Panique au village
Globe-trotter dans l’âme mais pas dans les faits, du moins en attendant que mon psychiatre accomplisse le miracle pour lequel je le paye à prix d’or, j’ai tout de même eu l’occasion de traverser quelques frontières. Celles de la République Tchèque et de la Crête, de la côte est des États-Unis et du Danemark, de l’Angleterre et de la Belgique… Haaa, la Belgique, ses chopines bien remplies, ses bars au cachet inimitable, ses statues de bambins se soulageant la vessie, ses généreuses friteries, ses rues piétonnes bondées de rabatteurs, son cinéma frappadingue. Oui oui, frappadingue. Du survival rigoureux (Calvaire) à la comédie grinçante (C’est arrivé près de chez vous) en passant par le road movie (Aaltra) ou la science-fiction (Atomik Cirkus, le retour de James Bataille), les cinéastes d’outre-Quiévrain sont depuis un bail passés maîtres dans le port de l’entonnoir et le coup de moulinette. Pas de chance pour les cibles favorites des partisans de la blague xénophobo-sympatoche, leur image à l’internationale ne devrait pas s’améliorer avec la sortie de Panique au village, long métrage d’animation où l’esthétique artisanale des studios Aardman le dispute à la démence des Monty Python.
Tiré d’une série promise à l’immortalité mémorielle (merci Canal +), le film narre les aventures de Cowboy, Indien et Cheval. Ou plutôt les mésaventures, la faute aux deux premiers qui, désireux d’offrir un barbecue à l’équidé les hébergeant, ont commandé par erreur quelques milliards de briques. Briques qui ne tardent pas à réduire en miettes la belle demeure de leur ami. Qu’à cela ne tienne, les trois compères vont s’attacher à tout reconstruire de leurs petites mains et sabots. Problème : de mystérieux voleurs dérobent chaque nuit le fruit de leur dur labeur. Ce synopsis vous parait loufoque ? Vous n’avez encore rien vu. Pour mettre un terme aux agissements des mystérieux malandrins et remettre sur pied leur bâtisse, Cheval, Cowboy et Indien vont devoir braver le froid polaire et les profondeurs des océans, dérouiller une famille d’Atlantes ou encore échapper à des scientifiques adeptes du ninjutsu, tout en essayant de ménager la sensibilité de Madame Longrée, la jument du conservatoire qui en pince pour Cheval.
Pingu, le Alex Murphy du plat pays
Vous l’avez deviné, du moins je l’espère, l’intérêt de Panique au village repose en grande partie sur l’imaginaire foutraque de ses auteurs, Stéphane Aubier et Vincent Patar. Des types du genre à traiter les zygomatiques avec autant d’égard que leurs héros, c’est-à-dire sans ménagement. Rocambolesques, les péripéties de Cheval et ses boulets de colocataires sont en effet cuisinées à toutes les sauces humoristiques. Si bien que de personnages secondaires zinzins en comique de répétition et de bagarres disproportionnées en saillies parfaitement absurdes, on se retrouve écartelé de plein gré entre le rire et la nostalgie. La nostalgie d’une enfance passée à se raconter des histoires à grands renforts de soldats en plastique, de figurines G.I. Joe ou Action Man. La différence, c’est que mes doublages étaient moins hilarants que ceux d’un Benoît Poelvoorde, complètement déchaîné sous la casquette de Steven, fermier incapable de s’exprimer autrement qu’en hurlant, obnubilé par son tracteur, qui s’enfile les bières comme des shots de jus de pomme et s’avale chaque matin une tartine de Nutella à taille humaine en moins de temps qu’il n’en faut pour crier “Hey, tu veux casser ma porte ?“. L’autre différence, c’est que mes bruitages à la bouche et décors de cailloux n’étaient pas aussi convaincants que je voulais bien le croire. Dernière différence et non la moindre : faire du stop motion sans être techniquement et intellectuellement équipé pour, ça ne le fait pas.
Or, à l’inverse de celui de votre serviteur, le travail d’Aubier et Patar sort du lot, à la fois par ses matières premières (des figurines en plastique avec socle apparent) et le choix d’un rendu archaïque à faire passer les œuvres de Ray Harryhausen pour des modèles de fluidité. Panique au village en est tour à tour bluffant (le ballet des livreurs, le siège à base de catapultage de cochons…) et désopilant et se pose, un peu à la manière de Be Kind, Rewind, comme une ode au bricolage et à l’imagination. Àla lumière de cette utilité publique et pour son effronterie globale, on pardonnera deux choses à cette production. Un, ses baisses d’intensité. Le film a beau durer 76 minutes, on se dit que si François Pérusse étirait ses Deux minutes du peuple, il obtiendrait un effet “dents de scie” similaire à celui généré ici. Deux, l’intégration au casting de Jeanne Balibar, dont la voix de diva des caniveaux et le jeu terne comme un matin sans Oligo 25 ne méritent pas tant de considération. Si vous ne me croyez pas, essayez d’aller la voir sur les planches sans être pris de l’envie de faire retenir l’alarme du théâtre. Vous verrez, ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air. M’enfin si vous devez choisir entre ce test et Panique au village, n’hésitez pas, allez vous gausser des gaffes de Cowboy et Indien. Ils le valent bien.
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