Voici mon décrochage, sur le site des Impromptus...
Bonne lecture (hin, hin,hin...)!!!
« Dis Grand-papa, tu nous racontes une histoire ? »
Avisant 3 paires d’yeux fixés avec vénération sur lui, le vieil homme esquissa un sourire de contentement. Se calant dans la bergère placée devant la cheminée où flambait une grosse buche, il invita d’un geste les enfants à le rejoindre.
Assis sur ses genoux ou en tailleur à ses pieds, les tendres chérubins retenaient leur souffle, impatients de boire littéralement les paroles de leur grand-père.
« C’était il ya très longtemps. Vous n’étiez pas nés et moins non plus d’ailleurs.
A cette époque, les habitants de cette contrée n’étaient pas tout à fait comme ceux d’aujourd’hui. L’un d’entre eux avait pour nom : Monsieur Ténèbres. C’était un drôle de bonhomme noirâtre, toujours grognon et qui détestait par-dessus tout les rires, la joie et la lumière. Il ne sortait de chez lui qu’à la nuit tombée et même dans l’obscurité, une chose l’enrageait et le faisait lever un poing belliqueux vers la voute céleste : l’éclat de la lune.
Au paroxysme de la colère, il s’enfermait de longues journées et de longues nuits dans sa cahutte, tournant en rond, réfléchissant à la meilleure manière de remédier à l’affront du satellite qui n’en brillait que de plus belle.
En désespoir de cause, il se résigna un jour à aller demander leur avis à ses voisins.
C’était la première fois qu’il leur adressait la parole. Trop hargneux et trop solitaire, il avait passé de longues années à vivre à côté des autres habitants de la contrée et il avait mis toute sa défiance et sa sauvagerie à éviter de les rencontrer. Chacun vivait ainsi à côté de l’autre sans se côtoyer et cela les satisfaisait tous.
Il tambourina à la porte de son voisin le plus proche. Elle s’ouvrit en battant avec force et une grande silhouette filiforme recouverte d’une grande capuche l’accueillit.
- Voisin, comment éteindre cette satanée lune qui illumine horriblement notre contrée ?
- Je ne sais pas, je ne suis que Monsieur Vent Glacial. Je me contente de soulever les cheveux des humains de ma main gelée et je leur glace la nuque jusqu’à absorber toute leur chaleur vitale. Je ne suis pas capable d’éteindre la lune… »
Dépité, Monsieur Ténèbres planta Monsieur Vent Glacial sur le seuil de sa porte et gagna à grandes enjambées la seconde maison la plus proche de sa cahutte.
Il frappa avec force sur le bois pourpre de la porte mais ses larges mains noires s’enfoncèrent dans la matière mouvante.
- Saintes Occultations ! Serai-je tombé sur la maison d’un de ses satanés farfadets farceurs ? Songea-t-il le cœur redoublant de colère.
- Farfadet farceur ? Vous n’y songez pas mon ami ? Quel affront ! Vous êtes sur le seuil de la demeure d’une authentique sorcière. Faiseuse de sortilèges, défaiseuse de charmes, je mélange, je malaxe et je mixe tous les ingrédients dont même le chiendent.
Eteindre la lune, n’y pensez pas, mon cher ! Je devine votre futur crime dans les brumes qui entourent votre aura, déguerpissez, pas un mot où je vous transforme en un vil crapaud. Quittez mon seuil, oust, du vent, du balai ! »
La créature, qu’il n’avait pas même eu l’occasion d’apercevoir, partit d’un grand rire qui lui vrilla les nerfs en pelote d’éclats de fer. C’était très certainement une de ses atroces sorcières, juchée sur un balai ombrageux, arborant une verrue sur le nez et une haleine de salamandre tuberculeuse… rien à espérer, rien à tirer de ce type de créature qui aurait vite fait de se retourner contre lui.
- Il y a des buchers qui se perdent…, pensa-t-il en reprenant sa route.
Il n’eut pas le temps d’atteindre la troisième maison. Son propriétaire, un dresseur de chevaux fous, passa en trombe devant lui, traîné sur le méchant chemin caillouteux par un cheval squelettique aux yeux roulant dans les orbites.
- Repassez dans une semaine ou deux ! Lui lança l’homme tout sourire, couvert de plaies et de bosses, les habits déchiquetés dans la lutte frénétique avec son quadrupède sans raison.
Décidément, il était dit que Monsieur Ténèbres n’arriverait à rien en s’adressant à ses voisins.
De retour chez lui, il réfléchit intensément et ressortit en pleine nuit avec une cognée et une longue corde. Il abattit avec fureur tous les grands arbres de la forêt de Bleau et tailla moult rondins de bois. Il les assembla les uns avec les autres, les liant à l’aide de sa grosse corde.
Il contempla bientôt une impressionnante échelle qu’il gravit prestement en direction des cieux étoilés. Arrivé au dernier rondin, il se hissa sur la pointe des pieds, il étira les bras loin au-dessus de sa tête pour, enfin, décrocher la lune.
- On n’est jamais mieux servi que par soi-même ! » s’écria-t-il, triomphal.
C’est depuis ce jour qu’il existe des nuits sans lune, les nuits où Monsieur Ténèbres grimpe sur son échelle pour décrocher la lumière du satellite qui illumine notre obscurité… »
Le vieil homme contempla, amusé, les mines ébahies des enfants accompagnées par force « oooooohhhh » et « aaaaaahhh » fusant de leurs bouches arrondies sous la surprise et l’émerveillement.
- Allez les enfants, il est temps d’aller au lit. C’est une nuit de Pleine Lune, il vaut mieux se mettre rapidement en sécurité sous son édredon…
- Pourquoi, Grand-papa ?
- C’est une autre histoire, terrifiante, que je vous conterai un autre soir… » Murmura-t-il malicieusement en remuant ses longues oreilles de plus en plus velues…