J’ai déjà dit il y a quelques années sur ce blog le bien que je pensais de la connaissance de soi en tant que nation et le rayonnement qu’une personnalité bien dans sa peau pouvait avoir dans le monde.
J’ai dit aussi combien la crispation ‘anti’ de la gauche de tout poil me semblait archaïque, figée dans la langue bois marxisante héritée de Staline et de son « internationalisme » de combat (au profit de la seule URSS).
Je remarque aujourd’hui que la reprise du débat par Eric Besson – d’origine « immigrée » comme Nicolas Sarkozy – fait éclater la gauche. Je m’en réjouis : combien de temps faudra-t-il pour qu’enfin cette génération bobo, infantile en 68 et toujours infantile 40 années plus tard, laisse la place à la maturité d’une opposition normale ? – Celle qui s’insère dans le monde tel qu’il est, dans l’Europe telle qu’elle se construit et contre les réflexes d’une droite toujours proche de ses intérêts.
Ségolène Royal avoue enfin qu’elle connaît Eric Besson et que le débat dont il prend l’initiative n’est pas à mépriser comme avant. Oui, les Français sont heureux de chanter la Marseillaise (et pas seulement durant les match de foot), oui, ils sont fiers de leur drapeau à trois bandes, de leur armée professionnelle, de leur aura dans le monde. Oui, les Français sont fiers d’être français, non pour écraser les autres mais pour les élever en les confrontant à ce que leur culture peut avoir d’universel. Brouillonne mais intuitive, Ségolène Royal est proche du populaire.
Le souci d’identité nationale remonte à loin. Peut-être à Jeanne d’Arc contre « les Anglais » - encore que ce fussent plutôt contre les nobles, car la plupart de ceux qui guerroyaient pour arracher un peu de terrain aux possessions du roi de France était « français ». Mais au moins à du Bellay (1522-1560), ce poète qui a rédigé la ‘Défense de la langue française’ du manifeste de la Pléiade. Il condamnait le snobisme latinisant qui réservait la culture aux clercs apatrides (en fait tout dévoués à l’Eglise de Rome). Intendant de son cousin cardinal, exilé plusieurs années à Rome, Joachim du Bellay a les ‘Regrets’ de sa patrie dans le recueil du même nom, composé de 1554 à 1557.
« France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau que sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois. »
France est pour lui culture, langue et amis. Il s’en languit sous les feux de la morgue romaine, de l’hypocrisie de cour papale et des vices italiens : « Entre les loups cruels, j’erre parmi la plaine ». Joachim du Bellay aimait les voyages ; il a sollicité ce poste à l’étranger auprès de son riche cousin. Mais il se sent exilé, si longtemps loin de sa patrie. Cette patrie est son identité et il la sent s’y diluer dans la Rome cosmopolite à prétention universelle. Il songe à se ressourcer, à revenir baigner ses racines dans son terreau d’origine.
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestui-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge ! »
La mondialisation anglo-saxonne, l’immigration orientée majoritairement maghrébine, la remise en cause du travail bien fait sans souci du rendement ni du client, ou les secousses données au Petit Travail Tranquille, diluent aujourd’hui la culture française. La francophonie, le poids diplomatique, l’excellence universitaire, tout cela baisse en comparaison des autres… D’où le souci renouvelé d’identité, comme du Bellay.
Mais quel est le projet ? La France est avant tout un Etat, à peine une nation, et quand la politique se perd, la cohésion se délite. « La France est la patrie de l’universel » disait Michelet – mais qu’arrive-t-il quand l’universel est aujourd’hui américain et demain probablement chinois ? La France est-elle capable d’apprendre des autres pour enrichir sa propre culture ?
La France est « la volonté de vivre ensemble », disait Renan – mais où est cette volonté aujourd’hui, tiraillée qu’elle est entre la dilution de mœurs immigrée, le laisser-faire culturel spontanéiste issu de mai 68 qui inhibe toute politique d’intégration, et le projet européen dans lequel nous ne sommes que le 1/27ème ?
Où sont donc les politiques ? Où est la gauche, qui se pare sans cesse de Morale et d’Universel, mais qui gémit, bafouille et balbutie aujourd’hui sans idée ? Où est le Président et où veut-il donc mener ce pays, au-delà du mouvement par réaction à l’immobilisme Chirac et au plaisir de provoquer le convenu des partis ?
Joachim du Bellay, Les antiquités de Rome suivies des Regrets, Livre de Poche, 5.71€
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