N°22 Le Zamak !!

Publié le 02 novembre 2009 par Frogetech

272° jour

10h00, salle Flaubert, gare à la casse !

Le staff mécano au complet patientait dans un coma bienheureux, tous intimement persuadés d’approcher l’heure des félicitations officielles. Le projet touchait à sa fin, la production devait commencer dans les semaines suivantes, et la partie mécanique était bouclée propre en ordre, à la plus grande satisfaction du responsable méca, qui ne ratait pas une occasion de se gausser de son homologue softeux qui passait la plus grande partie de ses week-ends au bureau avec son équipe. « Problem Report » et débugger était devenu les maîtres mots dans les conversations du groupe d’informaticiens.

C’est à l’entrée du directeur des études et du chargé d’affaire que se levèrent les vents contraires. Aucun des deux n’était à sa place pour les congratulations. Par contre, les divers signaux propres à nous angoisser étaient, eux, à leur place. Visages fermés, plis d’amertume, yeux vagues, sourcils froncés, cravate relâchée, tout était réunit pour dégrader l’ambiance.

- Bien messieurs, attaqua le directeur, nous avons un retour client et une problématique sur les bras. Leur laboratoire a réalisé des tests en environnement réel, et les résultats sont préoccupants ! Charles, à toi ! lança t-il en se tournant vers le chargé d’affaire.

- Bon, ils sont en pleine production de fromages de saison, et ont donc profité de l’occasion pour pousser notre produit dans ses derniers retranchements : ils y ont mis un fromage particulièrement agressif pendant deux semaines. Le bilan des tests est catastrophique ! L’acidité attaque notre plastique, provoquant un changement de couleur et l’apparition de bulles sur les parois internes. Je ne vous cache pas que ça a fait un sacré cri dans le landerneau, soupira t-il.


La consternation se répandait aussi rapidement que l’odeur que devait avoir le fromage incriminé.

- Mais, réagit le responsable méca, on a pourtant sélectionné le matériau selon leur cahier des charges, et ils l’ont validé. De plus on avait réalisé pas mal de tests en interne sans jamais rencontrer de problème remarquable !

- Certes, mais jamais avec ce type de fromage. Bref, c’est la cata, et le client en fait tout un fromage, c’est le cas de le dire ! Ils ont mis leurs meilleurs experts sur le coup, paraît même qu’un analyste fromager a été dépêché par la maison mère en suisse, c’est vous dire !

- On a déjà reçu leur rapport préliminaire, enchérit le chargé d’affaire, et les premières conclusions soulignent un changement de matière radical. On doit revoir notre copie avec une nouvelle donnée : ils nous imposent du zamak !

- Quouhâââ ! le rugissement du responsable méca avait passé mach 2 avec succès. Vous prétendez qu’on doit refaire l’étude à quelques semaines de la mise en production ? Mais c’est quoi ce délire, en plus on y connait rien en zamak, on est des plasturgistes. Sans compter le retard qu’on va se ramasser, les softeux n’ont pas fini de nous charrier !

- Calmez-vous, les gars. On en a discuté avec le client, il comprend qu’il faudra du temps supplémentaire. De nouveaux délais sont en négo, et leur designer vient passer une semaine ici pour nous aider. C’est-y pas une bonne nouvelle ça ? ronronna le directeur des études.

L’aspect décomposé de l’équipe ne le rassura pas, bien au contraire.

- Bon allez, je suis sur que vous avez hâte de vous jeter sur ce nouvel os à ronger. Et puis quoi, le zamak c’est aussi de l’injection, il n’y a pas grande différence avec le plastique. Je suis sur qu’avec des gars comme vous, le sujet sera rapidement maîtrisé et ficelé de A à Z, comme zamak !

Sa piètre tentative pour stimuler les troupes tomba à plat, plombée par un zamak trop lourd à digérer.

De retour dans le bureau après un bref repas qui refusait de passer, nous retrouvâmes pour notre plus grande joie Herr Machin, le fameux designer. Egal à lui-même, il rutilait dans une veste dorée, le chef coiffé d’un chapeau à damier surmontant une paire de lunettes certainement empruntée à Elton (John). Le pompon revenait à son superbe parapluie jaune fluo, alors que la météo maintenait un superbe temps sec pour le restant de la semaine.

- Ach, les zamis, che contente retrouver vous ! On va faire tu pon trafail tous enzemble, j’en frémis d’avance ! clama t-il en se tortillant de bonheur.

Son « frémir » nous poussait tous à espérer un accroc linguistique, tandis que nous nous observions en chien de faïence dans l’attente de savoir qui allait hériter de l’énergumène. Notre chef de projet, certainement briefé entre temps, se contenta de pousser un soupir avant de l’accompagner dans son bureau, où un espace libre avait été aménagé. Je crois que c’est à ce moment là que ceux d’entre nous qui guignait une promotion, avec responsabilités à la clé, changèrent brutalement d’avis.

Le restant de la journée se passa dans une ambiance studieuse, à la recherche de la moindre information concernant le fameux zamak, source assurée de futurs problèmes. C’est alors que notre Filochard – souvenez-vous, un des prestataires arrivés six mois plus tôt – surgit de derrière son écran avec un sourire béat.

- Eh ! les gars, j’vous avais pas dit que ma mission précédente, ben c’était dans une boîte qui fabrique des petites voitures en zamak. J’ai passé deux ans à faire des trucs comme ça !

Et il se cacha derechef derrière son 22 pouces. Le silence glacé qui accueillit cette nouvelle en disait long : on était bon pour s’appuyer sur le zigoto, avec un énorme doute sur ce qui allait en sortir !

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