Il nous faut aujourd'hui réparer, autant qu'il est possible, un récent oubli – grave.
Hier, 3 novembre 2009, l'Eglise fêtait un très grand saint : saint Martin de Porrès (1579-1639), qualifié d'Apôtre de la charité, et canonisé par le Pape Jean XXIII, le 5 mai 1963.
On ne manquera pas de lire la courte hagiographie qui en a été dressée par le P. Wilfrid-Marie Houeto, de l'Ordre des Frères Prêcheurs, sur le site Domuni.
Comme tous les saints, naturellement, saint Martin a brillé de mille vertus, mais il offre un petit attrait particulier qui, quoique secondaire, n'en est pas moins charmant. Ce cher Frère dominicain parlait aux animaux, lesquels, visiblement, saisissaient ce qu'il voulait dire.
On raconte ainsi qu'un jour, en son couvent de Lima, au Pérou, le prieur, lassé de voir les souris dévaster les lieux, avait pris la grave décision de les exterminer. Après tout, ces petites bêtes, qui n'avaient pas fait profession et n'étaient même pas donates, comme le jeune Martin, n'étaient pas chez elles. Enfin, du moins, c’est ce que l’on disait. Le couvent ne devait pas être bien riche - les Prêcheurs sont des mendiants - et c'était bien assez des estomacs des Frères pour épuiser les provisions sans que de petites quenottes s'y mêlassent.
Or voici que la cruelle nouvelle parvint, naturellement, aux oreilles de notre Apôtre, lequel, refusant de devenir souricide, s'empressa d'aller trouver ses amies les souris pour les avertir du danger. Je dis “ses amies” parce que tel un saint François, Martin de Porrès incluait dans son amour des œuvres de Dieu tous les animaux qui se présentaient à lui. Tout désolé sans doute de devoir leur faire part de telles extrêmités, il invita les petites bêtes à prendre les devants et à s'en aller ailleurs quérir une nouvelle vie avant que les foudres prieurales ne les en privât.
Il n'est pas si difficile que cela d'imaginer ce petit chapitre des souris, tenu dans le fond de la cuisine obscure du couvent, éclairée par quelque pauvre bougie vacillante. Nos amies en arc de cercle, dressées sur leurs pattes arrières, les mains sous le scapulaire (naturellement), l'air grave, même la souris Nounouche, ordinairement si dissipée, écoutant le bon frère penché vers elles pour leur exposer la préoccupante affaire.
Elles ont beau être petites, les souris ne sont pas sottes. L'exposé ne dut pas être si long que leur conviction ne fût totale : il fallait partir, et d'urgence. Elles négocièrent, cependant. Je vous l’ai dit : elles sont futées. Sans peine, d’ailleurs, tant le cœur de Martin était grand, y compris à l’égard des animaux, elles obtinrent de ne devoir émigrer que vers le fond de jardin. L’affaire fut ainsi conclue, et le bon Frère s’engagea même à les y venir nourrir chaque jour, ce à quoi il ne manqua pas.
Mais les palabres sont une chose, la survie en est une autre. Les souris s’empressèrent donc bien vite, avec la promptitude que bien l'on pense. Un prieur a beau n'être pas un chat, s'il se met en tête de vous occire, il y a tout autant à redouter de lui que s'il l'était. Au milieu des couinements, la petites communauté s'afféra, rangeant, emballant, tournant ici puis là pour ramasser de derniers en-cas que le bon Frère Martin faisait mine de ne pas voir disparaître. Bah, il trouverait bien à mendier pour compenser ces petits larcins innocents.
Aussi vite qu’elles étaient apparues, aussi vite elles disparurent. Tout le monde en fut heureux. Le bon Frère, évidemment, qui sauva ainsi ses petites compagnes et en loua Dieu. Ces dernières aussi, naturellement, puisqu’elles conservaient la vie pour s’en réjouir, goûtant de surcroit les agréments d’une vie nouvelle à la campagne, en quelque sorte. Et jusqu’au Père Prieur probablement, encore que les documents, je l’avoue, me manquent sur ce point, qui dut se féliciter de la promptitude et de l’efficacité des mesures qu’il avait prises, signe manifeste de la fermeté de son gouvernement.
Les enfants goûtent bien cet épisode qui, il est vrai, n’est pas banal. Les souris leur sont familières, puisqu’elles les visitent après chaque petite dent tombée. Après tout, il n’est pas interdit (non, non, je vous assure) de penser que désormais, de génération en génération, les petites souris, sauvées par la bonté de saint Martin, se passent le mot pour, à leur tour, servir les cœurs purs.