Née en 1972 aux États-Unis d’un père mexicain et d’une mère américaine, Lhasa a pris entièrement les commandes de son troisième album qui semble être celui du calme après la tempête. Personnalité envoûtante et complexe, elle dévoile au travers de ce disque une évolution personnelle saisissante dans un folk crépusculaire. Les atmosphères invitent toujours autant à la mélancolie mais sur un mode plus contemplatif que par le passé. Elle nous entretient des circonstances qui l’ont emmenée vers ces nouvelles directions. Plus d'interviews et de chroniques sur www.rifraf.be
Lhasa : « C’est un album éponyme comme on dit. Pour les deux précédents, les titres étaient assez évidents pour moi. Ce n’étaient pas des concepts albums non plus mais les titres s’imposaient d’eux-mêmes d’après les chansons qui tenaient l’album ensemble (‘La Llorona’ et ‘The Living Road’). Pour cet album-ci, je n’ai pas ressenti cela. De plus l’idée de cet album, c’est comme un voyage et de voir jusqu’où je pouvais aller, moi, sans chaperon, sans « adulte » pour me tenir la main dans la production, par mes propres moyens (rires). Quand j’ai senti cela, j’ai trouvé que ce serait bien que l’album porte tout simplement mon nom. C’est un peu enlever les couches et dire où j’en suis ? »
En effet, je vois que vous produisez cet album vous-même et que vous écrivez la plupart des titres. Y avait-il d’autres directions à prendre par rapport celles qui sont prises avec Yves Desrosiers qui chaperonne les deux premiers albums ?
Lhasa : « J’avais découvert des musiciens merveilleux avec lesquels on a monté un spectacle. On a appris les chansons ensemble, on a monté le spectacle et joué en live pendant pas mal de temps. C’était tout un processus dans lequel j’ai exprimé aux musiciens ce que j’avais envie d’entendre pour ces chansons-là. Ils se sont montrés ouverts à cela et le spectacle s’est très bien passé. Un mois plus tard, il semblait tout à fait naturel de poursuivre le travail en studio avec eux. C’était aussi une façon de continuer à apprendre sur la musique car je n’ai pas de vocabulaire et d’éducation musical à proprement parler, il m’a toujours fallu quelqu’un pour faire le pont entre ce que j’avais en tête et les musiciens. Comme on se comprenait bien avec eux, je me suis rendue compte que je pouvais faire sans ça. C’était dès lors assez évident de poursuivre le voyage ensemble. De plus, le fait qu’il n’y ait plus personne entre moi et les musiciens permet d’éviter les intermédiaires et d’arriver plus directement à ce que je veux, au niveau des pensées et des concepts. Ça évite les « erreurs de traductions ».
Les chansons ont-elles été écrites spécialement pour ce spectacle ou bien ont-elles été écrites au fur et à mesure des six années qui nous séparent de l’album précédent ?
Lhasa : « Une chanson avait été écrite pendant l’enregistrement de ‘The Living Road’, c’est ‘Bells’. Les autres ont été écrites dans les deux ans qui ont suivi la tournée de cet album. Je travaille lentement de toute façon. Je me donne la permission de prendre le temps, personne d’autre que toi peut ne te donner la permission… Mais pour le prochain album, je voudrais essayer de travailler plus rapidement, notamment en composant directement avec les musiciens car seule, oui, c’est un fait, je suis lente ! »
Cette optique live permet de développer les morceaux sur scène et ce fut aussi une méthode de travail que vous avez reproduit en studio, notamment en enregistrant tout en analogique, sans ordinateur, sans aucune machine ; vous êtes donc restée à l’écart de toute forme de technologie ?
Lhasa : « Il y a de la très bonne musique faite par ordinateur et c’est très bien. Mais pour moi, ce n’est pas un univers et une méthode qui me plaît. Les ordinateurs, à la fois facilitent pas mal de choses mais également induisent un perfectionnisme dans lequel je ne me reconnais pas car on peut tricher. On peut devenir tellement pointilleux en faisant répéter une demi phrase d’un couplet ou en déplaçant un peu le chant pour qu’il soit pile dans la mesure etc, ça ne me plaît pas car on finit par tout voir sous cet angle là. J’ai beaucoup apprécié cette fois-ci de pouvoir travailler totalement en live. On finit par oublier qu’il y a quinze ou vingt la musique était enregistrée uniquement de cette façon-là. Le travail du musicien est beaucoup plus présent sans les machines. Et puis ça rend notre travail plus vivant et plus musical : quand on travaille sans métronome, on peut ajouter des nuances dans les rythmes, ralentir puis accélérer etc. Tout dépend dans quel monde on veut vivre : on n’est pas obligé d’écouter de la musique de lounge ou de publicité faite par ordinateur pendant toute la journée… il y a autre chose qui existe aussi ! (rires)
Ce nouvel album est écrit totalement en anglais. Est-ce parce que vous arrivez à mieux exprimer vos expériences dans votre langue maternelle que vous avez décidé de ne plus utiliser l’espagnol ou le français ?
Lhasa : « Ces dernières années, je me suis beaucoup éloigné de la France où j’ai vécu un moment. Lorsque je suis revenue à Montréal, j’étais contente de retrouver les deux langues et je me suis laissée porter assez vite vers l’anglais pour la musique. »
Y-a-t-il une langue qu’on utilise plus volontiers pour traduire certaines idées ou sentiments ?
Lhasa : « Non. Ce serait faire des généralités par rapport à une langue qui ne serait pas exacte. Ce serait comme dire que tous les anglophones sont des gens cartésiens, ou que tous les francophones sont des intellectuels, ce qui ne représenterait pas fidèlement toute la diversité de ces gens… Les langues sont trop vastes pour les réduire à telle ou telle caractéristique. »
Par rapport à ce nouvel album, j’avais comme l’impression que c’est le calme après la tempête, tant au niveau du tempo que des textes. Dans le premier album qui me semblait plus extraverti, on trouvait des paroles assez violentes : « je suis venue dans ce désert pour y brûler »…
Lhasa : « Quand j’ai écrit cela, j’avais entre 20 et 24 ans. Le drame m’intéresse moins aujourd’hui. Mais chaque chanson demeure une mise en scène de choses qui sont puissantes pour moi. À présent j’évoque toujours l’amour mais aussi d’autres états d’âme ou des réflexions plus philosophiques. Par ailleurs, le rêve tient une certaine place dans les textes. Mais il est vrai qu’à l’époque, j’étais plus intéressée par ce genre de musique qui te prend par les épaules et te secoue. Par la suite, j’ai commencé à écouter des musiques qui te laisse t’approcher plus doucement, comme Sam Cook, Al Green. C’est cela qui m’attire à présent. »
La musique latine est moins présente également pour laisser place à des compositions qui vous sont sans doute plus personnelles…
Lhasa : « Ce type de musique-là n’aurait pas été approprié pour ce que je voulais dire. C’aurait été une sorte de collage musicale qui n’aurait pas de sens et aurait nuit aux chansons, ça les aurait travestis. Ces nouvelles chansons ont besoin d’une intégrité vraiment spécifique. »
Lhasa
‘Lhasa’
Warner/Audiogram
Les interprétations enflammées et les textes lacérés de ses débuts ont
été autant de meurtrissures dont elle s’est peu à peu relevée. On
trouvera donc sur ce disque des atmosphères plus posées, comme à la
recherche d’une sagesse primitive demandant avant tout à vivre, à
défaut de pouvoir trouver la sérénité. Les compositions présentent une
unité dans le style et le son bien spécifique (proche du titre ‘Soon
This Space Will Be Too Small’ de son opus précédent) et c’est peut-être
en cela que ce nouvel opus se distingue des précédents. Elle s’explique
d’une côté par le fait que c’est Lhasa qui a écrit et produit à elle
seule la (quasi) entièreté de l’album en réussissant à imprimer
sobrement les transformations de sa personnalité. D’autre part, elle a
choisi de chanter uniquement dans sa langue maternelle qui est
l’anglais. Exit l’espagnol et le français, de même que le folklore sud
américain. Dans la superbe fluidité d’instruments acoustiques réduits
au minimum, le feu sacré de sa voix s’élève lumineux ou hanté selon
qu’elle aborde ses visions oniriques (‘A Fish On Land’ ou ‘Where Do You
Go’) ou sa détermination à se libérer de ses chimères (‘Fool’s Gold’ et
‘I’m Going In’). Des combats contre ses amours réduites en cendres,
résultent toujours en complaintes élégiaques sur un mode toutefois
moins dramatique et dans un tempo laissant toute la place à
l’introspection. Envoutant et singulier, vous entendrez dans ce disque
une artiste qui ne cesse d’éclore, à condition de s’en approcher tout
doucement, en faisant silence. Dès lors la magie agira. (jd)