Il y a des livres que l’on ferme à regret. Des livres qui, s’ils ont de rares équivalents, en ont trop peu. Certains vous agrippent par leur style radical et sans concession, d’autres vous plongent dans un amoncellement novateur, d’autres enfin vous font trembler d’émotion.
Pour le coup, c’est par la profondeur de sa réflexion que le livre de Carl Gustav Jung, Métamorphoses de l’âme et ses symboles fait preuve d’intensité. Outre un style visant à l’essentiel de manière claire et de la façon la plus exhaustive possible, c’est rarement qu’une réflexion s’est proposée d’établir une théorie de l’humanité aussi englobante.
A côté de Jung, le Totem et tabou de Freud fait pâle figure et les Tristes tropiques de Lévi-Strauss demeurent encore en deçà. Ce que Jung se propose de démontrer tout au long de ces 700 et quelques pages, c’est l’existence de connections symboliques entre les hommes, par-delà le temps et l’espace, au travers de la symbolique des religions, des contes et autres mythes. Ce qu’il appelle “Inconscient collectif”, lançant un magistral pied de nez à son mentor, Freud, en élargissant le champ de la psychologie bien au-delà du cas individuel, offrant de mettre en lumière toute une série de récurrence et de thèmes partagés non plus par l’humain, mais par l’humanité.
Des contrées africaines jusqu’au sommet de l’Olympe, des pyramides égyptiennes aux froids nordiques, des contrées mexicaines aux terres bibliques, Jung parcourt le monde et ses mythes, s’appuyant à l’origine sur un cas individuel – une certaine Miss Miller – dont il étend perpétuellement le champ d’analyse.
Controversé par les Freudiens mais également descendu en flèche par les institutions religieuses (car entre affirmer que l’inconscient collectif s’exprime dans la symbolique de toutes les religions et en venir à dire que toutes les religions se valent, voire que Dieu n’est somme toute qu’un élément de la psyché, il n’y a qu’un pas – que Jung ne franchit pourtant pas, paradoxalement) – le Vatican a interdit la lecture de Jung pendant un temps, tandis que la sexualité récurrente présentée par Freud ne les émouvait pas plus que ça dans le même temps -, la théorie jungienne semble pourtant incontournable et magistrale dans sa démonstration.
Un très grand livre, piédestal d’une série de concepts psychologiques, mais à portée théologique,anthropologique, historique.
Tout simplement à l’échelle de l’humanité, donc bouleversant. Sans doute l’un des trois plus grands essais qu’il m’ait été donné de lire à ce jour.
“Quelle sera l’issue entre le Scylla de la négation du monde et le Charybde de son affirmation ?”
“Psychologiquement, Dieu est le nom donné à un complexe représentatif groupé autour d’un sentiment très puissant.”
“On accuse la psychologie d’être une fantaisie malsaine, alors qu’il serait si facile, d’un simple regard jeté sur l’histoire des religions et des mœurs antiques, de voir quels démons recèle l’âme humaine.”
“Le mythe, c’est ce dont un Père de l’Eglise dit : « Quod semper, quod ubique, quod ad omnibus creditur » [Ce qui est cru toujours, partout et par tous], de sorte que celui qui croit vivre sans mythe ou en dehors de lui est une exception. Bien plus, il est un déraciné sans relation véritable avec le passé, avec la vie des ancêtres (qui continue en lui), ni avec la société humaine contemporaine.”