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L'Aile bleue des contes, de Fabienne Raphoz (lecture de Tristan Hordé)

Par Florence Trocmé

Rapphoz
Les amateurs lisent les articles spécialisés, mais très abordables, abondamment accompagnés de photographies, de la revue Oiseaux. Ils savent aussi que la poésie a réservé une belle place aux oiseaux. Henri Pichette a même dressé un splendide catalogue des cris d’oiseaux et souvent écrit à propos des oiseaux dits "sauvages" :
                Le goéland, la sterne
                frisant la vague
                jettent au vent
       Leur clameur d’enfants d’outre-monde,
                tandis que le huard
                sillant l’eau plane du lac
       pousse jusqu’en votre âme son cri de lumière écorché.

Et les oiseaux de la basse-cour ne sont pas non plus négligés par la poésie, ainsi chez Frénaud :
                Fièrement le coq,
                dessous les nefs qui se défont,
                gorge formée au feu de forge,
                toujours crie fort.

Ce détour pour affirmer qu’il faut un esprit des plus rigoureux, celui du chercheur, et un goût profond pour la poésie (Fabienne Raphoz est également poète), pour entreprendre un recueil de contes aussi important. Un rapide descriptif de l’ouvrage est nécessaire ; 478 pages : 101 contes de la Turquie au Danemark et au Burkina-Faso, de l’Australie au Chili et aux Vosges, partagés en trois ensembles ("Contes des oiseaux", "Oiseaux des contes", "Quelques ailes subsidiaires") ; des notes précises pour chaque conte, jamais pédantes, qui donnent l’aire de diffusion et les variantes, des éclaircissements sur tel oiseau, des références, etc. ; une bibliographie, plusieurs index ; un très beau cahier en couleurs de gravures anciennes et de photographies, complété par un autre cahier de documents variés en noir et blanc. Ce n’est pas tout : des dizaines de dessins de Ianna Andréadis accompagnent le texte — et un dessin bleu et noir de l’oiseau bleu (Frobia) ; une postface d’une trentaine de pages apporte au lecteur toutes les analyses indispensables pour comprendre le rôle majeur de l’oiseau dans l’histoire de l’humanité.
On l’aura compris, ce livre est une somme passionnante qui s’ajoute aux volumes de la collection "Merveilleux". Le plus réjouissant est que l’on peut laisser de côté tout ce qui n’appartient pas aux contes — sauf les illustrations ! — et lire en retrouvant (cela a été mon cas) la fraîcheur des lectures de l’enfance. Ensuite, on reprend, on s’attarde aux notes, pas toutes, on y reviendra, et comme L’Oiseau de Michelet a été un livre de chevet, on finit par être curieux de la synthèse de Fabienne Raphoz. On ne sera pas déçu.
On ne pense pas spontanément au fait que l’univers des contes1, comme celui des fables, est peuplé d’oiseaux. Omniprésence de l’oiseau — fascinant parce qu’il vole, marche, nage et dans l’imaginaire est aussi lié au feu. On sait que le fabuleux phénix renaît sans cesse de ses cendres, création « liée à un symbole astrologique (le soleil qui se lève et se couche) ou religieux (immortalité de l’âme qui renaît au « paradis » après la mort). La mue des oiseaux a pu participer de cette mythologie de la régénérescence [...] » ou « n’être qu’une explication merveilleuse donnée par l’homme à l’admiration, mâtinée de crainte, qu’il éprouvait à l’égard de ces oiseaux lorsqu’il ne pouvait comprendre leurs formidables mouvements migratoires » (note, p. 88 et 89).
Les oiseaux, réels ou imaginés, sont présents dans tous les arts ; Fabienne Raphoz les retrouve dans la littérature et la musique (et l’on pense aussi aux étranges sculptures des oiseaux jumeaux de l’art roman), mais également dans tous les domaines de la vie quotidienne. Non seulement ils sont très présents, mais ce qui est remarquable, et qu’expose précisément Fabienne Raphoz dans son commentaire, c’est que certaines associations, comme celle de l’aigle et du serpent, sont communes à des civilisations fort différentes : le Serpent à plumes du mythe aztèque (Quetzalcóatl) est quasi identique dans un mythe babylonien...
Les oiseaux des contes et des fables miment la société des hommes tout en étant oiseau : dans un conte, un aigle ne peut être remplacé par un pigeon, surtout quand il remplit un rôle d’auxiliaire — ainsi l’aigle du monde souterrain (Turquie) délivre le héros en l’emportant sur son dos. L’oiseau aide de l’homme ? Plus encore : dans des contes des Nations Premières, l’homme et l’oiseau (et d’autres animaux) se parlaient, ce qui laisse entendre « une ancienne connaissance intime, une continuité entre l’homme et son environnement, peut-être perdue, sauf dans la parole qui la réitère, cette fois, à son insu ». Dans un autre contexte, la proximité est plus forte puisque l’oiseau est considéré comme une « épiphanie de l’âme » — oiseau augure, oiseau sacré, et si la colombe figure l’esprit saint les anges ne sont-ils pas des bêtes ailées ? Quant au mot oiseau, il appartient comme zizi (déformation de zoizeau) au langage enfantin pour désigner le sexe d’un jeune garçon — "le petit oiseau va sortir du nid"...
La symbolique multiforme de l’oiseau est bien lisible dans les contes, à la condition de les réunir en nombre et de pouvoir les commenter, en les comparant : c’est le cas dans cette somme qui, répétons-le, se prête à des lectures différentes. Pour le plaisir, fermons ce rapide survol avec, encore, Pichette :
                À chacun son oraison
                Le rossignol y la chante
                La dam’ du clocher la chuinte
                La hulotte la houhoule
                La lulu la turelure
                La ramier la caracoule
                Le rougegorg’ la susurre
                L’hirondelle la babille
                La corneille la coraille
                Le coq la cocoricote
                Et le pinson la fringote
                À chacun son oraison
                Oiseau des haies Oiseau des nues
                Oiseau sois le bienvenu
                Dans mon cœur et dans ma maison.2

Contribution de Tristan Hordé

Fabienne Raphoz, L’Aile bleue des contes : l’oiseau, une anthologie commentée & illustrée de dessins originaux de Ianna Andréadis, suivie de L’oiseau-monde, une omniprésence, éditions José Corti, 2009, 25 €.


1 Voir par exemple les Contes pour les enfants et la maison des frères Grimm, dont l’édition complète a paru cette année chez Corti.
2 Le premier poème est extrait de Poèmes offerts, éditions Granit, 1982, p. 54, et le second de Cahiers Henri Pichette 2, éditions Granit, 1995, p. 53.


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