Finir la guerre en Irak et gagner celle d’Afghanistan, terrasser le dragon perse, l’hydre islamiste et le gnome nord-coréen, relancer l’économie tout en moralisant le capitalisme, ré-industrialiser l’Amérique, reloger les expulsés et leur garantir une couverture maladie, nourrir le milliard d’humains qui ne mangent plus à leur faim, chasser la méchante pollution hors de la planisphère et refaire de la banquise le gros glaçon qu’elle n’est déjà plus, voilà la mission du nouveau président, voilà la promesse que tous ceux qui ne parviennent pas à faire leur deuil de l’Amérique ont cru entendre dans les discours du candidat élu.(...)
Mais le locataire de la Maison Blanche ne guérit pas les écrouelles, ne ressuscite pas les morts et ne multiple pas les hamburgers. Il faut se faire une raison. On va rapidement s’en faire une. Le président Obama ne pourra pas satisfaire à tout ce qu’on lui demande : il n’a d’ailleurs rien promis, si ce n’est, le temps de son élection, de restaurer le rêve de la pastorale des temps héroïques, ceux des guerres contre la France puis l’Angleterre, ceux des textes fondateurs de 1776 et 1787. C’est suffisamment flou pour qu’il puisse prétexter le moment venu que les promesses n’engagent que ceux qui y prêtent attention, sans pour autant passer pour l’usurpateur du rêve américain. Est-ce totalement de son fait, si son extraordinaire personnalité a cristallisé les attentes les plus diverses et les plus folles, de la fin de la ségrégation – ce à quoi son élection semble avoir mis un point final, sans guérir ce cancer qui ronge l’Amérique depuis sa fondation – à la restauration de l’appareil guerrier américain – tache auprès de laquelle les travaux d’Hercule s’apparentent à un petit échauffement avant la course ?
Il décevra, tout le monde le sait, et c’est la règle. Mais le risque majeur n’est pas tant de ne pas tenir des engagements incertains, que de rater la Restauration américaine et d’achever le destin de son pays, en accélérant sa sortie définitive de l’histoire. Ce sera le drame de cet homme d’une intelligence et d’une intuition remarquables, d’un charisme époustouflant et très certainement d’un honnêteté sans faille, que d’être arrivé au poste le plus prestigieux de la planète à un moment où son pays est dans une impasse. Soit il fait comme s’il était encore l’hyperpuissance hier encore redoutée ou adulée, c’est ce qu’avait choisi son concurrent John McCain : c’est l’assurance de se prendre le mur avant même la fin de son mandat. Soit le président remet tout à plat et fait le bilan des 250 ans d’histoire américaine, en sacrifiant si besoin est ce qui n’est plus tenable et ce qui ne pourra jamais être tenu du projet initial des Founding Fathers, pour sauver ce qui peut encore l’être. C’est sur ce programme qu’il s’est fait élire, pour peu que ses électeurs aient correctement interprété ses discours. Le problème est qu’il s’agit là de la politique tentée il y a vingt ans, dans un autre empire et sous d’autres cieux, par un autre parfait honnête homme : Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev.
Jean-Philippe Immarigeon,
introduction (extraits) à L'imposture américaine,
Bourin Editeur, janvier 2009
Commentaires Lien Texte