Si les producteurs français de designer toys se comptent aujourd'hui encore sur les doigts d'une main, il n'empêche qu'il vous faut maintenant lever un doigt supplémentaire pour en dresser la liste. LeLab vient en effet de faire une entrée remarquée dans ce cénacle ô combien fermé en commercialisant il y a quelques jours sa première série de trois jouets dénommée Playing Art et en ouvrant les portes de son site internet.
Les semaines et les mois à venir devraient réserver d'autres belles surprises du côté de chez LeLab avec la sortie annoncée d'autres modèles de jouets, d'une série de minis ainsi que l'organisation d'un concours de designs qui débouchera sur la production du modèle lauréat.
Direction Nîmes donc pour nous entretenir avec Denis et Bee, les deux fondateurs de LeLab et en apprendre un peu plus à leurs côtés sur le monde des jouets.
LeLab c'est qui, c'est où, ça fonctionne comment ?
Denis et Bee : Le Lab, c'est Bee et moi-même. Bee s'occupe plus de la partie fabrication et logistique, moi je serais plus sur la communication et la direction artistique même si on a chacun notre mot à dire. On a depuis peu notre bureau à Nîmes, avec tous nos jouets. Nous avons longtemps travaillé chez nous, c'est aujourd'hui beaucoup plus facile de discuter face à face.
Comment vous est venu l'idée de passer à l'acte, de passer de la collection de jouets à la production ?
Denis : C'était une évidence, c'était ce que j'avais toujours voulu faire. Je suis passionné de dessin, de graphisme, de design, de street culture, de fringue, de sport, de bande dessinée, de jouet, de sculpture, de peinture… C'est bizarre que tous ces univers ne se soient pas mélangés plus tôt. En tout cas, j'ai envie d'en faire partie, il y a tellement de choses à découvrir, le toy est un support parfait.
Et puis ma famille m'a supporté, tout paraissait logique. Avec Bee associée dans l'aventure plus rien ne pouvait me stopper !Bee : Nous nous connaissions déjà avec Denis, j'ai donc vu le projet évoluer dans sa tête puis sur le papier, et quand il m'a demandé d'y participer, j'ai réalisé que c'était une évolution logique et excitante de mon travail de fabricante. Aimant également les toys, le design et tout ce qu'on a cité plus haut, je ne pouvais qu'adhérer !
La production de jouets seule est-elle censée être rentable ou tout au moins viable pour LeLab ou envisagez vous de produire d'autres supports (tee-shirt, etc) ?
Denis et Bee : Le plan qui a été présenté aux banquiers ne tenait compte que des jouets et oui, apparemment, c'est viable. Ceci dit, nous allons faire d'autres supports : des prints, des livres, du T-shirt… mais cela restera limité par rapport aux toys.
Pouvez vous nous expliquer, phase par phase (du premier dessin à la production en chaine), comment se crée et est produit un jouet ?
Denis : Du premier dessin il faut arriver au dessin final. Déjà, c'est tout un travail… Et puis après il faut passer du dessin au volume. Nous avons choisi de travailler avec un modeleur 3D, ça nous permettait d'avoir des fichiers exploitables directement par l'usine et de gagner du temps sur l'étape de prototype. Mais pour faire du volume il y a un énorme travail d'interprétation et finalement on a à gérer une étape de sculpture traditionnelle mais sur ordinateur. C'est assez fascinant ! Donc de longs échanges avec Jérémie (Dgé2, le modeleur), à chaque étape il envoie une 3D de la pièce ou de la partie sur laquelle on travaille et à coup de captures d'écrans et d'annotations on avance sur la sculpture. Quand on hésite on contacte l'artiste et on continue. Et puis il y a aussi les peintures. Il faut que l'artiste nous donne les 6 vues en couleurs. Souvent les vues ne correspondent pas : un cercle sur une surface sphérique devient une ellipse mais l'usine risque de ne pas comprendre qu'il s'agit d'un cercle. Et puis un trait qui fait le tour d'une surface ne correspond pas toujours sur les 6 vues, il faut corriger, là aussi c'est un aller-retour d'échanges avec l'artiste. Quand nous sommes satisfaits et que l'auteur est satisfait, on sort les fichiers 3D, les plans, les 6 vues avec les références couleurs et on envoie le tout à l'usine.
Bee : C'est là que je prends le relais. Je transmets le fichier 3D à l'usine qui prépare alors un premier prototype issu numériquement, depuis les fichiers. Ce prototype permet uniquement de valider les formes extérieures du jouet et grossièrement les articulations. Lorsque cette étape est validée, on passe aux choses sérieuses : définir les matières qui conviendront le mieux pour chaque partie du jouet, la position des lignes de soudure pour les pièces en ABS, etc. Lorsque cela est défini, l'usine passe alors à la fabrication du moule proprement dit, ce qui prend environ 2-3 semaines. A partir de là on commence à recevoir des échantillons de pièces. Les têtes, par exemple, ont été produites en premier parce que le processus de rotomoulage est relativement long. Les pièces injectées prennent moins de temps. Après l'injection vient le temps du calage des moules, de la peinture et de la soudure (point délicat s'il en est !). On reçoit de plus en plus de jouets "finis" mais à perfectionner, et c'est un long processus de corrections/validations qui s'enclenche : resserer telle articulation, améliorer telle soudure, et ainsi de suite jusqu'à satisfaction (et/ou épuisement du temps imparti !). Pour les mascottes de Tizieu, il a aussi fallu fabriquer de minuscules t-shirts, vérifier la taille, la coupe, l'impression du logo... et les faire livrer à temps à l'usine de jouets vu qu'ils doivent être insérés avant l'assemblage final. En parallèle du travail sur les toys eux-mêmes, il ne faut pas oublier l'impression des boîtes, les blisters, l'inspection finale, l'organisation du transport... et la préparation des prochaines fabrications ! Pour un toy, il faut compter environ 4 à 5 mois pour la première production, parfois plus selon la complexité de la forme. Après, lorsque le moule est fait, cela peut aller nettement plus vite.
Quant à la distribution, comment cela va-t-il se passer ?
Denis et Bee : Nous sommes en relation avec un distributeur spécialisé dans le réseau des librairies de bandes dessinées et un distributeur spécialisé pour les USA. Le reste, nous le gérerons nous-mêmes pour le moment, mais cela peut évoluer.
Vous parlez de créer "une alternative neuve et originale aux différentes propositions qui existent déjà" dans le domaine du jouet d'artiste. Quel diagnostic portez vous sur la production actuelle de jouets et comment décririez vous cette alternative que vous désirez proposer ?
Denis et Bee : Le "designer toy" a fait ses lettres de noblesses avec des artistes qui sont aujourd'hui devenus célèbres et très cotés. Il faut sortir de ce schéma art = profit. Nous cherchons à travailler avec des artistes pour leur talent et non leur "bankabilité". Je ne dis pas que nous n'allons jamais travailler avec des artistes renommés, mais simplement que ce n'est pas notre vocation première. On a simplement envie de se faire plaisir à produire untel ou unetelle.
Et puis il y aussi la forme de notre plate-forme, PLAYING ART™ : je te promets que ce n'est pas le jouet le plus évident à travailler et pourtant nous avons reçu plein de propositions réellement impressionnantes.
Comment et selon quels critères avez vous choisi les artistes participants à la première série Playing Art™ ?
Denis et Bee : Au coup de coeur ! Pour la première série nous avons contacté des artistes que nous admirons et certains nous ont fait confiance. Nous avons reçu certains designs qui étaient plus adapté à un format mini, nous avons alors travaillé une version PLAYING ART™ mini… Et puis on avait décidé de ne garder que 3 designs pour la série, il a fallu choisir.
Aro est un artiste avec lequel nous voulions travailler depuis longtemps. Spasm One nous a sidérés avec son design : un vrai choc visuel ! Et LeJam ne nous a pas laissé le choix : il nous a présenté cinq designs différents. Bon d'accord, trois étaient des robots mais quand même...
Quel type de deal passez vous avec les artistes participants à vos différents projets ? On sait que dans le milieu du jouet, tout se fait généralement "à l'amiable" et que, traditionnellement, les artistes sont "rémunérés" par le biais de quelques exemplaires de leur jouet, charge ensuite à eux de se démerder comme ils veulent pour les vendre et se faire un peu d'argent de poche...
Denis et Bee : Dès la naissance du projet il était clair pour nous que les artistes avec lesquels nous travaillerions seraient rémunérés en droits d'auteurs et non pas en jouets. Pourquoi une personne qui contribue à la vente de nos produits par la qualité du travail qu'elle a effectué ne serait-elle pas payée et devrait-elle se débrouiller pour vendre elle-même ses jouets et récupérer son dû ? Ne pas considérer un toy designer au même titre que n'importe quel autre artiste nous semblait injuste.
Vous venez donc de commercialiser une première série collective (Playing Art™) puis deux persos conçus par Tizieu, Marcel & Jessica, sont prévus pour bientôt. Et ensuite, quels sont les projets, quelles sont vos envies et à quelles échéances ?
Denis et Bee : Comme on le disait tout à l'heure, on a prévu un PLAYING ART™ mini. Nous avons demandé à Aro, Spasm One et LeJam de travailler dessus. Ils seront rejoints par CLBN, Stenkat, Tizieu, Baader, Kate Moross et Tan-Ki. Nous avons aussi d'autres projets qui avancent, mais n'étant pas encore signés nous préférons ne pas en dire plus pour le moment. En tout cas on aime faire preuve de curiosité, chercher des projets stimulants.
Pour finir, vous pouvez nous dire un peu ce que vous mijotez en matière de concours ?
Denis : Pour le lancement de notre site nous avons mis en place un concours de design pour un set PLAYING ART + PLAYING ART mini. Le thème est "Dr Freud et la folie". J'aimerais bien savoir ce que la psychanalyse pense d'adultes qui collectionnent des jouets ; que penserait le Dr Freud s'il voyait nos petits singes ? J'aime beaucoup cette idée, ça devrait donner lieu à de chouettes créations. Le concours est ouvert à tous, il suffit de rester fidèle au thème et fournir les 4 vues pour les 2 jouets avant le 30 novembre. Le vainqueur se verra proposer un contrat d'édition pour la production du set.
Parallèlement et plus localement, il y a un autre concours qui est organisé par la librairie Album à Montpellier. Il s'agit d'un concours libre de customs avec, là aussi, un contrat d'édition en premier prix. Laurent, le gérant de la librairie, a été séduit par le PLAYING ART et nous a soutenus dès le début. Là encore, je suis curieux de voir comment les artistes vont s'approprier la forme.