2 novembre, journée des prix Goncourt et Renaudot que je ne m'aviserai pas de commenter n'étant ni une adepte des prix, et surtout, ne connaissant pas tous les auteurs en lice... Ces prix permettent surtout aux auteurs de se faire connaître et de donner envie aux lecteurs de les découvrir, c'est surtout ça l'intérêt!
Disons que je profite de l'événement, parce que Delphine de Vigan faisait partie des prétendants pour le Goncourt, elle n'a eu qu'une voix aujourd'hui, mais elle a écrit Les heures souterraines, et c'est déjà tout ce qu'on pouvait espérer lire de mieux en ce moment au sujet du thème très actuel du harcèlement moral des cadres sur le lieu de travail, celui qui fait croire aux cadres qu'ils sont inutiles et qui ne leur permet d'exister qu'au regard de leurs objectifs. Et quand l'objectif n'est rattaché à rien d'autre qu'à lui-même, quand on ne lui donne pas du sens autre que celui du but ultime, pas facile de l'atteindre, de les atteindre, mais très facile d'être atteint au contraire soi-même par ces objectifs devenus maîtres de tout, et mesures de toutes choses.
La lecture est une des meilleures opportunités d'évasion et de retour sur la personne et son histoire. Delphine de Vigan ne nous montre pas l'échec d'une personne (et même de deux personnages dont les histoires parallèles se conjuguent parfaitement par des mouvement opposés, la course et l'immobilisme), elle nous montre une personne dans son environnement de travail, dans un contexte complexe d'interactions entre des personnes qui ne veulent pas se comprendre, se rencontrer. Aujourd'hui où l'on est surtout identifié par des statuts (travailleur/chômeur, apte à recevoir l'identité nationale/inapte, avec ou sans papier, méritant/non méritants,...), et le futur ne se dessine que par des objectifs (quand ils sont accompagnés, ce ne sont plus seulement des objectifs, c'est une cohésion), il apparait que l'on est soit inclu, soit exclu dans un système donné. Le roman lui, dépasse les systèmes, il décrit et montre les personnes transversalement, avec leur histoire, leurs émotions, leurs ambitions, leur volonté, leurs faiblesses. Ca change du langage SMS ou de celui de Facebook, c'est plus ... existant, c'est un type de partage plus personnel.
Quand on milite pour l'accompagnement individualisé - et personnalisé - des parcours professionnels, à l'intérieur et au-dehors du système entreprise, du système Pôle Emploi et du système scolaire, on milite aussi pour le sens qu'on donne au travail, travail qui a de plus en plus de synonymes approximatifs (boulot, taf,...) dévalorisants, parce qu'on parle de moins en moins des métiers. On cherche un boulot, pas un métier. C'est le boulot qui fait vivre, pas forcément le métier... Les objectifs du boulot sont difficiles à atteindre, stressants... Les objectifs relatifs à un métier sont au contraire les exemples d'une continuité dans la progression... Problème de vocabulaire en entreprise? Les notes de services ne sont pas des romans et n'ont pas ce rôle. Mais elles sont parfois très froides sans les relations humaines. Et les entretiens individuels se transforment quelquefois en audience à la cour, les plans d'action en peine infligée au coupable, on formalise tout tout tout par écrit, non pas pour éclaircir les propos mais pour se couvrir... Malaise.
On fait de plus en plus appel à des coachs, des psys, des médocs, des médecins... On met des pansements sur les plaies, mais on ne fait pas appel à Docteur House pour diagnostiquer l'origine de ces plaies... (il est vrai, je le concède, que c'est Docteur Ross le plus sexy quand il distribue son nespresso, qui d'ailleurs grâce à sa caféine, permet de tenir tête à la fatigue, et d'atteindre plus "facilement" ses objectifs)...
Dans tous les plans Emploi qui se dessinent, l'urgence du "sens" est à prendre en compte absolument. Dans toutes les perspectives de dialogue social, l'individualisation des parcours professionnels par un suivi personnalisé (objectifs avec accompagnement!!!) doit prendre sa place petit à petit, comme dans les plans de reclassement. Utopique? Disons que si dans certaines structures on est loin du compte, il est temps de ne plus traiter les personnes comme des dossiers. Comme dans les romans. Tiens d'ailleurs qu'est-ce que je pourrais bien lire ce soir?