Anthony Joseph & The Spasmband
Voodoo
Chile
Faisant suite à son premier album ‘Leggo De Lion’ sorti en 2007, Anthony Joseph nous revient la tête d’un sextet tonitruant. Ses mots de braises nous emmènent dans ses souvenirs lointains et fantasmagoriques de sa jeunesse passée dans les Caraïbes, sur un sacré fond de funk vaudou et de free jazz. Nous voilà parti pour taper une discuss’ fort agréable autour de son dernier album, le transcendant ‘Bird Head Son’. Ce londonien d’adoption, n’est pas avare de ses paroles, un digne fils de l’Afrique et de toute sa diversité.
Vous avez débuté en tant qu’écrivain avec ce livre « The African Origins of the UFO’s ». Comment vous est venue l’envie de transposer vos mots en musique ?
Anthony Joseph: “La musique a toujours été très importante pour moi. Enfant, j’ai grandi à Trinidad avec mes grands parents, sans frère et sœur, donc j’avais de temps pour en écouter ! Devenir un musicien était une chose assez évidente pour moi mais en même temps, j’écrivais aussi des poésies et des nouvelles. Quand je suis arrivé à Londres, on a fondé un groupe de rock avec de amis qui a duré quelques années. Puis je me suis vraiment trouvé en tant que poète, c’était ça mon truc ! J’ai réalisé par la suite que les mots et la musique ont beaucoup de similarités et je me suis donc à nouveau rapproché de la musique. La poésie est une musique parlée, elle doit être scandée, déclamée, chantée, c’est complémentaire ! J’adore la scène également et le sentiment spirituel et presque religieux d’un concert grâce à la puissance de la musique ; c’est une célébration, c’est très vivant. »
Votre nouvel album ‘A Bird Head Son’ est une sorte d’adaptation de votre livre du même nom. Quelle a été l’approche musicale avec le Spasmband lorsque vous avez commencé à travailler sur cette « adaptation » ?
Anthony Joseph: “Après avoir fait du black rock pendant plusieurs années, je voulais faire quelque chose de plus représentatif de ce que je suis et de Trinidad. J’ai commencé à faire ce projet spoken words avec seulement trois musiciens (basse, saxo, djembé). C’est une musique très spirituelle basée sur la musique et les rythmes de l’église baptiste de Trinidad qui sont eux-mêmes assez similaires à ce qu’on trouve dans les rituels vaudous par exemple. Avec mes musiciens, j’ai donc adapté des lignes de basses, des rythmes qui pouvaient en même temps servir de support à mes mots. Plus ils jouaient, plus ils comprenaient d’où cela vient et à quoi je voulais arriver. Le Spasmband est plus étoffé maintenant car il s’agit d’un sextet mais c’est toujours de cette façon que l’on travaille. Ceci dit, je ne suis pas un musicien, l’approche musicale est donc à ce qu’ils sont en tant que musicien. »
Comment trouve-t-on le juste équilibre entre les mots et la musique surtout lorsqu’elle est aussi funky ?
Anthony Joseph: “ Ça m’a pris quelques temps ! Quand on a commencé à faire de la scène, surtout sur le continent, le public ne comprenait pas la poésie qui leur arrivait ; tout ce qu’il voulait c’est danser et moi je voulais qu’ils comprennent ! Mais après quelques temps, je me suis rendu compte qu’on ne peut s’attendre à ce que le public donne 100% de son attention à mes mots car mon écriture est très denses. Je me suis dis que ceux qui veulent vraiment comprendre les mots, ils peuvent toujours acheter l’album ou lire le livre. Donc j’ai fais une sorte de compromis : si tu rends le public heureux avec la musique c’est déjà super et si en plus ils comprennent certains des mes mots c’est encore mieux ! Et puis moi sur scène avec un groupe, je veux bouger aussi, je veux chanter ! »
Oui sur les vidéos de votre mysapce, on voit que vous vivez intensément chacun de vos mots, c’est très physique en somme…
Anthony Joseph: “ Absolument. Je ne sais pas d’où ça vient… sans doute du rite de l’église baptiste : après deux heures de chants et de prières, quelque chose change dans la vibration collective et les gens commencent à faire du « speaking in tongue », à trembler, tomber en transe, à pleurer etc. c’est une transcendance. C’est ce que j’essaie d’approcher sur scène, tu sais, ce point où j’oublie ce que je suis, où je suis et aller au-delà de la conscience. Tous les performers essaient de faire ça, je crois. Regarde Jimi Hendrix, après quelques temps, il oublie tout, il n’est plus que son jeu de guitare et emporte tout le public ! »
Le fait d’avoir une approche nettement plus rythmée sur votre nouvel album est-il lié à cette conception du live ?
Anthony Joseph: “ Oui mais c’est d’abord une évolution naturelle du groupe. Au début, quand on était quatre sur scène, on était fort dans le « spoken words », dans la répétition des motifs rythmiques afin d’induire une sorte de douce transe. Maintenant on est devenu de plus en plus confiant et plus nombreux avec les guitares, les percussions, et on a commencé à expérimenter un peu plus. D’où est venue cette approche plus free jazz et funk qui a un impact plus direct sur le public. »
Sur le premier titre de l’album on entend Keziah Jones à la guitare…
Anthony Joseph: “ Je le connais depuis des années, lorsque j’avais commencé à jouer à Londres dans un groupe de black rock au début des années 90. Et c’est un des seuls qui a émergé et sorti des albums. J’étais très fan, je l’ai rencontré et on est devenu des potes. On a eu pas mal d’histoires de fous ensemble à Londres ! Je l’ai donc invité à un de nos concerts et sa façon de jouer rencontrait parfaitement notre musique, c’était incroyable. Lorsqu’on a enregistré l’album, c’est la première personne à qui j’ai pensé. Il était vraiment content de jouer dessus et m’a dit : « Quoi ? Tu veux que je joue seulement sur trois titres ? Je veux en faire plus ! ».
Pour en revenir à vos textes, quelles expériences, souvenirs ou messages racontent-ils ?
Anthony Joseph: “ C’est un retours à ma première vie à Trinidad car j’ai vécu à Londres presque aussi longtemps que là-bas ! C’est une sorte d’hommage à ma famille, à mon enfance, c’est un peu autobiographique aussi. Mais pas seulement car je fais plutôt dans le surréaliste ce qui laisse de la place à l’imagination des auditeurs. ‘Vero’ par exemple est inspirée de la légende de la diablesse : elle effrayait tout le monde car elle avait un pied de vache et un pied normal… elle était très agressive et faisait de la magie noire etc. Si tu la rencontrais tard dans la nuit, elle a l’air absolument magnifique mais elle t’emmène vite fait dans un coin sombre et tu disparais à jamais… Il y a plein d’histoire comme ça chez nous… J’ai repris cette idée et l’ai étendue à une expérience de séduction un peu malsaine. »
Le morceau ‘Bird Head Son’ provient du titre de votre nouveau livre également…
Anthony Joseph: “ Oui, là c’est vraiment ma jeunesse à Trinidad. La nature, les montagnes, les animaux sont partout autour de toi et une partie de toi. C’est aussi la relation avec mon grand-père, unhomme assez stricte, très à cheval sur la discipline. Son caractère se ressent dans l’âpreté de la chanson. Puis j’ai du quitter cet endroit, ce fut un petit traumatisme de laisser tout cela derrière moi. Il faut pouvoir ensuite revenir pour voir comment ça a changé alors que je ne suis fais plus partie de tout ce que j’ai connu. Bon, c’est un peu complexe… »
Trinidad est un berceau de plein de styles de musiques différentes, le calypso, le soca… ça se ressent un peu dans votre musique…
Anthony Joseph: “ Oui, d’où c’est d’où je viens et c’est ce que je suis. J’ai un grand respect pour cette musique. Je n’impose pas cela à mes musiciens mais ça ressort naturellement chez moi et ils le sentent assez vite la vibration que je cherche. À Trinidad c’est très éclectique comme musique, c’est une grande mixture. J’aime à penser que ce qu’on fait va même un peu plus loin ; une sorte de bande-son d’un territoire où toutes les diasporas noires se retrouvent ensemble. L’Afrique, les Amériques et les Caraïbes en un son… Un ami musicien m’a dit : « ce que tu fais, c’est le futur du calypso, c’est un truc progressif ! ». Et en effet, je voulais faire quelque chose qui soit vrai envers mes racines. »
Beaucoup de jeunes groupes rock actuellement revendiquent également une influence africaine dans leur façon de jouer de la guitare ou la batterie etc. Qu’en pensez-vous ?
Anthony Joseph: “ Bon, c’est une longue, longue question ! En bref, si tu regardes l’Afrique sur une carte, elle ressemble à un cœur et de fait, c’est le rythme de base de beaucoup de musiques passées et actuelles. Tous les musiciens savent que pour toucher l’âme des gens, il faut avoir ce rythme, c’est là qu’est le funk, c’est ce qui te fait bouger. Le funk n’est pas dans le beat mais dans le silence entre les beats. Il y a bien sûr beaucoup de styles de musiques différents mais beaucoup viennent d’une idée similaire qui est de faire bouger les gens, de leur donner de l’émotion et l’Afrique a une culture particulière pour pouvoir apporter cela aux gens, grâce à la musique. C’est le rythme du cœur. »
En parlant de ce continent, vous avez ouvert les concerts d’un grand fils de l’Afrique, Seun Kuti…
Anthony Joseph: “ Oui, c’était au Cargo de Londres. Ça c’est un perfomer vraiment phénoménal. J’ai beaucoup appris rien qu’en le regardant. Il est comme son père ! Bon je n’ai pas connu son père mais c’est très clair que ce gars-là est exceptionnel. Son concert est un des meilleurs que j’ai vus depuis très très très longtemps ! »
La semaine dernière c’était mardi-gras et j’ai vu qu’à Trinidad, c’est l’occasion d’un grand concours de « steel pan » (tambours d’acier spécifiques à Trinidad) qui anime tout le carnaval. Qu’est-ce que cet instrument représente pour vous ?
Anthony Joseph: “ C’est une part importante de notre identité. J’ai beaucoup vu cela lorsque j’habitais là-bas mais ce n’est que récemment que j’ai commencé à comprendre ce que cet instrument est réellement. J’ai fait beaucoup de recherches sur son histoire, sa fonction sociale, c’est passionnant ! J’espère pouvoir aller à Trinidad l’année prochaine avec mon groupe et y enregistrer le prochain album, c’est le plan et c’est un rêve! Si ça se fait, ça va être magique ! »
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