Le budget de la recherche – en discussion devant le Parlement – affiche une forte progression. Cette présentation a le don d’exaspérer le monde de la recherche publique. Certes, les carrières sont globalement revalorisées, mais l’essentiel de cette hausse est à nouveau dû au crédit d’impôt recherche (CIR), une subvention versée aux entreprises privées qui effectuent des dépenses de recherche et développement (R&D). En revanche, le soutien aux institutions publiques ne progresse guère.
Doit-on pour autant attaquer le CIR ? Après tout, la recherche privée, comme publique, est un moteur de la croissance économique, et le fait de stimuler le secteur privé est, dans ce cadre, légitime pour l’Etat. Il convient donc d’examiner précisément le dispositif actuel.
Malgré l’existence d’un CIR, institué dès 1983, l’effort en R&D des entreprises en part de la richesse nationale stagnait, voire régressait depuis le milieu des années 1990. Inversement, il a nettement progressé en Allemagne, qui n’a pourtant pas de CIR ! D’où l’idée d’un changement profond du mode de calcul de ce crédit d’impôt : au lieu de prendre en compte la croissance des dépenses, c’est désormais leur niveau qui permet d’obtenir un chèque de l’Etat. Celui-ci atteint 30 % des sommes engagées (60 % si l’entreprise sous-traite à un laboratoire public). Ce changement de base de calcul et le déplafonnement du crédit ont fait littéralement exploser le coût du CIR : 0,9 milliard d’euros en 2004, 1,7 milliard en 2007, bien au-delà de 2 milliards prévus pour 2010. Avec les avances prévues par le plan de relance, c’est dix fois le budget consolidé de la plus riche université française (Paris-VI) qui serait versé aux entreprises.
Peut-on en espérer un impact significatif sur le comportement des entreprises, notamment des plus grandes, qui bénéficient à plein des nouveaux modes de calculs ? Les évaluations économétriques de l’impact du CIR en France sont, a priori, prometteuses ; mais toutes portent sur les dispositifs antérieurs, lorsque le chèque de l’Etat n’était versé que si les entreprises augmentaient leur effort de R&D ; on ne peut donc les extrapoler au CIR actuel pour lequel une société touche le chèque… même si elle diminue ses dépenses de R&D ! En attendant de futures études, on constate, avec le Conseil des prélèvements obligatoire auprès de la Cour des comptes, que depuis le début des réformes, les dépenses de R&D des entreprises ont diminué en part du produit intérieur brut, ce qui n’est guère encourageant…
Surtout, le détail des secteurs d’activité bénéficiaires de cette politique mérite l’attention. On ne dispose que de données allant jusqu’en 2007, au début de la montée en puissance des nouvelles mesures. Or les grands gagnants de la réforme sont les secteurs de l’assistance aux entreprises et les services financiers et d’assurance ! Les créances de l’Etat y sont environ dix fois supérieures à celles consenties aux sociétés des industries automobile, navale, ferroviaire, aéronautique, ou pharmaceutique.
Certes, les entreprises de service font de la R&D. Il peut s’agir, dans la banque et l’assurance, d’un nouvel outil de paiement en ligne ; mais le plus gros effort porte sur la modélisation des marchés financiers ou des comportements des assurés, sur le développement de logiciels pour les traders ou de nouveaux outils financiers comme les subprimes.
En aidant indistinctement tous les secteurs, l’Etat répond à une des prescriptions des théories économiques dominantes : il est réputé ne pas savoir décider quel projet financer, d’autant que la recherche est une activité dont le résultat est par nature aléatoire. On peut toutefois douter de l’efficacité de subventionner la R&D bancaire alors que les incitations dans ce secteur ne manquent pas, compte tenu des milliards en jeu.
Autre paradoxe, ce sont pourtant bien les entreprises industrielles qui font l’essentiel de la recherche privée en France. Comment font les financiers pour récupérer tant d’aides de l’Etat à travers le CIR ? En fait, le droit fiscal permet de faire remonter les CIR de toutes les filiales industrielles d’un groupe à sa tête, souvent une holding… classée dans le secteur des services financiers ou aux entreprises ! Le soutien à la recherche privée se transforme alors en subventions aux holdings financières, au risque d’éliminer tout effet de stimulation de la R&D sur le terrain. Les chercheurs du privé et les contribuables ont aussi de quoi être amers…
source: le Monde et politique.jourdefemmes.fr