L’âme n’est qu’un chant qu’on habille de la peau des morts
« Tu vis dans les
éclats. Pas dans un labyrinthe » : pour
Le titre évoquera sans doute pour beaucoup ces fameux Barbares dont parlait l’histoire
de France enseignée dans les écoles au siècle précédent : des hordes, des
envahisseurs, l’effroi. Trois chants pour en parler, trois parties, non pas un
triptyque, plutôt une progression, dans le temps -des fins fonds de l’histoire jusqu’au
présent- et dans l’espace -d’un lieu
indéterminé et vaste à un univers plus proche et restreint, mais à figure de no
man’s land-.
Ce qui est donné à lire est une sorte d’épopée à la fois tragique, burlesque,
hybride. Épopée, voilà une des clés du nom de ce Popée1 qui ne fait
pas faute de surprendre avec son P unique, lui l’ivrogne déjanté, « clochard de l’être », aveugle :
« Popée va-t-en mêler tes larmes d’aveugle
aux gouttes délogées qui payent, de honte et en silence, la rançon du chaos, -
presque rien ». Interpénétration des mondes, du dedans et du dehors,
on le voit, car ici tout se mêle et s’emmêle, en une permanente et tonique
solution de continuité mais cependant sans décousu (comme l’ivrogne reste
lui-même ou à peu près, un Vin clair, dans son délire alcoolisé ?)
La construction est serrée, pensée, en sept temps : 1. Le
monde ancien, 2. Le Négateur ; 3. Ite
missa est ; 4. Métaformose ; 5. Hémoglobie ; 6. Chenil-le2 ;
7. Accord final, titres déclinés ici tant ils sont emblématiques des diverses manières
de Pierre Vinclair. Pour dire les errances de Popée, sa confrontation au
Négateur, figure diabolique qui prend les choses à l’envers, à rebrousse-poil, (ce
ne sont pas ses pieds qui prennent le chemin mais le chemin qui emprunte ses
pieds). Il marche, Popée, un peu comme le soldat de Ramuz, il est (« sang
de personne ») le chemin, frontière abolie et sens avec. Il y a quelque
chose de théâtral dans sa figure et le livre fonctionne aussi comme une
représentation, ses trois parties semblent être trois actes.
On note de nombreux jeux sur les mots, allitérations, presqu’anagrammes,
variations autour d’une sonorité « accords
bizarres d’une musique » : ce qui n’a rien de
gratuit mais donne quelque chose d’incantatoire à ces chants où de courts
textes de prose alternent avec des
séquences en vers.
Il y a dans ces pages une sorte de concaténation de mythes,
de scènes de cauchemar, de scènes de guerre (et plus ou moins cachées, de
multiples allusions et réminiscences artistiques et littéraires, qui
nourrissent le texte par en-dessous, comme un humus). C’est une mise en scène,
une sorte de scène mythologique, il y a Popée, l’homme, Aka la femme plus ou
moins magnifiée, déifiée presque et le monstre, la bête : il y a métaformoses, dérision et burlesque,
dimension presque carnavalesque. Le poète « charge »
intentionnellement. Il n’est pas exclu que des éléments soient empruntés au
monde des jeux vidéo et des films d’horreur, autres territoires de l’imaginaire
contemporain (Pierre Vinclair a 27 ans).
Un Pierre Vinclair certes complètement différent des Sanguinetti,
Tellermann, Auxeméry ou Loizeau, autrement dit quelques-uns des auteurs
« d’ » Yves di Manno, mais on ne peut s’empêcher de trouver chez lui
comme des échos de ces écrivains, ce qui donne une grande cohérence au choix de l’éditeur
de le publier : d’Hélène Sanguinetti, la figure brisée, morcelée et recomposée du héros,
d’Auxeméry, une référence aux mythes et un soupçon d’ésotérisme (du côté du
chamanisme), d’Esther Tellermann le chant antique, la voix comme oraculaire par
moments, de Sophie Loizeau, le bouc bien sûr et la dimension de l’animalité.
Il y a dans ce livre une dimension tragique, douloureuse : « l’âme
n’est qu’un chant qu’on habille de la peau des morts », citation placée en
exergue de cette note de lecture, tant tout le livre semble fonctionner sur ce
principe, un chant difficile, douloureux, éclaté, soumis à de multiples
contraintes, historiques, littéraires, personnelles, qui l’écartèle, un chant habillé de la peau des morts, morts
anonymes et cohorte innombrable des philosophes, des écrivains, des artistes.
D’où la dimension prenante de ce livre, par l’émotion sous-jacente à l’érudition
cachée mais très perceptible qui le tend. On entend là une voix très personnelle,,
comme marquée par une intense fréquentation des morts, de tous les morts,
illustres et anonymes.
Contribution de Florence Trocmé
Bio-bibliographie
de Pierre Vinclair
la
présentation de Barbares
un
extrait de Barbares
Pierre Vinclair, Barbares,
Flammarion, 2009, 17 €
1. Poezibao publiera à la suite
de cette note un entretien avec Pierre Vinclair
2. Si ce livre est le premier livre de poèmes de Pierre Vinclair, il a publié
un roman, l’Armée des chenilles, paru
chez Gallimard en 2007.