J'ai eu beaucoup de chances dans ma vie professionnelle. Je suis rentré au service Etudes de la Compagnie Bancaire. J'y ai mis un peu le bazar avec l'Atelier (tout proportion gardée, cela ressemblait un peu à un Google gaulois), j'ai aussi beaucoup voyagé de par le Monde, mais aussi dans la France profonde... J'aurais pu faire du recouvrement au Cetelem (il n'y a pas de sot métier certes, mais je n'en ai fait qu'un après-midi à Arras, chef lieu du Pas de Calais, et cela m'a largement suffit). Car prêter de l'argent c'est bien, mais le recouvrer c'est mieux. Et puis, j'ai travaillé avec des hommes extraordinaires, des hommes bien, des humanistes : André Lévy-Lang en premier, et toute son équipe de direction. J'y étais à mon aise, je faisais partie d'une équipe, je servais à quelque chose; malgré le fait, vous n'allez pas me croire, que je ne suis pas tout à fait l'inventeur du concept de l'Atelier. Ou en tout cas, pas le seul créateur. Et puis, mais cette idée m'est venue plus tard, je me suis rendu compte que j'étais au première loge pour voir changer le monde. Car le monde, que je continue d'observer, a et va encore changer dans des proportions que la plupart n'imaginent pas. Surtout l'élite française d'aujourd'hui. Certains certes, ne veulent pas qu'il changent. Mais quoiqu'ils fassent, il changera, principe de précaution ou non (d'ailleurs on se fout un peu de ce principe : le gouvernement a investi des millions d'euros dans les nanotechnologies à Grenoble, alors que l'on ne connaît pas encore l'impact que ces nanos auront sur la matière vivante, l'environnement, etc...).
Je vais donc essayer de vous raconter la petite histoire de cet Atelier. Mais j'ai 64 ans : les souvenirs s'estompent. Donc, n'hésitez pas à me rappeler des faits qui vous auraient marqué de près ou de loin si vous avez participé à ce bazar (un ami qui a beaucoup participé au Club de l'Arche m'a rappelé l'histoire du Nounours que j'avais complétement oublié). Vous pouvez me rafraîchir la mémoire soit en commentaires à ce post, soit par mail à mon nom. D'ailleurs on pourrait écrire cette histoire ensemble car vous êtres très nombreux à avoir fréquenté le 2ème sous-sol du 5 de l'avenue Kléber à Paris.
Moi, Jean Michel Billaut, après 3 ans à faire un peu de présence en tant que jeune économiste à la Chambre de Commerce de Paris (très très belle bibliothèque par contre : j'y ai trouvé par exemple l'article de Kondratieff sur les cycles économiques, article publié dans Econometrica de 1923), je suis entré comme économiste junior au service Etudes du Groupe Compagnie Bancaire. Cela n'a pas été simple car il paraît que nous étions au moins 300 sur le coup. Et je suis rentré, c'est à noter, sur petite annonce. Celui qui m'a recruté s'appelait et s'appelle toujours Thibaut Lacan (le fils de... hé oui, on avait des relations...). Thibaut est à la retraite aujourd'hui. C'était mon N+3 comme dit aujourd'hui.
Thibaut était maigre comme un clou. On se demande d'ailleurs comme tenait son pantalon. Il avait certes une ceinture, mais qu'il ne serrait pas. On pouvait au moins y loger tous les colts des frères Wyatt et probablement aussi un coutelas navajos (qui comme chacun sait, ont des manches très imposants) .Il parlait un français châtié, et cherchait toujours le mot juste pour exprimer ses idées. Ce qui avait le don d'exaspérer ses interlocuteurs (dont moi). Mais comme c'était le fils de Jacques Lacan, on avait un certain respect, et on restait suspendu à ses lèvres, en attendant que le mot sorte. Dernier point sur le personnage : il fumait comme son père des cigares "tordus". On se demandait où il les achetait, ou, s'il achetait des cigares normaux, pourquoi il les tordait : le cigare n'était pas droit, mais "de coin". Et bizarrement cela marchait. Enfin, il y a de la fumée qui sortait du bout.
Il était économiste senior et s'occupait donc d'établir à grands traits les prévisions économiques de l'année prochaine, voir plus loin. Quant à moi le junior, j'étais chargé d'établir une note de conjoncture mensuelle. Comme les filiales de la Compagnie Bancaire intervenaient dans le financement de tout ou presque (voitures avec Cofica; meubles, électro-ménager avec le Cetelem; camions, matériels industriels, informatique, tracteur agricole avec l'UFB Locabail, immobilier avec l'UCB, promotion immobilière avec la Sinvim, centres commerciaux avec la Segece.... etc...(j'ai dû en oublier), j'avais pas mal de boulot, sans compter les périodes d'encadrement du crédit et l'évolution des taux d'intérêts à court terme et à long terme (avec des périodes compliqués où les taux longs étant plus bas que les taux courts : fallait faire attention à la stratégie financiére.. Mais c'était un boulot qui ne me branchait pas trop, avec les longues séances de mises au point des textes avec Lacan. Qui trouvait que j'écrivais pas très bien. Le N+2 lui, disait que j'écrivais comme un journaliste du Parisien (on en reparlera). Le Parisien n'était pas semble-t-il une référence dans la maison.
Bref, un groupe multiforme crée après la guerre, par un homme visionnaire : Jacques de Fouchier (que j'ai connu sur la fin de sa vie en tant que Président de Paribas - la dernière fois que je l'ai vu, c'est quand on lui a montré Kléline (qui bien qu'il n'existe plus, a toujours son site). Il était déjà bien vieux . Une seule chose l'a d'ailleurs intéressée : la souris de l'ordinateur). Il avait créé les filiales après la guerre avant la société Compagnie Bancaire, ce qui lui donnait avec cette création de holding (en 1959 je crois), plus de poids pour emprunter de l'argent. Car nos métiers consistaient à acheter de l'argent et de le revendre au détail. Voilà pour le business plan comme on dit maintenant. Autre caractéristique importante de la maison. Nous n'avions que très peu d'agences. Les banquiers en mettaient partout, nous nous en mettions nulle part ou presque. Nous travaillions directement avec les commerçants qui vendaient leurs produits dans leurs échoppes. Madame Michu voulait acheter une télévision chez Darty (par exemple). Hé bien, si elle demandait un crédit au vendeur, on espérait que celui-ci lui proposerait nos formules, et pas celles de nos concurrents (Sofinco et autres). Elle n'avait pas besoin de passer à sa banque avant. Naturellement le vendeur de Darty était rémunéré par nos soins, si le crédit était accepté. Le processus - je vous le décris, vous comprendrez pourquoi plus tard - passait par le remplissage d'un dossier papier par le vendeur (nom, adresse, salaire de son client....), dossier qui était ensuite transmis par la Poste à l'Agence back office du Cetelem (il y en avait quelques unes sur le territoire). Là, un creditman, équipé d'un écran de télétraitement vert d'IBM (vous vous souvenez ?), ressaisissait l'information (avec de temps en temps quelques fautes de frappe) et faisait tourner un logiciel de crédit scoring, qui acceptait le risque automatiquement dans 80% des cas environ. Pour les 20 % restant il y avait une étude faite "à la mano" par le creditman. Une fois tout cela fait, le créditman appelait au téléphone son vendeur qui, mettez-vous à sa place, attendait de savoir s'il allait avoir sa commission. En gros, le processus, quand il n'y avait de grève de poste, prenait une semaine (à l'époque dans les banques traditionnelles cela pouvait prendre des mois). Nous utilisions donc 4 médias : le papier, la poste, la téléinformatique et le téléphone. Tout cela pour un seul crédit. Et tout le monde trouvait cela bien, jusqu'au moment où..... à l'Atelier....
A noter qu'étant économiste junior, mon boulot consistait à connaître tous les chefs de marché, commerciaux, et autres marketeux du Groupe pour faire le point sur leur affaires (cette connaissance aura aussi une grande importance par la suite). Et à rencontrer aussi des spécialistes de l'extérieur (économistes de fédération professionnelle, Insee, Banque de France, etc...)
Voilà. J'ai décrit succintemment l'état de la maison (nous disions "nos maisons" : cela faisait cucu, mais en même temps très "ancien régime). Et puis les gens de la Bancaire n'avaient les 2 pieds dans le même sabot. Les lois Debré de 1968 avaient modifiées la structure du système bancaire. Ce qui fait que les banques à vocation générale pouvaient désormais intervenir sur nos marchés. D'où la mise en oeuvre chez nous, non seulement de la veille technologique active (on pressentait l'accélération de la technologie), mais aussi de l'innovation financière avec Cardif, Cortal, Banque directe, etc...
Voilà le décor planté. Ce texte est susceptible de modifications à tout instant. Et je suis preneur, comme je l'ai dit, de tout élément intéressant que vous avez vécu.
Il y aura certainement un chapitre 2. Quand ? Je ne sais pas trop.
La Musse, le 1er novembre 2009. Texte uploadé sur la célébre ligne ADSL Hitti/Penicaut