Robert KIRK : La République Mystérieuse des elfes, faunes, fées et autres semblables.
Traduit de l'anglais par Rémy Salvator. Bibliothèque de la Haute Science [L'Art indépendant], 1896, in-12, broché, V-64 pp.
La nécessité de présenter sous une forme moderne le très vieil ouvrage qu'est celui-ci, nous a entraînes à en condenser le titre qui, dans l'original, se développe sur une page et plus. C'est d'abord : La République mystérieuse ou Traité montrant les principales curiosités telles qu'on les voit encore de nos jours parmi diverses gens du peuple d'Ecosse, singularités pour la plupart propres à cette nation. A ces titres et sous-titres, du livre étrange que nous traduisons aujourd'hui, l'auteur, le Révérend Robert Kirk, pasteur à Aberfoyle, en Ecosse, ajoute cet autre : Sujet traité jusqu'ici par aucun de nos écrivains, et tenté cependant à titre d'Essai, pour supprimer l'impudent et croissant athéisme de ce temps, et pour satisfaire au désir de quelques amis de choix. Le digne pasteur dont on ne saurait suspecter la bonne foi, se montre méticuleux au dernier chef, car le faux-titre même de son livre se développe en ces termes précis : Essai sur la nature et les actes des êtres souterrains (et pour la plupart) invisibles, connus sous le nom d'Elfes, Faunes, Fées et autres semblables, chez les Ecossais des basses terres, tels qu'ils sont décrits par ceux qui possèdent la Seconde Vue ; et maintenant recueillis et comparés pour donner lieu à de nouvelles enquêtes, par un instigateur circonspect, demeurant parmi les Ecossais-Irlandais, en Ecosse.
Pour ne rien omettre de l'intéressant travail du Révérend Robert Kirk, nous ajoutons encore les six épigraphes, qu'il place en tête de son étude :
« Alors un esprit passe devant moi et mes cheveux en furent hérissés ; il se tint immobile, mais je ne connais point son visage, un fantôme était devant mes yeux » Job.4, 15, 16.
« C'est ici un peuple de rebelles qui dit aux voyants : Ne voyez pas, et aux prophètes : Ne nous prophétisez pas des choses justes, mais parlez-nous de choses agréables » Isaïe, 30. 9. 10.
« Et l'homme dont les yeux étaient ouverts a dit ». Nomb. 24. 15.
« Car maintenant nous voyons en un miroir d'obscurité, mais alors les faces regarderons les faces ». I Ep. Aux Corinth. 13. 12.
« Ce que nous serons n'est pas encore manifesté, mais nous serons semblables à Dieu et nous le verrons tel qu'il est ». I St Jean 3. 2.
« Voici que j 'ai mis sous les eaux les géants et ceux qui habitent avec eux ». Job. Chap. 26. 5. (Sep.)
Voici, de plus, quelques détails sur la vie de notre auteur. Le Révérend Robert Kirk étudia la théologie à St-Andrews et prit ses degrés de professeur à Edimbourg. Il fut successivement ministre des paroisses de Balquedder et d'Aberfoyle (que connaissent tous les lecteurs de Rob-Roy.) Il s'occupa d'une traduction irlandaise de la Bible, et publia un psautier en langue gaëlique en 1684. Il se maria une première fois avec la fille de sir Collin Campbell de Mochester, qui mourut en 1680. Et se remaria avec la fille de Campbell de Fordy, qui lui survécut.
Il est à remarquer qu'il fut le plus jeune et le septième fils de M. James Kirk et, sans doute, fut particulièrement doué pour s'occuper des êtres souterrains et invisibles qui nous entourent. Lui-même, dans son traité, parle de privilèges mystérieux des septièmes fils, « dont les parents émettent en le procréant une vertu plus puissante que pour tout le reste, comme s'ils étaient au faîte et à l'apogée de leur vigueur. » C'était un homme studieux, d'une famille honorable et comme le prouve ses livres, simple et savant.
Quoiqu'on voie au bout du cimetière d'Aberfoyle, du côté de l'Orient, le monument élevé à la mémoire du digne ministre (Robert Kirk), et sur lequel son nom est dûment inscrit, ceux qui connaissent son histoire véritable ne croient pas, cependant, qu'il jouisse du repos réel du tombeau. Son successeur, le Révérend docteur Grahame nous a informés qu'on croit généralement que, comme M. Kirk se promenait un soir en robe de chambre sur un dun-shi, c'est-à-dire une montagne hantée par les Fées, il éprouva ce qui paraissait être une attaque d'apoplexie, de sorte que les ignorants le crurent mort, tandis que les gens très instruits savaient que ce n'était qu'un évanouissement causé par l'influence surnaturelle de la race dont il avait violé l'habitation. Après la cérémonie de ce qui n'était un enterrement qu'en apparence, le Révérend Robert Kirk apparut à un de ses parents et lui ordonna d'aller trouver Grahame de Duchray, de qui est descendu ke général Grahame Herling, vivant encore, « Dites à Duchray qui est mon cousin aussi bien que le vôtre, » lui dit-il, « que je ne suis pas mort, mais que je suis captif dans le pays des Fées, et qu'il ne me reste qu'une chance pour être délivré. Quand l'enfant posthume dont ma femme est accouchée depuis ma disparition sera sur le point d'être baptisé, je paraîtrai dans l'appartement et si Duchray jette par dessus ma tête la dirk ou poignard qu'il tiendra à la main, je serai rendu à la société, mais s'il laisse échapper cette occasion, je suis perdu pour toujours. » Duchray fut informé de ce qu'il avait à faire, la cérémonie du baptême eut lieu, et l'on vit M. Kirk paraître pendant qu'on était à table, mais Grahame de Duchray fut saisi d'un tel étonnement qu'il ne put exécuter ce qui lui avait été rescrit. Il est donc à craindre que M. Kirk ne subisse encore son destin dans le pays des Fées ; la cour des Fées lui déclarant comme l'océan au pauvre Falconner, qui périt en mer après avoir composé son poëme si connu intitulé le Naufrage :
« Tu as proclamé notre pouvoir, - sois notre proie ! » (I)
Pour ce qui est de la date vénérable de l'oeuvre du Révérend Kirk, elle est pour le manuscrit de 1691 : une centaine d'exemplaire furent tirés en 1815 par Longman and Co mais cette édition est devenue à peu près introuvable. De la présente traduction, nous nous permettons de dire qu'elle nous fut d'un labeur difficile, l'anglais du pasteur d'Aberfoyle n'est rien moins que moderne, et comme nous avons tenu à serrer d'aussi près que possible le texte original, nous avons dû renoncer à toute élégance de style.
Rémy Salvator
Illustrations, John Anster Fitztgerald, Fairies Looking through a Gothic Arch (circa 1864), The Fairies' Banquet (1859)