Barbares, de Pierre Vinclair (lecture de Florence Trocmé)

Par Florence Trocmé

 

 

L’âme n’est qu’un chant qu’on habille de la peau des morts

« Tu vis dans les éclats. Pas dans un labyrinthe » : pour  un lecteur un peu au fait de la poésie éditée aujourd’hui, le livre de Pierre Vinclair est un sujet d’étonnement. Titre, structure du livre, poèmes, tout interpelle dans ces pages, tout étonne, tout vient heurter et faire résonner des affects enfouis. 


Le titre évoquera sans doute pour beaucoup ces fameux Barbares dont parlait l’histoire de France enseignée dans les écoles au siècle précédent : des hordes, des envahisseurs, l’effroi. Trois chants pour en parler, trois parties, non pas un triptyque, plutôt une progression, dans le temps -des fins fonds de l’histoire jusqu’au présent- et dans l’espace -d’un lieu indéterminé et vaste à un univers plus proche et restreint, mais à figure de no man’s land-.
Ce qui est donné à lire est une sorte d’épopée à la fois tragique, burlesque, hybride. Épopée, voilà une des clés du nom de ce Popée1 qui ne fait pas faute de surprendre avec son P unique, lui l’ivrogne déjanté, « clochard de l’être », aveugle : « Popée va-t-en mêler tes larmes d’aveugle aux gouttes délogées qui payent, de honte et en silence, la rançon du chaos, - presque rien ». Interpénétration des mondes, du dedans et du dehors, on le voit, car ici tout se mêle et s’emmêle, en une permanente et tonique solution de continuité mais cependant sans décousu (comme l’ivrogne reste lui-même ou à peu près, un Vin clair, dans son délire alcoolisé ?)
La construction est serrée, pensée, en sept temps : 1. Le monde ancien, 2. Le Négateur ; 3. Ite missa est ; 4. Métaformose ; 5. Hémoglobie ; 6. Chenil-le2 ; 7. Accord final, titres déclinés ici tant ils sont emblématiques des diverses manières de Pierre Vinclair. Pour dire les errances de Popée, sa confrontation au Négateur, figure diabolique qui prend les choses à l’envers, à rebrousse-poil, (ce ne sont pas ses pieds qui prennent le chemin mais le chemin qui emprunte ses pieds). Il marche, Popée, un peu comme le soldat de Ramuz, il est (« sang de personne ») le chemin, frontière abolie et sens avec. Il y a quelque chose de théâtral dans sa figure et le livre fonctionne aussi comme une représentation, ses trois parties semblent être trois actes.
On note de nombreux jeux sur les mots, allitérations, presqu’anagrammes, variations autour d’une sonorité « accords bizarres d’une musique » :
ce qui n’a rien de gratuit mais donne quelque chose d’incantatoire à ces chants où de courts textes de prose alternent avec des séquences en vers.
Il y a dans ces pages une sorte de concaténation de mythes, de scènes de cauchemar, de scènes de guerre (et plus ou moins cachées, de multiples allusions et réminiscences artistiques et littéraires, qui nourrissent le texte par en-dessous, comme un humus). C’est une mise en scène, une sorte de scène mythologique, il y a Popée, l’homme, Aka la femme plus ou moins magnifiée, déifiée presque et le monstre, la bête : il y a métaformoses, dérision et burlesque, dimension presque carnavalesque. Le poète « charge » intentionnellement. Il n’est pas exclu que des éléments soient empruntés au monde des jeux vidéo et des films d’horreur, autres territoires de l’imaginaire contemporain (Pierre Vinclair a 27 ans).
Un Pierre Vinclair certes complètement différent des Sanguinetti, Tellermann, Auxeméry ou Loizeau, autrement dit quelques-uns des auteurs « d’ » Yves di Manno, mais on ne peut s’empêcher de trouver chez lui comme des échos de ces écrivains, ce qui donne une grande cohérence au choix de l’éditeur de le publier : d’Hélène Sanguinetti, la figure brisée, morcelée et recomposée du héros, d’Auxeméry, une référence aux mythes et un soupçon d’ésotérisme (du côté du chamanisme), d’Esther Tellermann le chant antique, la voix comme oraculaire par moments, de Sophie Loizeau, le bouc bien sûr et la dimension de l’animalité.
Il y a dans ce livre une dimension tragique, douloureuse : « l’âme n’est qu’un chant qu’on habille de la peau des morts », citation placée en exergue de cette note de lecture, tant tout le livre semble fonctionner sur ce principe, un chant difficile, douloureux, éclaté, soumis à de multiples contraintes, historiques, littéraires, personnelles, qui l’écartèle, un chant habillé de la peau des morts, morts anonymes et cohorte innombrable des philosophes, des écrivains, des artistes. D’où la dimension prenante de ce livre, par l’émotion sous-jacente à l’érudition cachée mais très perceptible qui le tend. On entend là une voix très personnelle,, comme marquée par une intense fréquentation des morts, de tous les morts, illustres et anonymes.
Contribution de Florence Trocmé

Bio-bibliographie de Pierre Vinclair
la présentation de Barbares
un extrait de Barbares

Pierre Vinclair, Barbares, Flammarion, 2009, 17 €
1. Poezibao publiera à la suite de cette note un entretien avec Pierre Vinclair
2. Si ce livre est le premier livre de poèmes de Pierre Vinclair, il a publié un roman, l’Armée des chenilles, paru chez Gallimard en 2007.