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Il va bien falloir se farcir l'identité nationale, ce n'est pas moi qui ai ouvert le débat, mais je veux bien en dire un mot. D'ailleurs, j'en connais qui n'attendent que ça. Alors, on y va.
D'abord, ce débat semble tomber de nulle part au moment où le gouvernement aimerait bien qu'on parle d'autre chose que de ses résultats sociaux désastreux, de la liquidation du service public, des déboires de son président qui ne peut plus sortir de son palais sans envoyer sa garde boucler des villes entières et repousser les manifestants hors de portée de sifflet, et même de ses déficits d'image lorsqu'on lit la presse étrangère hilare à propos des aventures de son fils à la Défense.
Ça paraît même un peu surréaliste lorsqu'on sait que l'artisan de ce charivari immobiliste a changé, en un an, de convictions politiques, de parti, et de femme...
Vouloir définir une "identité nationale" équivaut à la congeler, la borner, à lui fixer d'étroites limites qui l'empêchent de vivre, d'évoluer et de progresser, à ne lui ouvrir que le passé en lui fermant l'avenir.Tout cela est d'une puante hypocrisie.
D'ailleurs, sur le site créé pour la circonstance:
http://www.debatidentitenationale.fr
les interventions sont « modérées », et curieusement, les miennes comme bien d'autres n'apparaissent jamais.
Vous avez le droit de dire ce qu'on veut bien que vous disiez. Ou alors, de jouer « les petits contradicteurs de service » convenus et bien polis, qui s'égarent dans les détails, au lieu de s'attaquer au fond ou de contester la partialité et le dirigisme de la présentation du petit monstre. .. Big Brother pense pour vous.
D'abord l'intitulé: le mot « national » conceptualise des frontières brutales, évoques des enjeux tragiques de l'histoire, des limites qu'on voudrait infranchissables, des dogmes immuables, des traditions figées et incapables d'évoluer.
Si déjà on l'appelait "identité française", le seul mot de "Français" évoquerait les Lumières, l'histoire d'un pays qui s'est construit des apports sans cesse renouvelés de contributions extérieures, et qui a su fusionner les différences dans son creuset républicain et laïque.
Ceux-là même qui nous en proposent le débat aujourd'hui nous présentent sciemment la chose par le mauvais bout de la lorgnette. « L'identité nationale » qu'ils appellent de leurs vœux serait un moule contraignant dans lequel on obligerait les gens à entrer, quitte à les amputer de tout ce qui dépasse, une sorte d'usine à clones qui produirait en grande série des petits « votesarko » bien propres et bien bêlants.
Ce sont les mêmes ringards qui envoient leurs enfants en "séjour d'immersion linguistique" parce qu'on apprend mieux une langue dans le pays et qui exigent que les immigrés, eux, parlent français avant d'arriver. Ces adeptes du « plus c'est gros mieux ça marche » trouvent chaque jour davantage de gogos pour réciter leurs slogans sans réfléchir et sans se regarder dans une glace.
Les Corses, les Antillais, les Bretons et les Basques ont-ils la même identité nationale?
A vouloir fixer des limites à cette identité, on la borne, on la corsète, on l'empêche de respirer, de vivre, et donc d'évoluer et de progresser.
Car « l'identité nationale » qu'on veut instaurer aujourd'hui comme un carcan, rappelons nous qu'elle n'est autre que le fruit de notre histoire... Faut-il arrêter d'écrire l'histoire, congeler à jamais son image d'aujourd'hui pour être sûr de retrouver dans cinquante ans, dans cent ans, le même beauf intolérant, qui confond égalité et communisme, liberté et droit d'injure, octroie aux minorités un « droit à la différence » comme une charité préalable qui le dispenserait de reconnaître un vrai droit à l'intégration, ne regarde que les films de violence et de cocus parce ce sont les seuls où il est sûr de tout comprendre et se prend pour l'aboutissement d'une évolution au point de juger inutile que les choses progressent après lui?
Tous ces nostalgiques qui voudraient arrêter l'Histoire ne réussiront qu'à rester sur le quai. Car on n'arrête pas l'Histoire. On n'y laisse juste soit la trace d'un innovateur, soit celle d'un pauvre déchet arcbouté sur les rails le temps d'être brisé par sa marche inexorable.
Je m'énerve pas, j'explique.
N'en déplaise aux petits jardiniers méticuleux qui viennent de finir la tonte de leur pelouse aux ciseaux et de tailler leurs rosiers avec un cordeau, leur jardin va changer après eux comme ils ont eux-même aménagé celui que leur a laissé leur grand-père.Hier, la nation était bretonne ou picarde, L'Artois se foutait sur la gueule avec le Brabant et la Bourgogne avec le Dauphiné. Aujourd'hui elle est hexagonale, demain elle sera européenne.
Alors, l'identité française avec laquelle on veut détourner notre attention des choses importantes, elles n'est qu'une photo de l'instant présent, demain, elle ne sera plus qu'une image désuète et jaunie parce que ce présent là sera devenu le passé
Si ces messieurs veulent en parler, ils ne peuvent la relier qu'au vrai présent: au harcèlement dans les entreprises et aux suicides « à la mode », par exemple, au nombre de sans-logis qui augmente dans les pays riches aussi vite que dans les pauvres, à la fracture sociale qui se creuse et s'élargit comme jamais elle ne l'a fait, aux nantis qui échappent à l'impôt... Relions la encore au pouvoir anonyme et irresponsable de l'actionnaire tout-puissant, à la politique appliquée aux pays où on crève la faim parce qu'on leur a vendu des armes au lieu de la bloustifaille qu'on ne sait même plus acheter à nos propres paysans.
L'identité française aujourd'hui, c'est ça. Et c'est ça que vous voulez graver dans le marbre?
A trop se regarder soi-même, on oublie qui sont les autres, et même jusqu'à l'existence des autres et leur « droit à la planète ». Une sorte de négationnisme anticipatif. L'identité est synonyme de limite et de faiblesse, l'altérité de progrès et d'enrichissement mutuel.
Alors, si vous voulez que demain ressemble à aujourd'hui, cramponnez-vous à cette image. Pour ma part, et même si je n'en connaîtrai pas les résultats, je préfère qu'on cesse de vouloir la fixer dans cet état et qu'on la laisse vivre sa vie. Certes, cela occasionnera des changements dans notre petit jardin, mais il faut cesser de s'adonner à la nostalgie. L'Homme n'a pas écrit cinq mille ans d'histoire pour rester bloqué au début de ce siècle.
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