutant notre visage au moment où passe une
chanson aimée ? Plusieurs attitudes où le mouvement succède à l’immobilité, où la posture concentrée de l’un laisse la place au numéro de l’autre, voire, à deux reprises, à une performance live.
Et puis ces cuirs, ces clopes, ces canettes, cette flasque, comme accessoires immuables de toute mythologie rock’n’roll de poche. C’est souvent dérisoire, parfois ridicule ; c’est aussi, par
moments, très beau.
SK
But We Have the Music, France, 2008, vidéo, noir et blanc, 41 mn.
Réalisation et production : Shanti Masud. Son: Shanti Masud et Arthur Harari. Musique: Leonard Cohen, The Beach Boys, Jackson C. Frank, Gino Paoli, Christophe, The Gun Club, Nick Drake, Les
Olivensteins… Montage: Shanti Masud et Roland Nivière.
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