Les amateurs lisent les
articles spécialisés, mais très abordables, abondamment accompagnés de
photographies, de la revue Oiseaux.
Ils savent aussi que la poésie a réservé une belle place aux oiseaux. Henri
Pichette a même dressé un splendide catalogue des cris d’oiseaux et souvent
écrit à propos des oiseaux dits "sauvages" :
Le
goéland, la sterne
frisant
la vague
jettent
au vent
Leur clameur d’enfants d’outre-monde,
tandis
que le huard
sillant
l’eau plane du lac
pousse jusqu’en votre âme son cri de
lumière écorché.
Et les oiseaux de la basse-cour ne sont pas non plus négligés par la poésie,
ainsi chez Frénaud :
Fièrement
le coq,
dessous
les nefs qui se défont,
gorge
formée au feu de forge,
toujours
crie fort.
Ce détour pour affirmer qu’il faut un esprit des plus rigoureux, celui du
chercheur, et un goût profond pour la poésie (Fabienne Raphoz est également poète), pour entreprendre un
recueil de contes aussi important. Un rapide descriptif de l’ouvrage est
nécessaire ; 478 pages : 101 contes de la Turquie au Danemark et au
Burkina-Faso, de l’Australie au Chili et aux Vosges, partagés en trois
ensembles ("Contes des oiseaux", "Oiseaux des contes",
"Quelques ailes subsidiaires") ; des notes précises pour chaque
conte, jamais pédantes, qui donnent l’aire de diffusion et les variantes, des
éclaircissements sur tel oiseau, des références, etc. ; une bibliographie,
plusieurs index ; un très beau cahier en couleurs de gravures anciennes et
de photographies, complété par un autre cahier de documents variés en noir et
blanc. Ce n’est pas tout : des dizaines de dessins de Ianna Andréadis accompagnent
le texte — et un dessin bleu et noir de l’oiseau bleu (Frobia) ; une postface d’une trentaine de pages apporte au
lecteur toutes les analyses indispensables pour comprendre le rôle majeur de l’oiseau
dans l’histoire de l’humanité.
On l’aura compris, ce livre est une somme passionnante qui s’ajoute aux volumes
de la collection "Merveilleux". Le plus réjouissant est que l’on peut
laisser de côté tout ce qui n’appartient pas aux contes — sauf les
illustrations ! — et lire en retrouvant (cela a été mon cas) la fraîcheur
des lectures de l’enfance. Ensuite, on reprend, on s’attarde aux notes, pas
toutes, on y reviendra, et comme L’Oiseau
de Michelet a été un livre de chevet, on finit par être curieux de la synthèse
de Fabienne Raphoz. On ne sera pas déçu.
On ne pense pas spontanément au fait que l’univers des contes1, comme celui des fables, est peuplé
d’oiseaux. Omniprésence de l’oiseau — fascinant parce qu’il vole, marche, nage
et dans l’imaginaire est aussi lié au feu. On sait que le fabuleux phénix
renaît sans cesse de ses cendres, création « liée à un symbole astrologique (le soleil qui se lève et se couche) ou
religieux (immortalité de l’âme qui renaît au « paradis » après la
mort). La mue des oiseaux a pu participer de cette mythologie de la
régénérescence [...] » ou « n’être
qu’une explication merveilleuse donnée par l’homme à l’admiration, mâtinée de
crainte, qu’il éprouvait à l’égard de ces oiseaux lorsqu’il ne pouvait
comprendre leurs formidables mouvements migratoires » (note, p. 88 et
89).
Les oiseaux, réels ou imaginés, sont présents dans tous les arts ;
Fabienne Raphoz les retrouve dans la littérature et la musique (et l’on pense
aussi aux étranges sculptures des oiseaux jumeaux de l’art roman), mais
également dans tous les domaines de la vie quotidienne. Non seulement ils sont
très présents, mais ce qui est remarquable, et qu’expose précisément Fabienne
Raphoz dans son commentaire, c’est que certaines associations, comme celle de
l’aigle et du serpent, sont communes à des civilisations fort
différentes : le Serpent à plumes du mythe aztèque (Quetzalcóatl) est
quasi identique dans un mythe babylonien...
Les oiseaux des contes et des fables miment la société des hommes tout en étant
oiseau : dans un conte, un aigle
ne peut être remplacé par un pigeon, surtout quand il remplit un rôle
d’auxiliaire — ainsi l’aigle du monde souterrain (Turquie) délivre le héros en
l’emportant sur son dos. L’oiseau aide de l’homme ? Plus encore :
dans des contes des Nations Premières, l’homme et l’oiseau (et d’autres
animaux) se parlaient, ce qui laisse entendre « une ancienne connaissance intime, une continuité entre l’homme et son
environnement, peut-être perdue, sauf dans la parole qui la réitère, cette
fois, à son insu ». Dans un autre contexte, la proximité est plus
forte puisque l’oiseau est considéré comme une « épiphanie de l’âme » — oiseau augure, oiseau sacré, et si la
colombe figure l’esprit saint les anges ne sont-ils pas des bêtes ailées ?
Quant au mot oiseau, il appartient
comme zizi (déformation de zoizeau) au langage enfantin pour
désigner le sexe d’un jeune garçon — "le
petit oiseau va sortir du nid"...
La symbolique multiforme de l’oiseau est bien lisible dans les contes, à la
condition de les réunir en nombre et de pouvoir les commenter, en les comparant
: c’est le cas dans cette somme qui, répétons-le, se prête à des lectures
différentes. Pour le plaisir, fermons ce rapide survol avec, encore,
Pichette :
À
chacun son oraison
Le
rossignol y la chante
La
dam’ du clocher la chuinte
La
hulotte la houhoule
La
lulu la turelure
La
ramier la caracoule
Le
rougegorg’ la susurre
L’hirondelle
la babille
La
corneille la coraille
Le
coq la cocoricote
Et
le pinson la fringote
À
chacun son oraison
Oiseau
des haies Oiseau des nues
Oiseau
sois le bienvenu
Dans
mon cœur et dans ma maison.2
Contribution de Tristan Hordé
Fabienne Raphoz, L’Aile bleue des
contes : l’oiseau, une anthologie commentée & illustrée de dessins
originaux de Ianna Andréadis, suivie de L’oiseau-monde,
une omniprésence, éditions José Corti, 2009, 25 €.
1 Voir par exemple les Contes pour les enfants et la maison des
frères Grimm, dont l’édition complète a paru cette année chez Corti.
2 Le premier poème est
extrait de Poèmes offerts, éditions
Granit, 1982, p. 54, et le second de Cahiers
Henri Pichette 2, éditions Granit, 1995, p. 53.