Levi-Strauss est mort, les jean’s restent

J’

espère que les aficionados de ce grand penseur ne m’en voudront pas pour ce titre qui reflète pourtant ce que l’ignare et l’inculte doivent penser de cette mort. Mais peut-on contrôler la granularité des morceaux dans la culture ?

J’entends ce matin, dans l’émission sur France-Inter, Esprit critique, Catherine Clément évoquer la mémoire de son ami Claude Levi-Strauss. Comme hier soir sur France 3. Comme avant sur Canal +. Et tous les médias plus ou moins intellos de reprendre ainsi cette voix pour vulgariser la pensée de cet homme. Bonne idée, mais … comment dirais-je … ? Pas ma tasse de thé ?

Je me rappelle mon professeur Baudoin Jurdant me dire avec son oeil pétillant : « Vulgariser les sciences humaines : mais ce n’est pas nécessaire !! ». A moi de me débrouiller avec cette formule péremptoire, de comprendre les tenants et aboutissants. J’en sais un peu moins aujourd’hui, et bizarrement, je le comprends un peu mieux.

Je le suppose nos hommes politiques vont vouloir mettre les cendres de Claude Levi-Strauss au panthéon. Pour certains penseurs, il va rentrer forcément dans leur panthéon personnel, par inconscience ou opportunité, parce que c’est le père fondateur du structuralisme, parce que c’est un monument de l’anthropologie. Nul doute que Bernard-Henry Lévi, qui déclarait il y a quelques soirs sur « Ce soir ou jamais », que Michel Foucault était sans aucun doute le plus grand penseur du XX^ème siècle fasse rentrer ce dernier mort à sa place. Un héros chasse l’autre.

La pensée, le savoir, la découverte, toutes ces aventures humaines sont collectives par essence, c’est sûrement cette pensée qui dirige ce blog. Sans doute Claude Lévi-Strauss, de par sa vie et son œuvre aura mieux su exprimer que d’autres une idée qui est née au début du siècle. Il a dit lui même s’être nourri de la pensée de Marcel Mauss, considéré comme le père de l’ethnologie française. Rien que le fait de croire qu’il y ait une « ethnologie française » présuppose qu’il y en ait d’autres, à la même époque, que des courants de pensée se soient confrontés et nourris.

Claude Lévi-Strauss est né à cet instant précis où le monde ne pouvait plus être le même : la radio venait de naître, l’avion prenait son tout premier envol, le voyage intercontinental devenait possible pour un plus grand nombre d’individus. Et surtout, il était plus « facile » de revenir, de dire ce qu’on avait vu, de raconter. Les héros de cette période étaient des aventuriers, hommes et femmes qui traînaient leurs guêtres à travers le monde, et les plus humanistes d’entre eux ne rencontraient pas des hommes si différents de nous. Le concevoir, c’est une chose.

L’exprimer, c’en est une autre. Sûrement Claude Levi-Strauss a fait partie de ces hommes qui ont construit une nouvelle pensée de l’homme sur ce fait très simple : nous savons que l’homme est une espèce unique, et que nous ne sommes pas si différents des indiens d’Amérique du sud, ou des inuits d’arctique.

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^ème

D’autres chercheurs ont aussi apporté leurs pierre – je pense en France à Jean Malaurie, dont un texte est publié dans Philosophies du mois dernier – et ensemble, dont Claude Levi-Strauss, ces pierres ont construit une pensée cohérente, audible, construite, et permanente. Probablement les écrits de ces hommes auront permis à des générations entières  – dont la mienne – de se construire une vision imparfaite de notre monde.

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Et une fois cette pensée digérée par la société (ou bien espérée comme digérée …), nous personnifions ces pensées, les plaçons dans un panthéon, en construisons des mythes (tiens tiens, la pensée du mythe humain, c’est Levi-Strauss !) nous les figeons. Pourquoi figer dans le bronze les représentants de cette pensée ? En les personnifiant, voulons-nous immobiliser cette pensée ? Nobels, médailles, présidents au garde à vous, que sais-je des tous ces honneurs officiels ? Il y a une certaine ironie à ce que ce soit Levi-Strauss qu’on veuille figer ainsi.

Ou voulons-nous continuer à nous nourrir de toutes ces idées qui ont construit le XXème et peut être le XXIème ? Voulons nous lire, écouter, participer à ces pensées ?

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Juste avant l’émission Esprit critique, le journal de 9 heures présentait un sujet d’un journaliste qui n’avait apparemment pas suffisamment bien compris la pensée de Levi-Strauss, reprenant à son compte ses paroles. Mais voilà, au moins, des pensées qui continuent à vivre, même mal comprises. Nul doute que les paroles de Claude Levi-Strauss nourriront les pensées de ses successeurs et même, pourquoi pas, de nous autres qui confondent le créateur de ce pantalon à toile brute avec ce grand penseur. Comme il s’est nourri lui-même de la pensée des autres.